C O N C E R T S 
 
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PARIS
26/12/02

© Eric Mahoudeau
(Susan Anthony)
DIE FRAU OHNE SCHATTEN

La Femme sans ombre

Opéra en trois actes (1919)
Musique de Richard Strauss
Livret de Hugo von Hofmannsthal

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine
Choeurs d'enfants de l'Opéra National de Paris

Der Kaiser : Thomas Moser
Die Kaiserin : Susan Anthony
Die Amme : Jane Henschel
Der Geisterbote : Bjarni Thor Kristinsson
Ein Hüter der Schwelle des Tempels : Karen Wierzba
Die Erscheinung eines Jünglings : Johannes Chum
Die Stimme des Falken : Karen Wierzba
Eine Stimme von oben : Elizabeth Laurence
Barak : Jean-Philippe Lafont
Seine Frau : Luana DeVol
Der Einäugige : Jochen Schmeckenbecher
Der Einarmige : Scott Wilde
Der Bucklige : Doug Jones
Die Stimmen der Wächter der Stadt :
Jochen Schmeckenbecher - Bjarni Thor Kristinsson - Scott Wilde
Fünf Kinderstimmen :
Karen Wierzba - Anne-Sophie Ducret - Edel O'Brien
Nona Javakhidze - Elizabeth Laurence

Direction musicale : Ulf Schirmer
Mise en scène et décors : Robert Wilson

Opéra Bastille, 26 décembre 2002



Die Frau ohne Schatten est entré au répertoire de l'Opéra National de Paris en 1972. La production proposée aux spectateurs du Palais Garnier jusqu'en 1980 semble avoir durablement marqué les esprits, et l'on comprend pourquoi : la distribution vocale de 1972 laisse rêveur : Leonie Rysanek, James King, Walter Berry et Christa Ludwig, dirigés par Böhm... Lourde référence pour les protagonistes de la nouvelle production proposée cette saison à l'Opéra Bastille. Après vingt-deux ans d'absence, le retour à l'affiche de l'ONP de l'oeuvre de Strauss et Hofmannsthal suscite donc l'effervescence.

Il faut dire qu'à la mise en scène, on trouve le chic-issime Bob Wilson. Chouchou de toute une frange d'esthètes lyrico-théatro-bobos, le metteur en espace venu d'Amérique attire le tout Paris et les emphases de la critique. On pourra lire que "dear Bob ne perfectionn[e] qu'une seule invention : la photocopieuse à mise en scène", mais aussi que "la projection scénique de Wilson ne relève ni du fantasme, ni de la tentation métaphysique, mais d'une esthétique de l'effleurement des signes dans la raréfaction des images"... D'accord... Mais c'était comment sinon ?

Robert Wilson signe une mise en scène dont il ne pourrait pas nier la paternité : noirs et bleus nuit irisés de couleurs vives superbes, maîtrise parfaite de savants éclairages, minimalisme sophistiqué... Et que l'on adhère ou pas au propos, on peut difficilement rester insensible à la beauté de certains tableaux.


© Eric Mahoudeau
(Luana DeVol, Jane Henschel, Susan Anthony)

En concevant sa mise en scène, Robert Wilson n'a pas perdu de vue l'analogie originelle qui existe entre La Femme sans Ombre et La Flûte enchantée, et la proximité esthétique avec son travail sur l'opéra de Mozart (si décrié et vite abandonné) est patente. On pensera aussi forcement à Butterfly : la Femme du teinturier porte sa robe ! Les gestes hiératiques des chanteurs - que les uns ou les autres exécutent avec plus ou moins de bonheur d'ailleurs... - finissent de signer cette mise en scène. En l'espèce, la patte wilsonnienne est pertinente, car le symbolisme onirique du livret de Hofsmannstahl s'accommoderait mal de naturalisme. Et la sobriété de la mise en scène a le mérite de laisser à la musique toute la place qu'elle mérite. Certaines pages envoûtantes sont superbement rendues. La violoncelliste solo Martine Bailly qui apparaît sur la scène en émergeant du sol est à ce titre un moment d'anthologie.


© Eric Mahoudeau
(Thomas Moser, Martine Bailly)

Ulf Schirmer dirige avec force un orchestre fourni, puissant et nerveux, capable de sonorités subtiles et colorées. Parmi les chanteurs, Jane Henschel en Nourrice et Susan Anthony en Impératrice nous ont offert de beaux moments. Mezzo à la voix puissante et dense, Miss Henschel incarne avec intelligence son personnage. Son interprétation investie fait mouche, et elle recevra des applaudissements mérités. Quant à Susan Anthony, elle relève le défi avec les honneurs. Cela n'empêchera pas une poignée de pleutres, seulement capables de cacher leur veulerie dans la pénombre d'un fond de premier balcon, d'oser la siffler ! Le rôle de l'Impératrice est éminemment difficile, long et techniquement périlleux. Certes, Susan Anthony n'est pas Rysanek, certes, le saut (de près de deux octaves !) au III était douteux, mais son endurance, sa présence scénique, son timbre lumineux mâtiné de fragilité, en font un des grands sopranos dramatiques du moment. On reconnaîtra à Luana De Vol seule sa belle aptitude à la maîtrise du mouvement scénique wilsonnien... Car sa voix est flanquée d'un vibrato absolument rédhibitoire. Sans doute fatigué, Thomas Moser a déçu. Malgré sa belle musicalité, son interprétation est restée en retrait. Le Toulousain Jean-Philippe Lafont est si peu à l'aise avec cette mise en scène dont il s'affranchit d'ailleurs allégrement, gesticulant, allant et venant comme bon lui semble, qu'il se blessera au deuxième acte en trébuchant dans une trappe mal fermée. Visiblement affecté, il assurera néanmoins le dernier acte, se soutenant à l'aide d'une canne. Son courage, ajouté à une composition peu orthodoxe mais incarnée, et à une évidente circonspection toute gauloise vis à vis de la mise en scène, a conquis le public parisien et lui vaudra une belle ovation au rideau final.

Au-delà des polémiques, réjouissons-nous donc de retrouver La Femme sans Ombre à l'Opéra de Paris, dans une production où les tics du metteur en scène ne manquent certes pas, mais objectivement de belle qualité.
 
 

Guillaume Rouvery
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