SECRETS DE FAMILLE
Après Manon Lescaut (Favart
1990), Gustave III en concert en 1991, Le Domino Noir en
1995 et Les Diamants de la Couronne en 1999, le Théâtre
Impérial de Compiègne poursuit son travail de réhabilitation
de l'oeuvre d'Auber.
En dehors de Compiègne, on compte
peu d'initiatives similaires : un autre Gustave
III en version scénique cette fois sous l'éphémère
mandature de Laurence Dale à Metz (2003) et plus loin, une exceptionnelle
résurrection de La Muette de Portici, à Ravenne (en
plein air !), en 1991.
Haÿdée est le 38ème
des quelque 47 ouvrages lyriques du compositeur, dont la production s'étend
sur près de 70 ans ! Le problème d'une oeuvre aussi prolifique,
c'est que tout n'y est pas du même niveau : d'authentiques chefs-d'oeuvre
(comme Fra Diavolo, qu'il serait temps de remonter en France dans
de bonnes conditions), y côtoient des ouvrages moins réussis.
Haÿdée fut un immense
succès à sa création : près de 500 représentations
à l'Opéra-Comique, et des reprises européennes triomphales.
On sait le peu de crédit qu'il faut accorder à cet indicateur
: Wagner (avec Tannhäuser) ou Bizet (avec Carmen) en
firent à l'époque les frais. Un succès tenait parfois
à un effet de mode, à une nouvelle danseuse dans l'inévitable
ballet du troisième acte, et plus souvent encore à des décors
et des costumes réussis.
En dépit de son succès
passé, l'ouvrage ne m'a pas paru du même niveau que les pièces
précitées. La faute à un livret inutilement compliqué
pour un opéra, pauvre en situations dramatiques (le fameux "Secret"
empêche justement les protagonistes de s'affronter), et finalement
d'une grande banalité.
Par le passé, Lorédan
a fait fortune au jeu en trichant sur un "quitte ou double" contre le père
de Rafaela. De désespoir, celui-ci se suicide. Lorendan recueille
sa fille, qui ne sait rien de l'affaire (voilà notre "Secret ")
; il cherche la mort dans les combats et y gagne gloire et fortune par
son héroïsme ; il décide de faire de Rafaela sa femme
afin que celle-ci hérite de ses biens à sa mort qu'il espère
prochaine.
Toujours avant le lever du rideau,
Haÿdée, une jeune esclave, a été libérée
des mains des Barbaresques par les Vénétiens... pour se retrouver
prise de guerre de l'odieux Malipieri, lieutenant de Lorédan. Lorédan
rachète Haÿdée à Malipieri : ils s'aiment mais
ne peuvent se l'avouer à cause de Rafaela (secret n°2). A noter
qu'Haÿdée n'est pas n'importe qui, mais la fille d'un prince
chypriote (secret n°3, qui n'a d'ailleurs absolument aucune incidence
sur l'action).
Tous ces éléments (ou
du moins assez de précisions pour qu'on reconstitue l'histoire),
nous sont donnés dans un long monologue parlé de Domenico,
absolument interminable.
Au cours d'une crise de somnambulisme
(la seule scène franchement originale de l'ouvrage), Lorédan
déballe toute l'affaire, malheureusement en présence de Malipieri.
L'infâme individu entreprend de le faire chanter : son silence contre
la main d'Haÿdée. Après quelques péripéties
anecdotiques, tout est bien qui finit bien, Lorédan épousant
Haÿdée, après avoir failli renoncer au titre de Doge
pour réparer son infamie passée.
Peintre sensible des "petites" émotions,
observateur ironique de ses personnages, Auber ne trouve nullement ici
des situations conformes à cet art empreint de pudeur, faussement
léger et qui fait de lui un compositeur foncièrement personnel.
Il se rattrape avec une autre de ses spécialités, les airs
purement brillants : mais même là, on l'a connu plus inspiré.
Malgré ses réserves,
on passe une excellente soirée, la musique d'Auber se buvant comme
du petit-lait, et l'ouvrage reçoit un accueil chaleureux d'une salle
enthousiaste.
Le rôle-titre est un nouveau
succès pour Isabelle Philippe, incontestable triomphatrice de la
soirée. Aux qualités qu'on lui connaissait depuis sa Dinorah
(musicalité, prononciation, vocalises impeccables et suraigus),
ajoutez-y une maîtrise sutherlando-caballesque du souffle,
nous gratifiant de diminuendi absolument époustouflant sur
des suraigus, attaqués forte et terminés piano.
Créé par Gustave Roger
(également créateur du Prophète et de La
Damnation de Faust, excusez du peu...), le rôle de Lorédan
est extrêmement aigu, exigeant une parfaite maîtrise du registre
mixte et une endurance certaine.
Bruno Comparetti l'aborde avec un réel
panache et vient à bout de cette tessiture impossible tout en faisant
preuve d'intelligence au niveau dramatique. Toutefois, le chanteur n'utilisant
que le registre de poitrine, il a du mal à conserver une ligne de
chant parfaite, sa fatigue générant certaines délicatesses
avec la justesse.
Paul Médioni, au physique de
"méchant de film noir" est un excellent Malipieri, détestable
à souhait, aussi à l'aise dans les graves que ses confrères
dans l'aigu.
Stéphane Malbec Garcia est également
très bon dans le rôle héroico-comique de Domenico :
dommage qu'il charge un peu trop dans les passages parlés.
Plus effacée, Anne-Sophie Schmidt
tire sont épingle du jeu dans le rôle relativement mineur
de Rafaela. Plus intéressant, le Donato de Mathias Vidal : un ténor
au potentiel certain dans le répertoire léger.
L'Orchestre Français Albéric
Magnard est absolument remarquable dans ce répertoire : voilà
une phalange qui n'aurait pas à rougir de la comparaison avec des
formations parisiennes plus connues. Le Choeurs Fiat Cantus est un peu
discret d'autant qu'il se trouve dans la fosse : c'est plutôt un
choeur d'oratorio, les voix étant un peu trop blanches pour l'opéra
du
XIXème siècle. Cette réserve faite, la formation est
également remarquable de musicalité.
Le tout est dirigé avec passion
et métier par Michel Swierczewski, déjà artisan de
la réussite du Gustave III. Encore un très bon chef
français qu'on souhaiterait revoir plus souvent.
Comparée au récent Noé,
la production sent les restrictions budgétaires : costumes un peu
chiches et belles toiles peintes, très sobres. Néanmoins,
la magie opère grâce au professionnalisme de l'infatigable
Pierre Jourdan qui mène son équipe à un nouveau triomphe
public. Merci Monsieur Jourdan.
Placido Carrerotti