C O N C E R T S 
 
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STRASBOURG

05/12/02


(Le Prologue)
Crédit photo Alain Kaiser
Jacques OFFENBACH

Les Contes d'Hoffmann

Opéra fantastique 
en trois actes, un prologue et un épilogue

Livret de Jules Barbier
d'après le drame de Jules Barbier et Michel Carré

Direction musicale : Jan-Latham Koenig
Mise en scène et scénographie : Adriano Sinivia
Collaboration à la scénographie : Enzo Lorio
Costumes : Catherine Rigault
Lumières : Fabrice Kebour
Images : "Les Films de la Cité"
(Benoît Boussard, Dominique Bylebyl, Vincent Voulleminot)

Hoffmann : Jean-Pierre Furlan
Olympia : Mélanie Boisvert
Giulietta : Isabelle Cals
Antonia : Nicoleta Ardelean
La Muse, Nicklausse : Claire Brua
Lindorf, Coppélius, Dapertutto, Docteur Miracle : Vincent Le Texier
Spalanzani : Thomas Morris
Crespel, Luther : René Schirrer
Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz : Rodolphe Briand
Nathanaël : Guillaume Zabé
Hermann, Schlémil : Jean-Marc Salzmann

Choeurs de l'Opéra National du Rhin
direction : Michel Capperon

Orchestre Philharmonique de Strasbourg

Nouvelle production

Strasbourg, Opéra, 5 décembre 2002 (Première)


C'est un spectacle très original qu'il nous a été donné de voir à Strasbourg pour cette nouvelle production des Contes d'Hoffmann.
La mise en scène d'Adriano Sinivia montre une connaissance de la scène assez prodigieuse et nous avons là une sorte de "spectacle total" mêlant théâtre, mime, vidéo, opéra... Le mélange ne prendra pas toujours, mais ne cessera de fasciner.
L'accent est mis sur l'aspect fantastique de cet ouvrage, pas de décorum superflu mais trois structures : de grands gradins côté cour, un disque blanc au centre (support des vidéos, très belles, qui constituent un contrepoint à l'action), un immense miroir convexe côté jardin, (qui servira surtout pour l'acte de Venise, mais qui cache un tunnel d'où sortent les figures féminines), l'environnement est très sombre, évoquant un univers assez glauque. Rien de "traditionnel" donc dans cette optique qui fait penser au travail d'Olivier Py (par exemple dans son Freischütz ; je n'ai pas vu personnellement ses Contes d'Hoffmann à Genève la saison passée).

Nous le disions, le mélange des genres, s'il fascine, ne "prend" pas toujours. Le début est ainsi laborieux, trop de théâtre (la sonorisation des dialogues parlés permet un jeu sur la voix, parfois chuchotée), trop de vidéo, pas assez de musique (prélude orchestral coupé par des interventions parlées en voix off), il faut du temps pour entrer dans cette vision hors du commun : Hoffmann est un pauvre bougre, une sorte de Gainsbourg, qui traîne les pieds dans une taverne contemporaine à la Kubrick (le comptoir semble sorti de Shining), la muse devient un Niklausse un peu "drag-queen", les projections vidéos ne laissent aucun doute sur les pensées érotiques d'Hoffmann lorsqu'il évoque ses amours, et la mousse qui envahit une partie de la scène peut être, comme le suggère le metteur en scène lui-même, un symbole du sperme... Un univers glauque disions-nous, de déchéance aussi, voire de débauche (tel qu'on peut le trouver dans des films de Fassbinder, par exemple) qu'on peut cependant trouver un peu trop prononcé.
L'humour n'est pas négligé pour autant. Les personnages de Spalanzani ou de Frantz sont très bien "croqués", et Olympia est une "poupée" au sens moderne du terme : un mannequin Barbie, sans cervelle. Mais on sourcille, par exemple, sur le personnage de Cochenille, trop caricatural.
Par ailleurs, il faut louer une formidable direction d'acteurs, et une imagination scénique extraordinaire. L'acte d'Antonia est absolument remarquable, le climat démoniaque est parfaitement rendu et les images stupéfiantes, ainsi, tandis que le Dr Miracle fait voler dans les airs l'esprit de la mère d'Antonia, les objets se mettent eux aussi à voler dans tous les sens (vase, partition, tabouret, et même le piano à queue !). 
Je suis plus sceptique pour l'acte vénitien. Certes, l'univers de débauche est exalté, mais pourquoi Giulietta se retrouve-t-elle perchée en haut d'une immense robe ? Elle paraît ainsi inaccessible aux humains, alors qu'elle est une courtisane, donc a priori plutôt accessible!... La mise en scène jouera habilement malgré tout avec cet élément : une multitude de mains sortiront de cette robe, emprisonnant et caressant sensuellement Hoffmann, puis, pour embrasser Giuletta, Hoffmann sera obligé de monter sur la passerelle sur laquelle évolue Dapertutto au début de l'acte... En fait, rien n'est gratuit dans cette vision, l'intérêt est sans cesse mis en éveil, c'est un spectacle riche qui gagnerait à être vu plusieurs fois.

En ce qui concerne l'exécution musicale, précisons tout d'abord que le chef d'orchestre, Jan-Latham Koenig, a choisi la version Choudens, avec dialogues parlés. Il dirige de manière vive et nerveuse, mais sait aussi alanguir le discours, comme dans la Barcarolle. L'Orchestre Philharmonique de Strasbourg s'est montré en forme.
Jean-Pierre Furlan est un Hoffmann solide, plutôt à l'aise dans ce rôle difficile, mais on pourra trouver l'aigu un peu acide et la prononciation perfectible.
Mélanie Boisvert est une Olympia au physique idoine, mais la voix, assez petite, est touchée par un vibrato qui gêne la compréhension des vocalises, dont les piqués sont en outre parfois un peu faux. Son engagement scénique compense tout cela.
Isabelle Cals offre une belle Giulietta, qui réussit à varier par son chant ce qu'elle ne peut faire scéniquement, coincée en haut de son immense robe (dirigée par des techniciens !).
C'est cependant l'Antonia de Nicoleta Ardelean qui charme le plus parmi les trois figures féminines. La voix est riche et belle, l'actrice touchante, une réussite. Seule la prononciation française résiste encore à cette jeune chanteuse roumaine. En revanche, Claire Brua est beaucoup moins convaincante en Nicklausse/La Muse. Le vibrato est vraiment très gênant et le son semble rester dans les joues.
Vincent Le Texier incarnait les quatre figures diaboliques avec une autorité incontestable, un timbre beau, une prononciation claire, mais un chant un peu trop en force et des aigus difficiles. L'acteur est particulièrement brillant, jusqu'à se déchaîner en Dr Miracle.
Il faut encore noter un Rodolphe Briand remarquable, notamment dans l'air de Frantz, de même que René Schirrer en Crespel et Luther ainsi que le très bon Spalanzani de Thomas Morris. Katri Paukkunen semble par contre un peu à bout de souffle dans le personnage de la mère d'Antonia, mais il faut reconnaître que sa posture (elle était visiblement accrochée à un bras mobile la faisant évoluer dans les airs !) devait être assez inconfortable...
Les choeurs dirigés par Michel Capperon ont signé une belle prestation, et les nombreux figurants se mêlaient parfaitement à l'ensemble.

Il faut, enfin, féliciter l'équipe technique de l'Opéra du Rhin, très sollicitée dans cette production : elle a admirablement réussi - le fait n'est pas si fréquent lors d'une première - les nombreux effets spéciaux requis par une mise en scène singulière qui partage, mais dont on se souviendra.
  


Pierre-Emmanuel Lephay
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