C O N C E R T S 
 
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PARIS

29/10/02

 
Boris Godounov

Modeste MOUSSORGSKY

"version de 1872-74"

nouvelle production

Direction musicale: James Conlon
Mise en scène: Francesca Zambello
Décors et costumes: Wolfgang Gussmann
Lumières: Franck Evin
Chorégraphie: Denni Sayers
Chef des choeurs: Peter Burian

avec :
Boris : Julian Konstantinov
Fiodor : Anke Vondung
Xenia : Ekaterina Morosova
La Nourrice : Irina Bogatcheva
Chouïsky : Konstantine Ploujnikov
Chtchelkalov : Sergei Murzaev
Pimène : Vladimir Matorine
Dimitri : Robert Brubaker
Marina : Olga Borodina
Rangoni : Valeri Alexeev
Varlaam : Vladimir Ognovenko
Missaïl : Alexandre Podbolotov
L'Aubergiste : Irina Tchistiakova
L'Innocent : Vsevolod Grivnov
Nikitich : Igor Matioukhine
Mitioukh : Yuri Kissin
Le Boyard Krouchtchev : Olivier Berg
Un boyard : Grzegorz Staskiewicz
Lavitski : Sergei Stilmachenko
Tchernikovski : Josep Miquel Ribot

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine
Choeurs d'enfants de l'Opéra National de Paris
 

Paris, Opéra Bastille,
représentation du 29 octobre 2002



Monter Boris Godounov entraîne des choix de la part du chef d'orchestre et du metteur en scène, choix de version et d'orchestration. Pour cette nouvelle production, le programme nous indique "Version de 1872-74", mais en fait, il s'agit d'un mélange des deux versions principales (1869 et 1872), puisque nous voyons dans ce spectacle le tableau de la Cathédrale Ste-Basile, alors que celui-ci est absent de la version de 1872.Notons, pour expliquer ce "1872-74", que la deuxième version fut achevée en 1872, mais créée en 1874, avec des coupures. En tout cas, c'est l'orchestration de Moussorgsky qui a été choisie par James Conlon. On ne peut que se féliciter de ce choix, même s'il est maintenant acquis que le tripatouillage de Rimsky-Korsakov n'est plus qu'une curiosité.

Cependant, il faut que le chef réussisse à faire sonner cette orchestration sobre, rauque et brute. Ce n'est pas chose facile, une baguette inadéquate peut rapidement "appauvrir et ternir l'orchestre moussorgskien. C'est, hélas, exactement ce que l'on a eu à Bastille. Si James Conlon se targue (dans le programme ou à la radio) de bien connaître Moussorgsky, ce n'est pas pour autant qu'il réussit à exalter les composantes si particulières de son langage. Aimer une musique ne suffit pas à bien la servir.

Rarement on se sera autant ennuyé durant tout le Prologue, le 1er acte et le 2ème acte , et on sort au premier entracte assez consterné... Si l' acte polonais est mieux réussi, il n'en demeure pas moins plat dans l'ensemble (le caractère très rythmique de sa musique n'est pas suffisamment mis en valeur). Bref, non seulement James Conlon ne réussit pas à faire sonner 
l'orchestre de Moussorgsky (il a pourtant à sa disposition l'un des plus beau orchestres de France !), mais sa direction est vide, inintéressante, voire soporifique.

Plus graves encore sont les coupures qu'il effectue dans la partition : dans le Tableau des Appartements sont supprimées la chanson des enfants avec la nourrice et la scène du Perroquet (deux passages introduits en 1872, alors que le programme nous annonce justement la version de 1872 !), de même que le dialogue entre Rangoni et Dimitri dans l'acte polonais, ce qui amoindrit considérablement le côté conspirateur du personnage de Rangoni (et réduit le nombre de phrases qu'il chante !)... Notons que ces coupures ne figurent pas dans le texte du livret reproduit dans le programme, qui offre donc la totalité du livret de 1872. Il y a là un certain laisser-aller surprenant de la part d'une maison comme l'Opéra de Paris.

Irritant également, le choix de la fin du tableau de la Cathédrale Ste-Basile. Ce tableau, superbe, a été écarté par Moussorgsky dans la verion de 1872. Mais il est tellement beau, musicalement et dramatiquement (c'est le seul face-à-face "réel" entre Boris et le peuple), qu'il est joué malgré tout lorsque la version de 1872 est représentée. C'était donc la cas ici. Si Moussorgsky a supprimé ce tableau dans la version de 1872, il s'est servi d'une partie de sa musique (épisode de l'Innocent) pour son nouveau tableau final (la Forêt de Kromy). Dès lors, quand on choisit de jouer les deux tableaux (Ste Basile et Kromy), la scène de l'Innocent apparaît à deux reprises. Pour éviter cette répétition, on choisit alors de couper cet épisode en deux : la première partie (l'Innocent avec les enfants) est jouée dans le tableau de Ste-Basile, et la seconde partie (la plainte de l'Innocent) à la toute fin du dernier tableau. Cette solution est tout à fait valable, tant musicalement que dramatiquement. Conlon, lui, choisit de faire jouer la plainte à la fin de Ste-Basile, et à la fin de Kromy. On entend donc deux fois exactement la même musique, et, dramatiquement, la "seconde" plainte de l'Innocent perd toute sa force et son impact...

