C O N C E R T S 
 
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PARIS

20/09/02 & 13/10/02

 
Jacques OFFENBACH

Les Contes d'Hoffmann

Opéra fantastique en trois actes, un prologue et un épilogue
Livret de Jules Barbier d'après le drame de Jules Barbier et Michel Carré

Direction musicale : Jesus Lopez-Cobos
Mise en scène : Robert Carsen
Décors et costumes : Michael Levine
Mouvements Chorégraphiques : Philippe Giraudeau
Chef des choeurs : Peter Burian

Hoffmann : Luca Lombardo (20/09)
Neil Shicoff (13/10)
La Muse/Nicklausse : Kristine Jepson
Lindorf/Coppélius/Dr Miracle /Dappertutto : Bryn Terfel (20/09)
Laurent Naouri (13/10)
Andrès/Cochenille/Frantz/Pitichinaccio : Michel Sénéchal
Olympia : Désirée Rancatore
Antonia : Nancy Gustafson (20/09)
Ruth Ann Swenson (13/10)
Giulietta : Béatrice Uria-Monzon
La Mère d'Antonia : Nora Gubisch
Nathanaël : Jean-Luc Maurette
Spalanzani : Christian Jean
Hermann : Josep Miquel Ribot
Schlémil : Nigel Smith
Luther/Crespel : Alain Vernhes
Stella : Bambi Floquet

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris

Paris, Opéra Bastille, 20 Septembre et 13 octobre 2002



Carsen refait ses Contes
 

Somptueuse reprise des Contes d'Hoffmann à l'Opéra Bastille qui surpasse à bien des égards les deux séries précédentes : pour cette occasion, Robert Carsen a retravaillé avec la nouvelle équipe apportant à sa conception de l'oeuvre quelques modifications fort bienvenues. Rappelons que le metteur en scène place l'action tout entière à l'intérieur d'un théâtre, celui-là même où Stella triomphe dans Don Giovanni. Ainsi, durant le prologue, nous voyons passer sur le plateau une scène d'opéra où trône la statue du commandeur - symbole d'un au-delà menaçant - peuplée de choeurs en costumes espagnols avec au centre la prima donna.

Au fil de la représentation, nous reverrons cette scène sur la scène sous tous les angles possibles. Le premier acte se déroule dans les coulisses, avec pour toile de fond le rideau fermé, le second dans la fosse d'orchestre et le troisième dans la salle vue du proscenium, tandis que prologue et épilogue se situent dans le foyer face au bar tout en longueur.
Le tableau le plus réussi de cette mise en abîme est celui d'Antonia qui culmine avec l'apparition spectaculaire de la mère, fantôme blafard au costume élimé, évoluant sur la scène dressée à l'avant du plateau, tandis qu'en contrebas la jeune fille éperdue erre au milieu des instruments de musique. Le dernier acte, en revanche, privé de toute dimension fantastique, n'atteint pas les mêmes sommets. Les fauteuils rouges de la salle qui ondulent au rythme de la barcarolle prêtent à sourire plus qu'ils n'inquiètent. Il faut dire que cet acte est aussi le plus faible théâtralement, d'autant que l'Opéra nous en propose la version traditionnelle de l'édition Choudens caduque en bien des points.

Vocalement, le spectateur est à la fête avec, côté masculin, une distribution éblouissante.
Le 20 septembre, Luca Lombardo convainc indiscutablement dans le rôle titre : voix puissante et bien conduite, aigus claironnants, il fait évoluer son personnage de poète maudit de façon tout à fait idoine, avec une diction on ne peut plus intelligible. Ce chanteur, quelquefois inégal (son Tybalt à Orange l'été dernier avait déçu), trouve en Hoffmann un emploi adapté à ses moyens, et fait oublier aisément Janez Lotric (2000) et Marcus Haddock (2001).

Le temps semble ne pas avoir de prise sur la voix de Neil Shicoff. Bien qu'annoncé malade le 13 octobre, il a prouvé une fois de plus qu'il est toujours l'un des grands titulaires du rôle dont il offre un portrait saisissant et tourmenté. Oublions quelques approximations dans la prononciation qui surprennent dans un opéra qu'il chante depuis plus de 20 ans, et saluons la performance.

En véritable bête de scène, Bryn Terfel ne fait qu'une bouchée des quatre "méchants". La puissance de la voix, l'autorité du timbre et une présence scénique exceptionnelle lui permettent de dominer aisément le plateau : manipulateur de haute volée, chef d'orchestre (au deux) metteur en scène (au trois), les autres protagonistes semblent n'être entre ses mains que des pantins dont il tire toutes les ficelles. Cette incarnation impressionnante, alliée à une diction impeccable trouve son sommet dans l'acte d'Antonia dont le trio conclusif laisse le spectateur pantois et déchaîne une ovation amplement méritée ; elle rencontre en revanche sa pierre d'achoppement avec le "Scintille diamant", trop tendu, privé de nuances et de sensualité : ce Malin-là, tout d'une pièce, est plus démoniaque que séducteur. 

