C O N C E R T S 
 
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BRUXELLES
13/09/03

Vivica GENAUX
Johann Adolph HASSE (1699-1783)

Marc' Antonio e Cleopatra 

Marc Antonio : Vivica Genaux, mezzo-soprano
Cleopatra : Laura Aikin, soprano

Concerto Köln 
Direction : René Jacobs
 

Bruxellles, Théâtre Royal de la Monnaie
Samedi 13 septembre 2003



Il était bien sûr tentant de profiter de la présence de René Jacobs, éminent spécialiste du belcanto, et de ses complices du Concerto Köln, réunis à Bruxelles pour Agrippina. Entre deux représentations, le public de la Monnaie a pu découvrir une rareté : Marc' Antonio e Cleopatra, véritable condensé de l'art vocal napolitain. L'idée était excellente et on se prend à rêver que demain soient programmés La Senna Festeggiante de Vivaldi ou Aci, Galatea e Polifemo de Haendel. Mais si elles sont plus modestes de proportions et requièrent des effectifs réduits, ces pièces n'en exigent pas moins des interprètes de tout premier ordre. Les distribuer représente un vrai défi que peu de productions relèvent avec succès. La sérénade de Hasse fut créée à Naples, en septembre 1725, par deux personnalités exceptionnelles, à l'aube d'une éblouissante carrière : Farinelli, âgé de vingt ans, campait la reine d'Égypte, et Vittoria Tesi, future abonnée aux rôles travestis, prêtait sa voix " de contralto forte et masculine" (Burney) au rival d'Octave. Entre héritage scarlattien et inspiration galante, l'ouvrage n'est pas révolutionnaire, mais il témoigne du solide métier du compositeur qui remporta un vif succès et reçut commande d'un opéra pour la cour de Naples (Hasse ménage quelques allusions flatteuses à l'empereur Charles VI et à son épouse Élisabeth dans le livret de la sérénade).

Propulsée sous le feu des médias européens grâce à un récital consacré au répertoire du plus célèbre castrat ("Arias for Farinelli" chez Harmonia Mundi), Vivica Genaux se produisait pour la première fois à la Monnaie mercredi et samedi derniers. C'est peut-être la beauté racée de son visage, mise en valeur par une coupe à la garçonne, le grain corsé, charnel et ambigu de son mezzo, allez savoir ! toujours est-il qu'on se surprend immédiatement à vouloir aimer cette chanteuse, dût-elle se révéler décevante. Phonogénique, la voix passe moins bien sur scène et paraît plus menue, le grave devrait s'étoffer, le trille gagner en variété, mais c'est surtout l'artiste qui se fait désirer. Même cette partition, a priori plus spectaculaire que bouleversante, lui offre l'occasion d'exploiter ses ressources expressives ; or, c'est la retenue qui prévaut, les affects sont à peine esquissés, alors qu'une réelle sensibilité affleure au détour d'une inflexion mieux sentie... Une méforme, légère mais perceptible, n'y est sans doute pas étrangère. La virtuose est plus à son affaire, mais, là encore, l'audace fait défaut. Néanmoins, la magie du timbre, le magnétisme - même affaibli - de la cantatrice et son potentiel excitent notre imagination : à quand une reprise du Solimano de Hasse, ressuscité par Jacobs au Staatsoper de Berlin ? A moins que le chef n'exhume une des nombreuses partitions du Saxon qui sommeillent encore...

Prudente, puis de plus en plus à l'aise dans la vocalisation, Laura Aikin a l'émission franche et l'aigu brillant ; dommage qu'elle n'ait qu'une couleur à faire entendre, claire et crue, et qu'elle se contente souvent de surligner le texte. Il faut dire aussi, à sa décharge, que nous attendions la plus délicieuse des Cléopâtre, hier Poppée glamoureuse (Agrippina), Sémélé ensorcelante ou sublime Angelica (Orlando) : Rosemary Joshua, qui a déclaré forfait. Contre toute attente, Laura Aikin sait pourtant se détendre et renoncer à ce chant droit, éclatant de santé, mais peu subtil, pour déployer des trésors de finesse dans sa grande aria di paragone ("Qual candido armellino"), où Cléopâtre se compare à la blanche hermine qui s'abandonne avec noblesse au chasseur. Malheureusement, le dialogue ne semble jamais vraiment se nouer au fil des récitatifs et les duos juxtaposent les solistes sans qu'ils se rencontrent. Il y a fort à parier que René Jacobs signe l'ornementation des reprises (1), laquelle se caractérise une fois encore par son originalité et son élégance. Comme chacun sait, le maestro est d'abord un chanteur et respire avec ses solistes. Sans surprise, l'accompagnement du Concerto Köln se montre efficace et parfaitement à l'écoute des divas du jour. 
 
 
 
 
 

Bernard SCHREUDERS


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(1) Il dirigeait l'ouvrage au Théâtre des Champs-Élysées voici deux ans avec, déjà, Vivica Genaux dans le rôle d'Antoine.

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