OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
BRUXELLES
14/06/2008

© Bernd Uhlig

Giuseppe Verdi (1813-1901)

La Forza del Destino
(La Force du Destin)

Opéra en quatre actes
créé à Saint Petersbourg le 10 novembre 1862

Livret de Francesco Maria Piave

Mise en scène, Dirk Tanghe
Décors et costumes, Richard Hudson
Lumières, Fabrice Kebour

Il marchese di Calatrava, Alessandro Guerzoni
Donna Leonora di Vargas, Eva-Maria Westbroek
Don Carlo di Vargas, Vassily Gerello
Don Alvaro, Zoran Todorovich
Preziosilla, Marianne Cornetti
Padre Guardiano, Carlo Colombara
Fra Melitone, José van Dam
Curra, Carole Wilson
Un alcade, Roberto Accurso
Mastro Trabuco, Alexandre Kravets
Un medico, Tijl Faveyts

Orchestre et Choeurs de la Monnaie

Direction musicale, Kazushi Ono
Chef des Chœurs, Piers Maxim

Théâtre de la Monnaie, 14 juin 2008

Cruel Destin !


Comment monter La Force du Destin aujourd’hui ?

La question se pose car l’ouvrage pose un certain nombre de problèmes : d’abord une grande hétérogénéité (l’œuvre mêle allègrement le tragique le plus sordide et les interludes comiques, avec les personnages de Fra Melitone et Trabuco) ; ensuite un pathos aujourd’hui un peu démodé et une intrigue un peu tirée par les cheveux (qui peut croire à une telle accumulation de « hasards » tragiques : le coup de pistolet qui part tout seul et tue le père de Leonora, l’amitié qui se noue entre les deux ennemis avant qu’ils ne s’aperçoivent de leur erreur, Alvaro qui se réfugie dans le même monastère que Leonora… on pourrait multiplier les exemples !).

La réponse apportée par Dirk Tanghe dans cette production est loin d’être satisfaisante. Car à la pluralité des intrigues, le metteur en scène et son décorateur répondent par une uniformité grisonnante et lugubre. Le décor se résume à une succession de murs qui bloquent toute perspective et cantonnent les chanteurs à l’avant scène. Aucun accessoire, aucun élément ne vient réellement perturber cette grisaille plongée dans une demi-pénombre permanente. Il est évident qu’ainsi les passages comiques peinent à ressortir !

La mise en scène proprement dite n’apporte pas non plus pas de solution cohérente dans son approche. Entre un premier degré mélodramatique et une distance ironique, le metteur en scène semble avoir renoncé à faire un choix… Les chanteurs, comme laissés à l’abandon , chantent le plus souvent au devant de la scène, face au public. Comment dans ces conditions croire et compatir aux malheurs des personnages poursuivis par leur « Destin » cruel ?

Visuellement, donc, un spectacle bien peu convaincant... Mais heureusement pour nous les oreilles auront davantage été à la fête !

Réunir un cast réussi pour cette œuvre est pourtant une gageure. Il faut des chanteurs de premier plan et de vraies personnalités pour donner vie à cette histoire un rien bancale.

On applaudit à deux mains certains des comprimarii réunis ce soir, au premier rang desquels brille la Preziosilla de Marianne Cornetti. Le tempérament de feu de la chanteuse fait mouche ! Elle semble quasi idéale pour ce rôle : elle en maîtrise parfaitement tous les aspects, l’abattage, la virtuosité et la tessiture. Après avoir triomphé en Azucena (notamment à Parme en 2006) la chanteuse américaine démontre ici encore sa grande affinité avec le répertoire verdien.

Le Padre Guardiano de Carlo Colombara enthousiasmerait presque autant : la couleur sombre du timbre est magnifique et on regrettera seulement des aigus blanchis.

On se montrera en revanche plus réservé face au Fra Melitone de José Van Dam : la voix usée peine dès le haut medium et il ne reste de son passé glorieux que quelques éclats fugaces. De plus, le personnage (sûrement desservi par la mise en scène) peine à faire sourire.

Mais passons au trio principal. La prise de rôle d’Eva-Maria Westbroek était l’un des attraits du spectacle. La cantatrice ne déçoit pas… sans toutefois convaincre totalement. On retrouve le riche medium et la belle homogénéité que l’on avait pu admirer à Paris en Elisabeth de Tannhäuser ou en Chrysothemis d’Elektra. On note toutefois ici des tensions dans l’aigu que l’on n’avait pas remarqué auparavant. Mais surtout l’incarnation pêche par une certaine placidité dramatique… La cantatrice semble enfin se libérer au quatrième acte, délivrant un « Pace, pace, mio Dio » frémissant.


© Bernd Uhlig

Son amant, Zoran Todorovitch, fait tout d’abord craindre une interprétation monolithique, par un chant forte un peu brut. Mais le chanteur prouve très vite qu’il sait aussi alléger son émission ; on découvre alors un timbre séduisant… Avant que le chant en force ne revienne ! Mais malgré quelques aigus un peu bas, son interprétation de ce rôle lourd est au final une réussite.

Le Carlo de Vargas de Vassily Gerello ne peut faire montre des mêmes atouts. On lui accordera une belle facilité dans les aigus, mais, en contrepartie, le medium est mince et le timbre anonyme.

Au final, cette soirée accueillie bien fraîchement par un public de La Monnaie avare en applaudissements, aura séduit par son casting équilibré. Laissons simplement à Eva-Maria Westbroek un peu de temps pour mûrir sa Leonora … et gageons que ses retrouvailles avec ce rôle, prévues en septembre 2010 à Vienne, feront des étincelles !

Antoine Brunetto


___

(1) Seul le 3ème acte échappe à cette uniformité : le décorateur parsème la scène de quelques souches d’arbres pour simuler le champ de bataille.

(2) Les mouvements du chœur, plus élaborés, semblent l’avoir davantage intéressé.
(3) Les aigus, notamment sont d’une puissance et d’une facilité étonnante.
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]