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METZ

10/10/02

 
Dialogues des Carmélites

Francis POULENC

Direction musicale : Jacques Mercier
Mise en scène, décors et costumes : Antoine Selva

Blanche de la Force : Rayanne Dupuis 
Madame de Croissy : Anne Pareuil
Madame Lidoine : Marie-Paule Dotti
Mère Marie : Anne Salvan
Soeur Constance : Valérie Debize
Mère Jeanne : Sylvie Bichebois
Le Marquis de la Force : Didier Henry
Le Chevalier de la Force: Florian Laconi
L'aumônier : Yvan Rebeyrol
Le geôlier : Régis Mengus
L'officier : Patrice Moll
Le premier commissaire : Jacky Da Cunha
Le deuxième commissaire : Thomas Roediger
Thierry : Jean-Sébastien Frantz
Javelinot : Jean-Paul Weinberg
Soeur Mathilde : Roseline Chenilyer

Choeurs de l'Opéra de Metz
Choeurs du Conservatoire National de Région Orchestre National de Lorraine

Metz, 10 octobre 2002



Spectacle décevant, et c'est fort dommage tant ce chef-d'oeuvre est rarement monté. Commençons par l'orchestre et la direction de Jacques Mercier, nouveau patron de la Philharmonie de Lorraine, devenu Orchestre National cette saison. Si cet orchestre se montre, à l'opéra, en progrès (il est en effet éblouissant en concert, mais a souvent déçu dans les productions lyriques, voir à ce sujet notre papier sur le Fidelio de la saison dernière), il n'atteint pourtant pas l'excellence qu'exige cette musique. La direction de Jacques Mercier, quant à elle, est un peu monotone, tout se déroule à peu près dans le même climat, à quelques exceptions près. L'aspect "stravinskien" de cette musique (prédominance du rythme, brusques changements d'intensité, de tempi...), est rarement mis en valeur, à l'inverse, par exemple, de Kent Nagano (enregistrement Virgin), qui exalte cette composante essentielle du langage de Poulenc. Notons, cependant, dans la direction de Jacques Mercier, de beaux moments dans les interludes élégiaques, ainsi que la scène finale, assez réussie : c'est peu. Rayanne Dupuis fut une remarquable Lulu il y a deux saisons dans ce même opéra de Metz. Elle habitait le rôle de manière saisissante. Dans cette production des Dialogues, elle n'a pas réussi à incarner Blanche de la Force. Trop de force, précisément, dans ce personnage fragile, un jeu de scène appuyé, une voix trop large, au vibrato marqué: on ne sent pas la fragilité de la jeune fille. Dès son entrée, elle apparaît trop sûre et trop maîtresse d'elle- même. Elle sera plus à l'aise dans les moments de "dispute" avec Soeur Constance ou avec Mère Marie, mais elle nous semble, malgré tout, à côté du personnage. Il en est de même pour Anne Pareuil en Madame de Croissy. Ici, la chanteuse semble avoir enfilé un habit trop grand pour elle. Il manque une"aura" au personnage, une consistance, ce "quelque chose" d'indéfinissable qui fait que l'on y croit ou pas. Et le chant, correct (malgré quelques aigus à l'arraché) ne vient pas compenser ce manque. Marie-Paule Dotti convainc davantage en Madame Lidoine, sans être inoubliable. Anne Salvan en Mère Marie semble parfois grossir sa voix, et l'aigu est souvent difficile. Seule, parmi les femmes, Valérie Debize tire son épingle du jeu. L'adéquation entre la chanteuse et le personnage est ici très réussie. La voix, franche et claire, est idéale (malgré un aigu parfois tiré), le mélange d'insouciance et de sérieux est parfaitement rendu, certaines phrases, chantées en demi-teinte, distillent ainsi une émotion palpable.

Chez les hommes, Didier Henry en Marquis de la Force est décevant : la voix bouge, le grave est trop court, et l'aigu peu sûr. Florian Laconi en Chevalier de la Force est par contre remarquable. La voix est très belle, fort bien conduite (même si la négociation de certains aigus serait à soigner), l'incarnation est fine et sensible: après sa très belle prestation dans Jaquino de Fidelio l'an passé, c'est un jeune chanteur (25 ans) à suivre. L'aumônier d'Yvan Rebeyrol est correct, sans plus. Quant aux seconds rôles, ils sont nettement insuffisants, certains frisant même un amateurisme indigne (le geôlier). Le choeur m'a aussi paru un peu léger. Cette production pose une fois encore le problème, sensible s'il en est, de la prononciation. On ne retrouve pas la netteté de diction de nos chanteurs "d'antan" (je pense aux chanteurs de l'intégrale de Pierre Dervaux, en 1958, chez EMI), et il est vrai que l'on ne comprend pas tout, ici à Metz, du magnifique texte de Bernanos. Quelques exceptions cependant : Didier Henry, Valérie Debize, et surtout Florian Laconi s'en sortent véritablement très bien.

La mise en scène d'Antoine Selva ne laissera pas un souvenir marquant. Le choix du dénuement est tout à fait approprié, encore faudrait-il que les décors soient beaux, ce qui n'est pas vraiment le cas, notamment les grandes peintures aux sujets religieux dont certaines sont assez vilaines. Il en est de même pour les costumes, dont ceux des commissaires du peuple, toutes cocardes dehors, qui frisent le grotesque.

L'espace scénique est par contre bien exploité grâce à un système de paravents et de cloisons, ce qui différencie bien les scènes. La sobriété est aussi sensible dans la direction d'acteurs, les incongruités n'en étant que plus choquantes : Blanche levant les bras vers la crucifixion qui orne les murs lorsqu'elle chante "l'attrait d'une vie héroïque" (Jésus, un héros ?) ou la foule regardant dans la mauvaise direction dans la scène finale (elle tourne le dos à la guillotine...!). Un mot encore sur cette fameuse scène : les carmélites montent à l'échafaud, qui est hors champ, et l'exécution est symbolisée, au fur et à mesure des coups de guillotine, par la chute de hautes et fines toiles placées en fond de scène devant une source lumineuse. L'inconvénient de cette trouvaille est que la scène devient de plus en plus lumineuse, alors que la musique s'éteint progressivement... Si l'on peut voir cette progression vers la lumière comme le symbole d'une libération pour les carmélites et de leur cheminement vers Dieu, on peut aussi trouver déroutant que cette clarté progressive soit en contradiction avec la musique qui s'éteint... Notons enfin que la montée de Blanche vers l'échafaud est parasitée par l'arrivée intempestive de Mère Marie sur le devant de la scène, tandis que l'aumônier est, lui, de l'autre côté de l'avant-scène, face au public, autant d'éléments qui paraissent inutiles et surtout ne permettent pas à cette scène poignante de prendre toute sa mesure. Une production quelque peu frustrante donc, d'autant plus qu'il n'en émanait que fort peu d'émotion.
  


Pierre-Emmanuel Lephay
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