Bref autant de choix qui me paraissent vraiment agaçants, et si l'on ajoute la direction atone dont on a parlé (et de fréquents décalages fosse-scène), cela fait beaucoup... James Conlon ayant déjà "loupé" sa Khovanchtchina l'an dernier (sans parler, par exemple, d'un Parsifal complètement amorphe), il devient décidément un chef à fuir dans ce répertoire.

Mille fois hélas, ce n'est pas la mise en scène de Francesca Zambello qui rattrape la mise. Rien de transcendant là encore, quelques incongruités de ci de là pour nous réveiller dans une soirée décidément bien ennuyeuse : les costumes curieusement argentés (plutôt laids) de la famille impériale, la cellule en forme de télévision de Pimène (qui avance et recule en début et fin de tableau, gadget inutile), la Douma ressemblant à une salle de classe (avec le fauteuil du tsar tout droit sorti de chez Habitat ou Ikea), l'Innocent sans bonnet de fer (sur quoi tapent donc les enfants en disant "dzin dzin dzin, comme ça sonne bien" X ?), sa présence soudaine et incongrue pendant la mort de Boris. PlusX incompréhensible encore est le tableau de la Forêt de Kromy qui reprend des éléments deX décor de l'acte polonais: mêmes colonnes marbrées, mais elles sont cette fois à terre, comme si on les avait renversées (pourquoi donc ? c'est justement grâce à l'appui de la Pologne que Dimitri peut se saisir de la Russie...), l'arrivée trop grandiloquente de Dimitri et Marina à la fin de ce même tableau (il me semble qu'à ce moment-là, Marina doit rester dans l'ombre de Dimitri, le peuple russe ne semble en effet pas enchanté que la Pologne intervienne dans ces événements, pourquoi alors s'acharneraient-ils ainsi sur des jésuites, représentant la religion polonaise, comme ils le font juste auparavant ?).

Quant à la direction d'acteurs, elle est pratiquement inexistante, sinon parfois illogique, le plus flagrant étant le personnage de Pimène, complètement raté: nous voyons un homme gigotant dans tous les sens, bien loin du moine sage et savant, au soir de sa vie...

On pouvait espérer que les chanteurs et les choeurs allaient compenser toutes ces aberrations. Las. Les choeurs, sans être indignes, me paraissent en baisse de régime, et la distribution n'enchante guère à quelques exceptions près, à commencer par Olga Borodina en Marina qui saisit dès qu'elle commence à chanter: "enfin une voix", se dit-on ! Certes l'aigu est un peu tiré, mais le timbre est splendide, l'autorité et l'aplomb sont tellement en phase avec le personnage, que l 'on est largement convaincu. Robert Brubaker (excellent Golitsyne de Khovanchtchina [italiques] la saison passée ici même) en Dimitri offre lui aussi une voix superbe, mais il chante pratiquement toujours forte, ce qui lasse, et ce qui a surtout pour conséquence de le priver d'aigus à l'acte polonais (était-il aussi en méforme ce soir là ?) : il chante une tierce plus bas certaines notes, ou bien chante les aigus "de profil", sans se tourner vers le public. C'est fort dommage, car je pense que nous tenions pourtant là un fort beau Dimitri. Le chef aurait davantage dû contenir tant d'énergie.

Totalement superbe par contre le Rangoni de Valeri Alexeev. Voix magnifique, incarnation très fine (il offre tout un arsenal de mimiques traduisant parfaitement le personnage), quel dommage (pour ne pas dire plus) que Conlon lui ait coupé toute sa scène avec Dimitri !...

Sur le plan des réussites, il faut également citer le très beau Chtchelkalov de Sergei Murzaev, le truculent Varlaam de Vladimir Ognovenko (malgré des aigus en arrière) accompagné d'un très bon Alexandre Podbolotov en Missaïl, tandis que le vétéran Konstantine Ploujnokov en Chouïski compense une voix usée par une intelligence musicale et dramatique remarquable. Irina Tchistiakova est une bonne Aubergiste, mais Irina Bogatcheva est une Nourrice plus transparente. Anke Vondung en Fiodor, et surtout Ekaterina Morosova, superbe Xenia, passent hélas difficilement la rampe.

Vladimir Matorine est complètement à côté du personnage de Pimène, la voix, certes solide, présente en outre un voile gênant qui l'assourdit. L'Innocent de Vsevolod Grivnov ne m'a pas convaincu. Même si le chanteur fait des efforts de nuances et de caractérisation, la voix est trop franche, trop lyrique pour un rôle qui réclame un timbre plus éthéré. Je choisis volontairement de terminer par le Boris de Julian Konstantinov, car il ne laisse pas un souvenir marquant. La voix est certes belle, mais elle a finalement peu d'impact. Quant à l'interprète, disons qu'il fait le minimum syndical.

Au final, un spectacle très décevant. Seul l'acte polonais apporte un peu de satisfaction. Ce n'est pas grand chose. Le public semble ne pas s'y être trompé : il offre bien peu d'applaudissements au rideau et reçoit Conlon sous quelques huées.
  


Pierre Denis
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