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PARIS
30/04/02

(Werner Güra) 
 

Récital Werner Güra

Franz Schubert
La Belle Meunière

Werner Güra, ténor
Jan Schultsz, piano

Théâtre des Bouffes du Nord
Mardi 30 avril 2002


Werner Güra s'est fait connaître grâce à l'étonnant Così fan tutte de René Jacobs, paru en 1999 chez Harmonia Mundi. Les opéras de Mozart constituent, avec la musique sacrée de Bach, l'essentiel de son répertoire, et c'est justement dans le rôle de Tamino que le public parisien l'a découvert, à Garnier, la saison dernière. À la même époque paraissait son enregistrement remarqué de La Belle Meunière, cycle qu'il propose aujourd'hui au Théâtre des Bouffes du Nord : les dimensions de cette salle si particulière qui favorise la connivence entre public et interprète sont idéales pour ce répertoire intimiste.

D'emblée, le ténor munichois séduit : présence chaleureuse, voix claire et bien timbrée, ligne de chant superbe (Wohin, admirablement phrasé), legato impeccable (Der Neugierige). La technique est sûre et l'artiste utilise à bon escient la voix mixte (délicatesse des aigus dans Am Feierabend). Ce qui frappe, c'est le naturel et la sincérité de l'interprète, qui incarne avec justesse et sans affèterie la jeunesse du héros, sa touchante naïveté, avec en écho le frais murmure du ruisseau subtilement suggéré par le pianiste.

Néanmoins tant de qualités ne peuvent masquer tout à fait les limites d'une tessiture étroite et d'une dynamique par trop restreinte : ainsi dans Ungeduld la voix plafonne dans l'aigu forte qui s'amenuise, ce qui altère passablement l'enthousiasme que ce lied doit exprimer. Le chanteur ne s'abandonne pas suffisamment à l'élégie dans Morgengruss, tandis que l'exaltation de Mein ! paraît bien timide. En outre, faute d'une palette de couleurs variées, Des Mullers Blumen et Tränenregen n'échappent pas tout à fait à la monotonie, qu'un entracte bienvenu dissipe rapidement.

Une interruption au beau milieu de La Belle Meunière peut sembler incongrue, voire dommageable lorsque l'interprète possède au plus haut point l'art si complexe du "liedersanger". Ici elle sert plutôt Güra, qui délivre dans la seconde partie un Der Jäger très impliqué et réussit à capter durablement l'attention jusqu'à la fin du cycle, culminant dans un Der Müller und der Bach somptueux et bouleversant d'intériorité. On peut regretter que le lied suivant, qui conclut le programme, demeure simplement mélancolique, sans que soit perceptible cette descente vers l'abîme qu'un Prégardien savait si bien restituer avec une économie de moyens stupéfiante à la Comédie des Champs-Élysées voici quelques années.
S'il manque encore à Güra la maturité et l'expérience de son illustre aîné, le talent et le charisme du jeune ténor emportent finalement l'adhésion et lui valent un succès bien mérité.

Au disque, Jan Schultsz offre à son partenaire une réplique de haut niveau sur un Bechstein dont les sonorités délicieusement fruitées s'accordent avec la voix juvénile du chanteur. Sur scène, il tire le meilleur parti de son Steinway, soulignant avec pertinence chaque affect : tendresse, mélancolie, désespoir, en totale complicité avec le soliste. Mais pourquoi cette tendance à cogner exagérément sur le clavier dès que la voix se tait (Eifersucht und stolz) ?

Un très beau concert, en dépit de quelques réserves qui ne sauraient obérer les qualités évidentes de deux musiciens sincères et doués.
 
 

Christian Peter
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