C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]

......
STRASBOURG
OPÉRA DU RHIN

2 mai et 12 mai (2° et 6° représentation sur 8)

 
Le Prince Igor 

Alexandre BORODINE

Nouvelle production

Direction musicale  : Christian Arming
Mise en scène  : Alfred Kirchner
Décors et costumes  : Maria-Elena Amos
Chorégraphie : Johann Kresnik
Dramaturgie : Vera Sturm
Eclairages : Susanne Auffermann

Le Prince Igor - Eduard Tumagian
Iaroslavna - Elena Evseeva
Vladimir Igorevitch - Andrei Dounaev
Vladimir Iaroslavitch - Konstantin Gorny
Kontchak - Feodor Kuznetsov
Kontchakovna - Ellen Rabiner
Ovlour - Julius Best
Skoula - René Schirrer
Ierochka - Ivan Matiakh
La nourrice - Violetta Poleksic
Une jeune polotsienne - Karine Bergameli

Choeurs de l'Opéra du Rhin - Choeurs auxiliaires - Choeurs Orpheus de Sofia
direction - Michel Capperon

Orchestre Philharmonique de Strasbourg

2 mai et 12 mai (2° et 6° représentation sur 8)

 


Il est des opéras qui se prêtent volontiers à des transpositions dans le temps, notamment les opéras ayant un arrière-fond historique ou politique. C'est le cas de certains ouvrages de Verdi, mais aussi de nombreux opéras russes, tel ce Prince Igor évoquant l'opposition entre russes et polovstiens, avec invasions, prisonniers, amour entre deux jeunes gens des camps opposés, traîtrises etc.
Alfred Kirchner, le metteur en scène de cette nouvelle production (à qui l'on doit un magnifique Peter Grimes ici même il y a quelques années), a saisi l'occasion.
Sa conception appelle chez moi les mêmes remarques qu'à propos de sa Khovanchtchina à l'Opéra de Vienne, un mélange de louanges et de réserves. On trouve en effet une même force dans les idées et certaines images, mais aussi une même bizarrerie à d'autres moments... On trouve aussi une même  connotation temporelle contemporaine qui montre une Russie miséreuse et sur la déclin (extraordinaire tableau à la cour de Galitski au 2° acte), opposé à une société polovstienne brillante, moderne (avec l'idée géniale de faire danser les fameuses Danses Polovstiennes par des danseurs de hip-hop, hélas accompagnés de body builders et gymnaste plus incongrus et douteux...) mais aussi raffinée (superbe scène entre femmes au début de l'acte I).

L'échec du Prince Igor est particulèrement bien mis en valeur dans cette esthétique : le peuple russe, faisant la queue devant on ne sait quel magasin, acclame sans passion son Prince dans le Prologue, puis, fait prisonnier par Kontchak, Igor apparaît avec des béquilles, défait, humilié, même son retour au dernier acte sera sans espoir, il se statufie littéralement, drapeau à la main, sur un socle, tel un soldat de plomb, il n'est plus qu'un symbole, un souvenir. Très forte image.
Bref, Kirchner ne fait pas ici dans le décorum, il refuse le "joli" comme il dit dans le programme (car on transforme alors "ces actes d'une violence extrême en contes de Noël"), il choisit des décors sombres, obscurs, austères, de même pour les costumes. Du fait de la direction d'acteurs, excellente, il construit des êtres attachants ou franchement repoussants.
Ainsi, d'un opéra qu'on associe souvent à une fresque colorée et exotique, Kirchner en fait un tableau sombre et pessimiste, un opéra de la défaite et de la déchéance.

De fait, le manque d'action que l'on reproche parfois à cet opéra, n'est ici pas du tout un handicap. Cela est aussi dû à une alternance entre actes polovtsiens et actes russes, conformément aux premières volontés de Borodine (à noter également, la réinsertion des passages écartés par Rimsky-Korsakov lors de son travail, avec Glazounov, d'achévement et d'orchestration de l'oeuvre), ainsi qu'à une très bonne direction d'orchestre de Christian Arming. Beaucoup de finesse (magnifique 2° acte entre les jeunes polovstiennes et Kontchakovna) mais aussi d'intensité dans cette direction, à laquelle on pourra par contre reprocher d'assez fréquents décalages fosse-scène. L'orchestre Philharmonique de Strasbourg était de plus en petite forme.

Vocalement, c'est la fête. La distribution réunie par l'Opéra du Rhin est une fois de plus remarquable.
Eduard Tumagian campe un Prince Igor d'une belle stature, il est vraiment bouleversant lors de son grand air, lorsqu'il est prisonnier, et pathétique lors de son retour. Une très belle prise de rôle.
Elena Evseeva en Iaroslavna est en tous points superbe. Vocalement, elle m'a fait penser à Gorchakova, et use avec goût d'une voix riche, corsée, à l'aigu lumineux. Dramatiquement, elle est particulièrement convaincante en femme blessée, inquiète mais aussi autoritaire. Son grand air du dernier acte fut absolument magnifique.
Magnifique également le Vladimir Igorevitch du jeune ténor Andreï Dounaev. Lui aussi a tout : une voix superbe, un aigu vaillant et riche, une belle prestance scénique. Il sera Liensky dans Eugène Oniéguine lors de la prochaine saison ici même, nous l'attendons avec imapatience !
Côté basses, superbes voix et prestations de Konstantin Gorny (Vladimir Iaroslavitch), parfait en frère dépravé de Iaroslavna, et de Feodor Kuznetsov en Kontchak, faisant parfaitement ressortir le côté "grand seigneur" qui masque un calculateur ambitieux et abject.
Elena Rabiner, Kontchakovna, belle voix de contralto, mais visiblement en méforme, avait du mal à soutenir la tessiture du rôle.

Les seconds rôles étaient excellents, du Ovlour de Julius Best, au duo comique parfait de René Schirrer (Skoula) et Ivan Matiakh (Ierochka), notamment ce dernier, absolument remarquable.

Les nombreux choeurs (Choeurs de l'Opéra du Rhin ainsi que le choeur Orpheus de Sofia), dirigés par Michel Capperon, étaient superbes.

J'ai parlé des danseurs hip-hop, des body builders et de la gymnaste. La chorégraphie hip hop était réussie (et les danseurs étonnants) mais elle aurait gagné à être encore mieux exécutée. On n'atteignait en effet pas le niveau des danseurs hip hop que l'on a pu voir récemment sur Arte lors de deux émissions (le dimanche soir) consacrées au festival Suresnes-Cités-Danses. Néanmoins, ces danses polovstiennes resteront dans les mémoires !
 

Pierre-Emmanuel Lephay
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]