C O N C E R T S 
 
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LIEGE
17/06/05

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LES HUGUENOTS

Opéra en 5 actes d'après Giacomo Meyerbeer
Livret d'Eugène Scribe et Emile Deschamps

Mise en scène : Robert Fortune
Décors : Christophe Vallaux
Costumes : Rosalie Varda
Eclairages : Jean-Michel Bauer

Raoul : Gilles Ragon
Valentine : Barbara Ducret
Marguerite : Annick Massis
Urbain : Marie-Belle Sandis
Saint-Bris : Philippe Rouillon
Nevers : Didier Henry
Marcel : Branislav Jatic
De Cossé : Guy Gabelle
Tavannes : Alain Gabriel
Méru : Roger Joakim
Maurevert : Léonard Graus
Bois-Rosé : Antoine Normand
Thoré : Patrick Delcour
Retz : Pierre Doyen

Orchestre et Choeurs de l'Opéra Royal de Wallonie
Direction : Jacques Lacombe

Liège, le 17 juin 2005

UNE SAINT BARTHELEMY MASSACREE

Etonnant Huguenots... On ne les monte plus guère ; quand on les donne, on les charcute, on les défigure... mais rien n'y fait : le succès est toujours au rendez-vous.

Pour cette édition liégeoise, l'Opéra Royal de Wallonie n'y est pas allé avec le dos de la cuillère : 2h50 de musique, soit près d'une heure de coupures. Et quelles coupures ! Ce n'est même pas un "best of" puisque certains des plus beaux passages passent à la trappe : un couplet de " La Blanche Hermine ", un de la " Chanson Huguenote " de Marcel, une grande moitié du duo Marguerite / Raoul, le début de l'acte III (ronde bohémienne entre autres), la totalité du duo Valentine / Marcel (un des sommets de la partition), une partie du septuor du duel, la première scène de l'acte V et une partie de la seconde... sans compter de multiples coupures dans les reprises, choeurs, cadences, etc. Un vrai massacre.
Coupures en longueur... mais aussi en hauteur !

Transposition de la "Blanche Hermine" d'un ton en dessous, aigus supprimés (en particulier la célébrissime cadence du duo de l'acte IV sur "Ah viens !" : qui songerait pourtant à couper les "Wälse" de Siegmund ou le "Amami Alfredo" de Violetta ?). 

Bref, Meyerbeer n'y retrouverait pas ses doubles croches. "Mais de qui est-ce ?" aurait même dit Rossini.

Et pourtant, au finale, un public enchanté et ravi se lève spontanément pour une standing ovation. Un public surpris et heureux de cette découverte (1).

Le plus rageant, c'est que bon nombre de ces coupures ne sont pas motivées par la volonté de limiter la durée de l'ouvrage (ce qui serait déjà contestable pour un théâtre qui donne sans mollir La Tétralogie de Wagner), mais surtout pour dissimuler les faiblesses d'une distribution insuffisante (2).
Champion toute catégorie, la basse Branislav Jatic : où était l'équipe dirigeante du Théâtre Royal le jour de l'audition ? Au bar du Théâtre ? Ce serait la seule explication crédible pour avoir laissé un artiste aussi médiocre se produire sur cette scène (3). Chantant faux, dépourvu de graves et d'aigus, incapable de vocaliser ou même de rester en rythme, respirant trois fois par phrase, l'individu (car on peut difficilement parler d'artiste) est responsable d'une bonne partie des coupures mentionnées.

Si Gilles Ragon déçoit, ce n'est pas là où on pouvait le craindre : on est loin du chanteur incapable de finir une seule Lakmé à l'Opéra-Comique. La voix s'est élargie tout en gardant le contre-ut et ce qui lui reste de rôle peut même faire croire au spectateur moyen, qui ne connaît pas l'ouvrage, que sa prestation est digne. 

Or, que de libertés coupables avec la partition, et jusque dans les détails : dès son entrée, Raoul conclut " Quel honneur d'être admis " sur un modeste aigu qui contraste avec les choeurs qui eux descendent. Fi des contrastes et le chanteur d'accompagner les choeurs dans leur note grave. Ne parlons alors même plus de la cadence déjà mentionnée.

Le timbre n'a rien de captivant, l'acteur est gauche : que diable allait-il faire dans cette galère ?

