C O N C E R T S
 
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BORDEAUX
28/10/2006
 
© F. Demesure
Gaetano DONIZETTI (1858 – 1924)

L’ELISIR D’AMORE

Opéra comique en deux actes
créé au Théâtre de la Canobbiana à Milan le 12 mai 1832

Livret Felice Romani
Production Opéra National de Nancy et de Lorraine,
Théâtre de Caen et Opéra de Rennes

Mise en scène, chorégraphie : Omar Porras

Décors, création de masques : Fredy Porras
Costumes : Coralie Sanvoisin
Lumières : Mathias Roche

Adina : Maïra Kerey
Nemorino : Stephen Costello
Belcore : Nigel Smith
Dulcamara : Till Fechner
Giannetta : Laure Baert

Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Choeur de l'Opéra National de Bordeaux
Direction musicale : Paolo Olmi

Grand-Théâtre, Bordeaux, le 28 octobre 2006, 20h

Le secret de la potion magique


En voyageant de Nancy à Bordeaux, L’elisir d’amore imaginé par Omar Porras n’a perdu aucune des qualités soulignées en février dernier par Sophie Roughol : « costumes explosant de richesse et de créativité », «  accessoires époustouflants », « travail d’équipe frappant de complicité », « utilisation optimale du plateau avec un sens inné du déplacement des masses et de l’utilisation des danseurs » et surtout « une inventivité constante et pétillante ». L’intrigue est déplacée, rappelons-le, du petit village italien du XIXe siècle vers une forêt enchantée et les personnages, débarrassés de leur enveloppe humaine, tiennent à la fois du faune, du lutin et du gallinacé. Ce qui pourrait passer pour une fantaisie de metteur en scène en quête d’originalité se révèle une idée de génie car elle s’inscrit dans l’esprit de l’oeuvre, burlesque et poétique à la fois. De plus, elle ajoute à la fable bucolique une dimension mythologique, celle de la naissance de l’amour au cœur d’une nature harmonieuse. Et la recette fonctionne ! Cet élixir n’apparaît jamais frelaté ; au contraire, sa saveur s’en trouve rehaussée, affirmée et même révélée.

Rien d’étonnant qu’avec un tel flacon, la troupe réunie pour l’occasion cède à l’ivresse. Son adhésion et son enthousiasme contribuent au succès de la soirée. Sa jeunesse aussi ; du moins en ce qui concerne les protagonistes.

Déjà applaudie à Nancy, Maïra Kerey confirme les éloges qui avaient accueilli son interprétation d’Adina. Le rôle ne présente pas de difficulté particulière ; c’est là le principal écueil. Il faut trouver un ton brillant et léger sans transformer pour autant la jolie fermière en soubrette. Pari tenu pour la soprano kazakhe ; son aisance et sa vivacité scéniques introduisent le brio nécessaire tandis que, musicalement, l’épaisseur du timbre, la tenue de la ligne, la souplesse vocale apportent au personnage la consistance requise. Seuls nuisent à l’expression la couleur, parfois trop franche, et une tendance à tout chanter avec la même intensité ; défaut qu’elle partage d’ailleurs avec Stephen Costello.

Le ténor, en effet, bien que pourvu lui aussi d’une bonne musicalité, oublie trop souvent d’alléger l’émission. A ainsi abuser de vaillance, il accuse quelques moments de raideur, voire de faiblesse, dans les ensembles notamment. Il sait heureusement retrouver l’art des nuances lorsque survient « Una furtiva lagrima » et la fameuse romance se nimbe alors de la grâce qui assure, depuis plus de cent ans, son charme et sa gloire.

Nigel Smith, transformé de manière comique en Chantecler de sous-préfecture, occupe comme il convient l’espace de sa haute stature. Il prête à Belcore une belle voix, saine et solide. C’est largement suffisant ; le rôle est un faire-valoir, rien de plus.

Nous savons, depuis l’article de Camille De Rijck sur le sujet, que la basse bouffe « est une catégorie vocale fantasque, pour ne pas dire inexistante ». Il s’agit d’une voix grave doublée d’un tempérament comique, typologie à laquelle peuvent répondre aussi bien un baryton lyrique qu’une basse chantante. Mais pas seulement ; il faut aussi une technique particulière composée d’un sens de l’élocution hors pair - ce fameux débit de mitraillette – et d’une maîtrise des effets - parlando, falsetto, etc. – auxquels doivent d’ailleurs participer les extrêmes de la tessiture, le grave ronflant comme l’aigu claironnant. Ces caractéristiques appartiennent à Dulcamara ; elles ne sont hélas pas les qualités premières de Till Fechner. La silhouette demeure cependant sympathique.
Tout comme celle de Laure Baert, fraîche et fringante Giannetta, un peu débordée malgré tout dans les ensembles en raison de la minceur de la voix et de son faible volume sonore.

L’orchestre et les chœurs enfin n’appellent aucun reproche, au contraire même. La direction de Paolo Olmi sait se montrer discrète mais efficace, marteler en évitant la trivialité des accents militaires, trouver le style entre ironie, tendresse et gaîté.

L’ovation qui accueille le tomber de rideau final apparaît alors comme une évidence. Le public à travers ses applaudissements donne raison à Omar Porras qui voit dans L’elisir d’amore « une revanche de l’opera buffa, une preuve que ce genre réputé léger peut encore livrer un message à la fois plaisant et universel ». Mais, mieux encore, sans le vouloir, le metteur en scène fait une autre révélation ; il transforme le philtre d’amour de Donizetti en un véritable antidote au poison qu’à partir des mêmes ingrédients - la légende d’Yseult - Wagner distillera trente ans plus tard.



Christophe RIZOUD

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