C O N C E R T S 
 
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PARIS
29/12/03

© Mary Dunleavy
Johann STRAUSS

DIE FLEDERMAUS

Opérette en trois actes

Livret de Carl Haffner et Richard Genée
D'après Le Réveillon d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Dialogues de l'acte III adaptés par Coline Serreau

Mise en scène : Coline Serreau
Décors : Jean-Marc Stehlé & Antoine Fontaine
Costumes : Elsa Pavanelaud
Lumières : Geneviève Soubirou
Chorégraphies : Laura Scozzi ("Unter Donner und Blitz"),
Coline Serreau & Zanzibar ("Jucker Polka"),
free style des smurfeuses z'et breakers (1) ("Auf der Jadg") 

Gabriel von Eisenstein : William Joyner
Rosalinde : Brigitte Hahn
Prince Orlofsky : Béatrice Uria-Monzon
Adèle : Mary Dunleavy
Franck : Andreas Schneiber
Alfred : Gordon Gietz
Dr Falke : Andrew Schroeder
Dr Blino : Andreas Jâggi
Frosch : Bernard Alane
Ida :Jeanne Tremsal

Choeurs et Orchestre de l'Opéra de Paris

Direction : Rudolf Bibl

Opéra-Bastille, le 29 décembre 2003



CADENCES INFERNALES

Sous la direction d'Hugues Gall, l'Opéra de Paris alterne spectacles de prestige (ou se voulant tels) et soirées destinées à un public plus populaire. Avec 20 représentations entre décembre et janvier, on pouvait légitiment craindre que cette reprise ne tombe dans la routine. Il n'en est rien et Bastille nous offre un spectacle très correct, conforme à ses objectifs.

William Joyner reprend le rôle créé en 2000 ; très à l'aise scéniquement, il convainc moins vocalement : l'abus de la voix mixte rend la tierce aiguë un peu terne. Il fait ainsi pâle figure à côté de l'Alfred de Gordon Gietz dont on regrette que le rôle soit si court. Voix légère, mais timbre éclatant, une vraie présence théâtrale sans cabotinage, en un mot : idéal.

Brigtte Hahn enfourche pour les douze premières représentations le rôle de Rosalinde : après sa série de Comtesse des Noces quelques mois plus tôt, ça frise l'abattage ! C'est d'ailleurs dans ce sens que le terme vient à l'esprit : d'abattage, Mme Hahn n'en a guère et sa Rosalinde est une triste et pénible ménagère qu'on n'a guère envie de plaindre. Avec une pareille épouse à la maison, tout le monde peut comprendre que le mari aille s'amuser ailleurs !

Vocalement, ce n'est guère plus enthousiasmant. Rien de catastrophique pour un public béotien : des graves relativement inaudibles, un aigu trop couvert et mat, un suraigu unique et faux... Tout cela passerait si on sentait une flamme (et non la flemme), une envie de donner et non de s'économiser. Hélas ! Rien.
Par comparaison, la soubrette de Mary Dunleavy brille sans difficulté : une jolie voix de colorature, rien d'exceptionnel, mais une artiste qui brûle les planches.
Béatrice Uria-Monzon réédite son Orlofsky, transformée par Colline Serreau en cancéreux en phase terminale (goutte à goutte et calvitie due à la chimiothérapie) : ce n'est pas nécessairement de très bon ton ("Chacun a son goût") mais peut se justifier à la lecture du livret (Le Prince ne dit-il pas qu'il donnerait tout pour retrouver sa jeunesse ?) Vocalement, rien à dire, en bien ou en mal : c'est un des rôles que Béatrice Uria-Monzon chante sans trop de problèmes.
Le rôle de Frank, le Directeur de la prison, sied particulièrement à Andreas Schneiber qui en a les rondeurs : un vétéran au métier solide, très à l'aise, dont j'aurais attendu sans doute un peu plus d'outrance, car ses finesses ont du mal à passer la rampe dans cette grande salle.
Déception pour le Frosch de Bernard Alane : une diction défectueuse rend son intervention pénible, malgré la sonorisation (2). Quand on doit faire un effort pour comprendre les mots d'une plaisanterie, elle n'est déjà plus drôle lorsqu'on a réussi à la reconstituer mentalement. De plus, le texte ne me semble pas avoir été retravaillé : les plaisanteries que j'ai finalement saisies étaient reprises des saisons précédentes : ah ah ah. 

La production de Coline Serreau est toujours aussi somptueuse, avec son spectaculaire changement de décors pour la prison. C'est suffisamment rare à Bastille pour qu'on s'en réjouisse.
Les chanteurs sont bien dirigés, les mouvements bien rodés : impeccable.
Un bémol sur les allusions au nazisme (une chauve-souris à l'étoile jaune durant l'ouverture, des prisonniers qui forment une croix gammée tournante....), dont on ne voit vraiment pas ce qu'elles viennent faire là (3)

Le ballet (4) est toujours le moment le plus enthousiasmant de la soirée : le premier morceau est d'un comique irrésistible et les smurfeurs ont beaucoup de talents. Au-delà d'un plaisir indéniable, la raison oblige à relever une certaine facilité : tout ceci n'a rien à faire dans la Chauve-souris et les smurfeurs courent les productions lyriques ; tant qu'on y est, pourquoi ne pas intercaler un sketch de Bigard ou des extraits de Mission Cléopâtre ? Succès garanti.

La direction musicale est assurée par Rudolf Bibl : pas de génie, mais la conduite sûre d'un vieux routier. 

Le public ne délire pas, mais sort satisfait ; je doute que beaucoup reviennent pour Saint François ou Katya Kabanova...
 

Placido CARREROTTI

Notes

(1) Comme disait Bossuet...

(2) Tous les dialogues parlés sont en effet sonorisés... alors que les voix ne le sont pas, comme chacun sait.

(3) Si l'on en croit les explications vaseuses du programme, la référence au nazisme se justifierait : 
* par les origines de Johann Strauss dont l'arrière-grand-père était juif (rien que ça), ce que les nazis se sont effectivement efforcés d'oublier ;
* par le bec jaune de la chauve-souris, qui ne serait que le chapeau jaune dont on obligeait les Juifs à se couvrir aux temps anciens...
En ce qui concerne le premier point, on voit mal le rapport, d'autant que l'oeuvre est inspirée d'une pièce de Meilhac et... Halévy ( !), elle-même tirée d'une pièce allemande de Benedix, La Prison ; à ce train là, tout opéra d'un compositeur d'origine juive devrait avoir droit au même traitement et j'attends avec impatience la prochaine production de L'Africaine de Meyerbeer.
Le "bec jaune" est, psychanalytiquement parlant, plus intéressant. Malheureusement, le "judenhut", auquel il est fait référence, était un chapeau, certes jaune, mais arrondi et légèrement aplati ; rien à voir avec les masques coniques de l'Inquisition espagnole avec lesquels Coline Serreau les aura vraisemblablement confondus.
 

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