C O N C E R T S 
 
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MILAN
06/04/03
Wolfgang Amadeus Mozart (1756 - 1791)

Fidelio

Opera de Ludwig van Beethoven
 

Waltraud Meier : Fidelio / Leonora
Robert Dean Smith : Florestan
Eike Wilm Schulte: Pizarro
Hans Tschammer: Rocco
Eva Lind : Marzelline 
Ildar Abdrazakov : Don Fernando
Matthias Klink : Jaquino
Alfredo Nigro : 1er détenu
Ernesto Panariello : 2ème détenu

Mise en scène : Werner Herzog
Décors : Ezio Frigerio
Costumes : Franca Squarciapino

Choeurs et Orchestre de la Scala de Milan
Direction : Riccardo Muti

Milan, Teatro degli Arcimboldi, le 6/4/2003



SCENES DE MENAGE DANS UN OPERA DE BANLIEUE
 

Précédemment proposée à la Scala en ouverture de la saison 1999/2000, cette production de nous revient au Teatro degli Arcimboldi cette fois, dans une distribution quelque peu modifiée.

Waltraud Meier retrouve le rôle-titre et c'est une grande déception. En effet, et avec tout le respect que l'on doit à cette artiste, il faut bien avouer qu'elle n'a plus les moyens du rôle. "Abscheulicher!", en particulier, est franchement pénible : aigus en dessous, graves désintégrés, vocalises approximatives, timbre sec... seul le métier sauve Meier de la débâcle.

L'incarnation dramatique, peu aidée par une mise en scène qui se limite plutôt à une mise en place, reste également très "premier degré", malgré un engagement certain de l'artiste.

A l'inverse, voix ample et belle, Robert Dean Smith triomphe aisément d'une tessiture difficile. Le seul reproche qu'on pourrait lui faire, c'est qu'il chante décidément trop bien pour être crédible dans ce rôle de prisonnier désespéré, ravalé au rang d'animal ! Lui fait défaut cette communion avec le personnage qu'on n'a guère trouvée depuis Vickers : une bonne interprétation donc, mais pas une incarnation.

Dans un rôle où beaucoup de chanteurs se contentent "d'aboyer", Eike Wilm Schulte est une bonne surprise en Pizarro, d'autant que physiquement, il n'a pas l'air de première jeunesse : voix bien timbrée, respect scrupuleux de la partition, jeu évitant la caricature... c'est vraiment du très bon travail.

Les petits rôles sont excellemment tenus et les choeurs irréprochables : on notera en particulier l'intervention d'Eva Lind en remplaçante de dernière minute dans le rôle de Marzelline et l'agréable Jacquino de Matthias Klink, même s'il est douteux que sa voix puisse porter jusqu'au fond de cette salle à l'acoustique franchement médiocre.

Représentant une gigantesque façade en briques à inclinaison variable, le décor unique mais mobile d'Ezio Frigerio est efficace à défaut d'être novateur, les costumes de Franca Squarciapino ajoutant à l'impression de déjà vu.

Dans ces conditions, on est en droit de se demander en quoi consiste la participation de Werner Herzog. En effet, le cinéaste n'affiche ici aucune originalité, pas la moindre touche personnelle, il n'apporte en fait rien de neuf à cette oeuvre et à peine un peu de métier dans la direction d'acteurs. Où est donc passé le talent de l'auteur d'Aguirre, de Kaspar Hauser ou de Fitzcaraldo ? Mystère... 

L'intérêt de la représentation vient une fois de plus de la direction de Riccardo Muti, qui renouvelle littéralement l'interprétation de cette oeuvre.

Créé dans sa version initiale en 1805, Fidelio se situe chronologiquement entre La Clémence de Titus de Mozart (1791) ou la Médée de Cherubini (1797) d'une part, et La Vestale de Spontini (1807) d'autre part. Ceci n'a pas empêché les plus grands chefs de "tirer" l'opéra de Beethoven vers les romantiques allemands plus tardifs, alors que Schumann ou Brahms naîtront près de 30 ans après la création de la première version de Fidelio.

Nous devons à cette tradition des pages orchestrales sublimes (certaines versions de l'ouverture Leonore III par Furtwängler, par exemple, sont proprement bouleversantes).

En revanche, ce parti pris crée un hiatus avec le reste de l'oeuvre, en particulier la première partie : on a alors l'impression d'un patchwork réunissant L'Enlèvement au Sérail et d'un poème symphonique de Brahms. Cette absence d'unité n'est certainement pas étrangère au relatif insuccès de l'oeuvre qui cherche encore son public alors qu'elle figure en bonne place dans n'importe quel ouvrage traitant de l'opéra (le soir du 6 avril, plusieurs centaines de places restaient libres; même les rangs à 10 et 20 Euros n'étaient pas complets !).

Fort de son expérience de la musique de Cherubini et de Spontini (compositeurs trop rarement joués qu'il défend et fréquente régulièrement) et bien sûr de celle de Mozart (où il excelle à mon avis bien plus que dans Verdi), Muti va réussir une étonnante symbiose.

Son génie (n'ayons pas peur des mots) va consister à "réduire la fracture" en donnant plus de force aux passages proches de l'"opéra-comique", sans se laisser entraîner dans l'hyper romantisme de Leonore III ou du "Choeur des prisonniers".

Grâce à la magie du "maître", nos yeux sont décillés et la partition, servie par un orchestre somptueux, acquière une homogénéité que nous ne lui connaissions pas. Une découverte, en somme.

Pour paraphraser Sacha Guitry à propos de Molière, nous pourrons donc conclure: 
- Quoi de neuf ?
- Beethoven !
 

Placido Carrerotti
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