On pouvait attendre beaucoup de la Marguerite d'Annick Massis. Hélas et peut-être en raison de l'absence de concurrence, la chanteuse accommode elle aussi la partition, demeurant sur une réserve prudente. Or, il n'y a pas de colorature efficace sans prise de risque : en restant constamment dans sa zone de sécurité, l'artiste délivre une prestation indigne de ses moyens réels. D'autant que la chanteuse manque naturellement d'aura avec un timbre trop blanc et un jeu de soubrette ; le duo avec Raoul est d'ailleurs un modèle du genre : en fait de reine de France, on songe à une institutrice grondant un papa négligent.

Passons également sur l'Urbain assez insipide de Marie-Belle Sandis (comme le nom l'indique, elle n'est pas branchée en 220) qui délivre une version hybride entre les éditions mezzo et soprano de l'ouvrage, c'est à dire en choisissant ce qu'il y a de plus facile dans l'une et l'autre.

Nous sauverons du désastre la Valentine de la jeune Barbara Ducret. Non que la prestation soit exceptionnelle, mais les moyens sont là, utilisés au maximum ; et si la technique ne suit pas toujours, on ne peut qu'être impressionné par un engagement total au service du rôle.

Pour des raisons qui m'échappent, Philippe Rouillon n'a pas fait la carrière qu'il méritait (4). Les années ont un peu passé sur sa voix, mais la prestance est certaine et le personnage se tient.
Enfin, Didier Henry fait un tabac en Nevers, rôle pourtant sacrifié, réussissant à créer un personnage attachant malgré quelques limites vocales (là aussi le temps a commis son irréparable outrage).

Je ne m'attarderai pas sur la ribambelle des nobliaux, chantés avec des bonheurs divers par la troupe locale et manquant surtout de cohérence (il s'agit de rôles à la fois de solistes et de choristes).

Les choeurs valent en revanche qu'on s'y arrête : peu ou pas de ténors audibles, des sopranos aux abonnés absents... on a l'impression que Meyerbeer a écrit uniquement pour le registre des basses. Certes, une partie des chanteurs intervient dans la coulisse, mais de là à paraître à ce point inaudibles !

Comme si tout cela ne suffisait pas, le texte est occasionnellement changé ; quant au surtitrage, il est parfois surréaliste : sans doute une version flamande du livret retraduite en français (5).
La direction de Jacques Lacombe est efficace et bien dans le style : un des rares atouts musicaux de la production.

La mise en scène de Robert Fortune est en revanche une belle réussite malgré des moyens qu'on imagine limités. Beaux décors, superbes costumes, direction d'acteur soignée : cette production mériterait une reprise avec une distribution de qualité.

Un rendez-vous manqué donc. Les Huguenots de Metz ont amplement démontré que l'ouvrage " se tenait " sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à un plateau uniquement composé de stars, et sans le défigurer par des coupures excessives. Encore faut-il être capable de choisir ses chanteurs : c'est le principal reproche que nous ferons au Théâtre Royal, tout en le remerciant d'avoir monté cet ouvrage.
 
 

Placido CARREROTTI
Notes

1. 1. Il suffisait de prêter attention aux commentaires des spectateurs à l'entracte, ou même entre les précipités. J'aurai une pensée particulièrement émue pour mes deux voisins qui discutèrent avant le lever de rideau des mérites comparés du Così de Liège et de celui de Bruxelles avant de décider de voir les deux et qui ne furent pas les moins enthousiastes au finale, non sans avoir échangé des propos étonnés et louangeurs au fil de la représentation. Les bons ouvrages transcendent les chapelles.

2. Une partie des coupures a été décidée après la générale : le programme de salle n'a pas eu le temps de les mentionner dans son édition du livret (au contraire de la suppression de la scène 1 de l'acte V décidée bien avant).

3. Et qu'on ne me parle pas de restrictions budgétaires : l'excellent Philippe Kahn entendu à Metz ne doit pas coûter bien cher.

4. il chantait régulièrement les seconds rôles à l'Opéra de Paris dans les années 80 ; il eut l'honneur de faire l'inauguration du Théâtre Impérial de Compiègne avec un saisissant Henry VIII et depuis rien ou presque.

5. "Le voici ! C'est mon maître ! Le voici, le voici" est rendu par "Le voilà". "Attentifs et muets à ce signal d'alarme, dans l'ombre préparez vos soldats et vos armes" donne quelque chose comme "Restez immobiles".
 

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