C O N C E R T S
 
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PARIS
20/02/2006
 
© DR

Récital Juan Diego Florez
Vincenzo Scalera, piano

Wolfgang Amadeus Mozart
Die Zauberflöte : « Dies Bildnis»
Così fan tutte : «Ah, lo veggio»
Don Giovanni : « Il mio tesoro»

Gioacchino Rossini
L’esule
Il Turco in Italia : « Intesi: Ah! Tutto intesi »

Vincenzo Bellini
Malinconia
Vanne o Rosa fortunata
Per pietà’ bel idol mio

Gaetano Donizetti
Linda di Chamounix : «Linda! Si ritiro’»
Lucrezia Borgia : «T’amo qual s’ama un angelo»

Bis
Rossini : Il Barbiere di Siviglia : «Cessa di più resistere» (extrait)
Verdi, Rigoletto : «La donna è mobile»
Massenet : Ouvre tes yeux bleus
Chanson péruvienne
Donizetti, La Favorita : « Spirto gentil »
Chanson péruvienne
Donizetti, La Fille du régiment : « Ah, mes amis » (extrait)

Les Grandes Voix
Théâtre des Champs-Elysées
Lundi 20 fevrier 2006

C’est pas le Pérou

En février 2000, Juan Diego Florez fait des débuts remarqués sur la scène du Palais Garnier dans L’Italiana in Algeri. L’année suivante, il incarne Fenton au Châtelet sous la direction de John Eliot Gardiner (avril 2001) et grave pour Decca un CD tout entier consacré à Rossini. En décembre 2002, il revient à Garnier dans l’un de ses rôle fétiches : Don Ramiro de La Cenerentola aux côtés de Joyce Di Donato, et obtient un triomphe amplement mérité.

Depuis, l’Opéra de Paris semble bouder le ténor péruvien (on l’attendait, en vain, dans une reprise du Barbiere) et c’est le Théâtre des Champs-Élysées qui a pris le relais. En octobre 2004, il y donne son premier récital qui fait la part belle à Rossini et lui permet d’exploiter pleinement ses indéniables qualités vocales : timbre solaire, aigus faciles et rayonnants, vocalises éblouissantes, non sans laisser entrevoir les limites de l’interprète que le programme de ce nouveau concert met en évidence. Un programme tout à fait excitant sur le papier, qui recèle nombre de pages que l’on a rarement l’occasion d’entendre sur scène.

A tout seigneur tout honneur -commémoration oblige - c’est Mozart qui ouvre la soirée. Il est certes toujours frustrant d’entendre ces airs accompagnés par le seul piano car l’orchestre y joue un rôle essentiel mais cette frustration est partiellement compensée quand le chanteur est dramatiquement concerné et possède pleinement l’art du clair-obscur et les nuances infinies que réclame cette musique. Hélas, ce ne sera pas le cas ce soir. « Dies Bildnis », extrait de Die Zauberflöte, tombe à plat. Où sont passées l’extase éblouie et l’exaltation de Tamino ? On n’entend ici qu’une romance sirupeuse et presque banale, un comble !

L’air de Don Ottavio souffre d’un manque de graves évident. La vocalise centrale chantée impeccablement dans un seul souffle ne saurait masquer la monotonie engendrée par l’absence de nuances et d’implication de l’interprète.

Seul « Ah, lo veggio » parvient à capter durablement l’attention. Juan Diego Florez sait rendre justice à cet air brillant de Ferrando qui ne comporte pas moins d’une douzaine de si bémol. Et quel plaisir d’entendre cette page si souvent coupée au théâtre.

Avec Rossini, le Péruvien retrouve ses marques. La mélodie L’esule est chantée avec goût à défaut d’émotion et l’extrait d’Il Turco in Italia couronné par un aigu final, un rien tendu cependant, déclenche l’enthousiasme du public.

Dans la seconde partie, la voix est davantage chauffée. Mais les trois mélodies de Bellini souffrent des mêmes carences que les airs de Mozart. Or il s’agit de pièces charmantes et sans prétention dont l’intérêt repose tout entier sur la sensibilité de l’interprète et sa capacité à varier les coloris. Point de vocalises acrobatiques ni de suraigus triomphants auxquels se raccrocher : ici, l’absence de nuances et d’émotion génère irrémédiablement l’ennui.

Les deux airs de Donizetti qui concluent le concert seront plus convaincants, notamment l’extrait de Lucrezia Borgia, entaché cependant par quelques fausses notes au piano. Tout au long de la soirée, Vincenzo Scalera sera un accompagnateur neutre mais efficace quoique parfois fâché avec la justesse.

Saluons la générosité du ténor qui offre ensuite rien moins que sept bis où se côtoient, pêle-mêle, Rossini, Verdi, Massenet, Donizetti et deux chansons péruviennes dont le chanteur ne manque pas de préciser qu’elles figurent sur son nouvel album (1).

De l’ensemble se détachent la mélodie de Massenet et l’extrait de La Favorita, n’était l’indifférence récurrente aux mots (la phrase « donna sleale », notamment).

Proposer un fragment d’air d’opéra, fût-ce en bis, peut se justifier si l’artiste en a donné l’intégralité au cours de son récital mais il est évident ici que le choix de la dernière section des airs d’Almaviva et de Tonio n’avaient pour but que de susciter l’ovation d’une partie importante du public venue essentiellement pour entendre un festival de contre-notes.

Juan Diego Florez est parvenu jusqu’ici à éblouir grâce à une technique sans faille et un aigu généreux auxquels s’ajoute un indéniable charisme. Sans doute lui reste-t-il encore à accorder une plus grande importance au texte car le timbre, pourtant intrinsèquement séduisant, semble avare de dynamique et n’offre qu’une palette de couleurs limitée, qui l’empêche de rendre pleinement justice aux airs dont le seul intérêt ne réside pas dans la pyrotechnie vocale, surtout lorsque la voix est à nu, privée du soutien de l’orchestre et de jeu scénique.

En février 2007, le ténor péruvien reviendra sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées pour un récital tout entier consacré au bel canto où il partagera la vedette avec la mezzo-soprano Daniela Barcellona. Souhaitons que les faiblesses du récital de ce soir se seront entre-temps estompées.


Christian Peter


(1) En vente dans le hall du théâtre, naturellement…
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