Il en va tout autrement avec Laurent Naouri qui confère à l'air de Dapertutto un timbre suave, une ligne de chant élégante et raffinée avec un sol aigu final parfaitement maîtrisé : à n'en point douter la fascination de Giulietta ne s'adresse pas seulement aux pierres précieuses qu'il lui tend ! Plus intériorisée, mais non moins cynique que celle de Terfel, sa quadruple interprétation est autrement subtile, et si la voix ne possède pas la même ampleur, elle est homogène sur toute la tessiture, d'une longueur peu commune.

Toujours sémillant près d'un demi-siècle après ses début, Michel Sénéchal se délecte des quatre rôles qui lui échoient en amusant le public, notamment dans les irrésistibles couplets de Frantz, tandis qu'Alain Vernhes est un luxe en Crespel et Luther.

Les dames ne sont pas en reste : la révélation de ces soirées est sans conteste la jeune américaine Kristine Jepson, déjà remarquée in loco dans Siebel en 2001 : Timbre clair, ligne de chant impeccable, sa muse troublante et son Nicklausse ambigu et mutin s'inscrivent dans la lignée de ceux d'Anne Sofie von Otter sous la baguette de Jeffrey Tate (EMI). Le choix de l'air alternatif "Voyez-la sous son éventail" (en lieu et place de l'habituel "Une poupée aux yeux d'émail") est particulièrement judicieux : sa tessiture convient mieux au mezzo-soprano et met particulièrement en valeur ses beaux graves, de plus son rythme hispanisant s'accorde avec les costumes des choristes. Au deux," Vois sous l'archet frémissant " est un modèle impeccable de legato.

Pour Natalie Dessay, Carsen avait imaginé une poupée nymphomane et exhibitionniste. Désirée Rancatore entre sans difficulté dans cette optique et campe une Olympia ébouriffante, en dépit de suraigus moins précis que ceux de sa célèbre consoeur. Mais ne boudons pas notre plaisir, sa voix, d'une aisance confondante est admirablement projetée, en outre son jeu, à des années-lumières des conceptions traditionnelles, nous offre des moments d'une drôlerie irrésistible. 

Remplaçant au pied levé Ruth Ann Swenson, souffrante le 20 septembre, Nancy Gustafson a déçu. Son Antonia tout à fait crédible scéniquement, lui pose désormais des problèmes dès le haut-médium, particulièrement tendu : la faute au répertoire plus lourd qu'elle a abordé récemment ? N'accablons pas une artiste, par ailleurs scrupuleuse, parachutée in extremis dans une production totalement inconnue pour elle.

Le 13 octobre, Swenson rétablie campe une Antonia d'anthologie : voix splendide, timbre rond, plein, généreux, aigus brillants et faciles, l'auditoire est subjugué dès son air d'entrée, "Elle a fui la tourterelle", l'un des plus beaux qu'il nous ait été donné d'entendre. Touchante et juvénile dans le duo avec Hoffmann, elle affronte crânement Miracle et suscite une émotion grandissante jusqu'au dénouement tragique. On se prend à regretter que les trois rôles ne lui aient pas été confiés ! Mais pourquoi donc les maisons de disques ne font-elles pas plus souvent appel à cette magnifique cantatrice ?

Fidèle à cette production depuis l'origine, Nora Gubish est un fantôme de la mère inquiétant à souhait. Il est urgent de distribuer cette belle artiste, qui a mis Montpellier à genoux l'été dernier avec Die Rheinnixen, dans un emploi à la mesure de ses grands moyens.

L'enthousiasme retombe quelque peu avec la terne Giulietta de Béatrice Uria-Monzon. La plastique impeccable de la cantatrice dans un costume très vamp hollywoodienne des années cinquante, ne saurait faire oublier un timbre devenu ingrat et des aigus sans charme, malgré de louables efforts dans la prononciation, moins pâteuse qu'à l'accoutumée.

Au pupitre, Jesus Lopez Cobos impose une direction souple et nerveuse, sachant distiller avec brio l'humour ("Elle a de très beaux yeux"), le lyrisme ("C'est une chanson d'amour"), et l'effroi ("Tu ne chanteras plus"). Quelques décalages avec les choeurs, étonnamment brouillons le 20 septembre, se sont estompés le 13 octobre.

Au total, malgré quelques réserves somme toute mineures, une reprise magistrale d'une oeuvre qui ne laisse pas de captiver.
 
 

Christian Peter
(Dominique Vincent)
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