C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
COMPIEGNE
28/11/04

Isabelle Philippe
Haÿdée ou Le Secret

Opéra-comique en trois actes
de Daniel François Esprit Auber

Livret d'Eugène Scribe
D'après Six et Quatre de Prosper Mérimée
 

Production : Pierre Jourdan
Costumes : Jean-Pierre Capeyron
Scénographie : André Brasilier

Haÿdée : Isabelle Philippe
Lorédan : Bruno Comparetti
Domenico : Stéphane Malbec Garcia
Rafaela : Anne-Sophie Schmidt
Malipieri : Paul Médioni
Andrea Donato : Mathias Vidal

Choeurs Fiat Cantus
Direction Samuel Jean

Orchestre Français Albéric Magnard
Direction musicale : Michel Swierczewski 

Compiègne, le 28 novembre 2004



SECRETS DE FAMILLE

Après Manon Lescaut (Favart 1990), Gustave III en concert en 1991, Le Domino Noir en 1995 et Les Diamants de la Couronne en 1999, le Théâtre Impérial de Compiègne poursuit son travail de réhabilitation de l'oeuvre d'Auber.

En dehors de Compiègne, on compte peu d'initiatives similaires : un autre Gustave III en version scénique cette fois sous l'éphémère mandature de Laurence Dale à Metz (2003) et plus loin, une exceptionnelle résurrection de La Muette de Portici, à Ravenne (en plein air !), en 1991.
Haÿdée est le 38ème des quelque 47 ouvrages lyriques du compositeur, dont la production s'étend sur près de 70 ans ! Le problème d'une oeuvre aussi prolifique, c'est que tout n'y est pas du même niveau : d'authentiques chefs-d'oeuvre (comme Fra Diavolo, qu'il serait temps de remonter en France dans de bonnes conditions), y côtoient des ouvrages moins réussis.
Haÿdée fut un immense succès à sa création : près de 500 représentations à l'Opéra-Comique, et des reprises européennes triomphales. On sait le peu de crédit qu'il faut accorder à cet indicateur : Wagner (avec Tannhäuser) ou Bizet (avec Carmen) en firent à l'époque les frais. Un succès tenait parfois à un effet de mode, à une nouvelle danseuse dans l'inévitable ballet du troisième acte, et plus souvent encore à des décors et des costumes réussis.

En dépit de son succès passé, l'ouvrage ne m'a pas paru du même niveau que les pièces précitées. La faute à un livret inutilement compliqué pour un opéra, pauvre en situations dramatiques (le fameux "Secret" empêche justement les protagonistes de s'affronter), et finalement d'une grande banalité.

Par le passé, Lorédan a fait fortune au jeu en trichant sur un "quitte ou double" contre le père de Rafaela. De désespoir, celui-ci se suicide. Lorendan recueille sa fille, qui ne sait rien de l'affaire (voilà notre "Secret ") ; il cherche la mort dans les combats et y gagne gloire et fortune par son héroïsme ; il décide de faire de Rafaela sa femme afin que celle-ci hérite de ses biens à sa mort qu'il espère prochaine.

Toujours avant le lever du rideau, Haÿdée, une jeune esclave, a été libérée des mains des Barbaresques par les Vénétiens... pour se retrouver prise de guerre de l'odieux Malipieri, lieutenant de Lorédan. Lorédan rachète Haÿdée à Malipieri : ils s'aiment mais ne peuvent se l'avouer à cause de Rafaela (secret n°2). A noter qu'Haÿdée n'est pas n'importe qui, mais la fille d'un prince chypriote (secret n°3, qui n'a d'ailleurs absolument aucune incidence sur l'action).

Tous ces éléments (ou du moins assez de précisions pour qu'on reconstitue l'histoire), nous sont donnés dans un long monologue parlé de Domenico, absolument interminable.

Au cours d'une crise de somnambulisme (la seule scène franchement originale de l'ouvrage), Lorédan déballe toute l'affaire, malheureusement en présence de Malipieri. L'infâme individu entreprend de le faire chanter : son silence contre la main d'Haÿdée. Après quelques péripéties anecdotiques, tout est bien qui finit bien, Lorédan épousant Haÿdée, après avoir failli renoncer au titre de Doge pour réparer son infamie passée.

Peintre sensible des "petites" émotions, observateur ironique de ses personnages, Auber ne trouve nullement ici des situations conformes à cet art empreint de pudeur, faussement léger et qui fait de lui un compositeur foncièrement personnel. Il se rattrape avec une autre de ses spécialités, les airs purement brillants : mais même là, on l'a connu plus inspiré.

Malgré ses réserves, on passe une excellente soirée, la musique d'Auber se buvant comme du petit-lait, et l'ouvrage reçoit un accueil chaleureux d'une salle enthousiaste.

Le rôle-titre est un nouveau succès pour Isabelle Philippe, incontestable triomphatrice de la soirée. Aux qualités qu'on lui connaissait depuis sa Dinorah (musicalité, prononciation, vocalises impeccables et suraigus), ajoutez-y une maîtrise sutherlando-caballesque du souffle, nous gratifiant de diminuendi absolument époustouflant sur des suraigus, attaqués forte et terminés piano.

Créé par Gustave Roger (également créateur du Prophète et de La Damnation de Faust, excusez du peu...), le rôle de Lorédan est extrêmement aigu, exigeant une parfaite maîtrise du registre mixte et une endurance certaine. 

Bruno Comparetti l'aborde avec un réel panache et vient à bout de cette tessiture impossible tout en faisant preuve d'intelligence au niveau dramatique. Toutefois, le chanteur n'utilisant que le registre de poitrine, il a du mal à conserver une ligne de chant parfaite, sa fatigue générant certaines délicatesses avec la justesse.

Paul Médioni, au physique de "méchant de film noir" est un excellent Malipieri, détestable à souhait, aussi à l'aise dans les graves que ses confrères dans l'aigu.

Stéphane Malbec Garcia est également très bon dans le rôle héroico-comique de Domenico : dommage qu'il charge un peu trop dans les passages parlés.
Plus effacée, Anne-Sophie Schmidt tire sont épingle du jeu dans le rôle relativement mineur de Rafaela. Plus intéressant, le Donato de Mathias Vidal : un ténor au potentiel certain dans le répertoire léger.

L'Orchestre Français Albéric Magnard est absolument remarquable dans ce répertoire : voilà une phalange qui n'aurait pas à rougir de la comparaison avec des formations parisiennes plus connues. Le Choeurs Fiat Cantus est un peu discret d'autant qu'il se trouve dans la fosse : c'est plutôt un choeur d'oratorio, les voix étant un peu trop blanches pour l'opéra du XIXème siècle. Cette réserve faite, la formation est également remarquable de musicalité.

Le tout est dirigé avec passion et métier par Michel Swierczewski, déjà artisan de la réussite du Gustave III. Encore un très bon chef français qu'on souhaiterait revoir plus souvent.

Comparée au récent Noé, la production sent les restrictions budgétaires : costumes un peu chiches et belles toiles peintes, très sobres. Néanmoins, la magie opère grâce au professionnalisme de l'infatigable Pierre Jourdan qui mène son équipe à un nouveau triomphe public. Merci Monsieur Jourdan.
 
 
 

Placido Carrerotti
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]