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PARIS
14/01/04

© Viêt-Linh NGUYEN
Georg Friedrich HAENDEL

L'Allegro, il Pensero ed il Moderato HWV 55

Katherine Fuge, soprano
Olga Pasichnyk, soprano
Mark Padmore, tenor
Peter Harvey, basse

Collegium Vocale Gent
Freiburger Barockorchester

Marcus Creed, direction

Mercredi 14 Janvier 2004 - Salle Gaveau



"Hâte-toi, Nymphe, et emmène avec toi / La raillerie et la gaîté de la jeunesse."

L'Allegro, il Pensero ed il Moderato (l'Allègre, le Pensif et le Modéré) est l'une des oeuvres vocales les plus étranges que le Saxon ait jamais composées. Créée en Février 1740, l'Allegro oscille entre oratorio et opéra : le livret, arrangé par Charles Jennens (le futur librettiste du Messie) dans la langue de Shakespeare, s'inspire d'un poème de Milton et s'apparente à une réflexion allégorique sur l'esprit humain, dénuée de toute dramatisation. D'ailleurs, les caractères ne sont pas, à chaque fois, confiés à un même chanteur. Par exemple, l'Allegro de soprano devient ténor, en passant par le choeur ou la basse. Le dialogue philosophique avance donc paisiblement, enchaînant les allusions mythologiques et les bergeries sentimentales. L'Allegro déroute donc, si bien que certains le considèrent comme un "oratorio profane" tandis que d'autres y voient plutôt une "ode pastorale".

Marcus Creed a réuni un plateau vocal de haut vol. On ne peut que s'extasier sur la beauté du chant d'Olga Pasichnyk, sa voix puissante et pleine, la rondeur des lignes mélodiques qui éclosent, vibrent puis s'évanouissent. Du "But oh, sad virgin" déchirant de tristesse avec un accompagnement de violoncelles solo à "Hide me from day's garish eyes" baigné dans une languissante torpeur, la soprano se montre impériale et inspirée. De même, les rares apparitions de Peter Harvey, notamment dans "Come, with native lustre shine", soulèvent l'enthousiasme par leur spontanéité et leur naturel. En revanche, dès les premières notes (un récitatif sans autre forme d'introduction instrumentale), Mark Padmore nous surprend par un timbre voilé, une voix fatiguée. Malgré cela, le célèbre ténor garde une prestance certaine, et se permet même une touche d'humour dans "Haste thee, nymph" où il "ricane" merveilleusement. Le point faible de la distribution vient de Katherine Fuge. "L'art de la Fuge" s'avère assez décevant et souffre cruellement de la comparaison avec Lynne Dawson (John Nelson, Virgin). L'artiste allie en effet les inconvénients d'une voix anémiée à une application frisant le déchiffrage. Dans "straight mine eyes hath caught new pleasures", elle lutte vainement contre un orchestre qui l'écrase tandis que les ornements de "Orpheus' self may heave his head" sont abattus au métronome.

Le Collegium Vocale Gent qu'on a si souvent entendu chez Bach est fidèle à lui-même : précis, homogène, monolithique. Le choeur excelle dans les mouvements vifs tels le triomphant "Populous cities please me then", accompagné par la trompette de Friedemann Immer, pionnier du temps d'Harnoncourt, dont l'instrument sonnait étonnamment juste ce soir-là (ah, où est donc passé le charme suranné de la trompette naturelle rutilante et jouant un quart de ton trop haut ?). Du côté de l'orchestre, Marcus Creed dirige la première partie de façon souple, douce et feutrée. Le Freiburger joue tout en nuances et en demi-teintes mais on ne peut s'empêcher de penser que le corset précieux dont on l'affuble l'agace. Après l'entracte, changement de décor : l'orchestre retrouve fougue et mordant, sacrifiant un peu de sa justesse. On croirait presque entendre Gardiner (Erato). Les attaques sont précises, les cordes grainées et cette impétuosité soudaine insuffle une sorte de dynamique au livret immobile. En bref, c'est un concert allègre dans sa seconde partie, pensif et modéré dans sa première...
 
 
 

Viêt-Linh NGUYEN
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