C O N C E R T S 
 
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GENEVE
08/11/03
(Cheryl Baker/ Katia Kabanova)
Leos JANACEK

Katia Kabanova

Livret du compositeur
d'après L'Orage d'Alexandre Ostrovski
dans une traduction de Vincence Cervinka

Direction musicale : Jiri Belohlavek
Mise en scène : Katie Mitchell
Décors et costumes : Vicki Mortimer
Lumières : Paule Constable
Mouvements chorégraphiques : Struan Leslie

Saviol Prokofievitch Dikoï : Bernard Deletré
Boris Grigorievitch : Peter Straka
Marfa Ignatievna (Kabanikha) : Nadine Denize
Tikhone Ivanitch Kabanov : Peter Hoare
Katerina (Katia) : Cheryl Barker
Vania Koudriache : Gordon Gietz
Varvara : Dagmar Peckova
Kuligin : Harry Draganov
Glasha : Victoria Martynenko
Feklush : Mariana Vassileva

Orchestre de la Suisse Romande
Choeurs du Grand Théâtre
Direction Ching-Lien Wu

Nouvelle production
Coproduction avec le Welsh National Opera de Cardiff

Grand Théâtre de Genève
8*, 11, 13, 15, 17 et 19 novembre 2003


Seule contre tous
 

Avec Katia Kabanova, nous sommes loin de la grandiloquence des opéras du grand répertoire. Loin de Puccini, de Verdi ou de Wagner. Peu spectaculaire, ne comportant pas d'arias, l'opéra de Janacek raconte une histoire somme toute banale. Celle de l'impossible rêve d'amour d'une femme face à la réalité destructrice de son environnement. Seule contre tous. Seule contre un mari sous la domination d'une mère castratrice, seule contre la vindicte populaire et, enfin, seule face à sa conscience qui l'oblige à renoncer à son amant. Katia Kabanova ne perçoit d'autre issue que le suicide. Un texte, une intrigue, des personnages, une musique, un opéra de "genre" par opposition à un opéra de "chant", un opéra d'une parfaite théâtralité que raconte avec intelligence, efficacité et métier la mise en scène de Katie Mitchell.

Un café, un dimanche. Les villageois sortent de l'église pour s'y retrouver. A travers une fenêtre, on aperçoit Tikhon Kabanov (Peter Hoare) devançant de quelques mètres son épouse, Katia Kabanova (Cheryl Barker). Une distance dévoilant déjà l'éloignement physique des époux bientôt aggravé par celui, psychologique, imposé par la belle-mère de Katia. L'insupportable et autoritaire mégère, refusant de partager son fils, invective sa bru dans l'indifférence générale. Cinq minutes après le lever de rideau, on sait Katia Kabanova condamnée.

Le réalisme ambiant est si convaincant que la barrière de la langue s'estompe bientôt pour laisser place au seul théâtre des hommes. Costumes, éclairages, protagonistes, figurants, tous s'investissent dans l'intrigue au service de l'oeuvre, du texte, des chanteurs, de l'orchestre, de la musique. Le théâtre ayant fait place à l'opéra, bien malin qui pourra affirmer que la voix de celui-ci, ou de celle-là... Jouée dans une homogénéité scénique admirable et une unité de ton exemplaire, la cohérence dramatique n'en n'est que mieux récompensée. Quel équilibre, quel engagement ! C'est la joie de jouer et d'être en scène. Autre artisan de cette limpidité théâtrale, Vicki Mortimer imagine un astucieux mécanisme de panneaux mobiles, s'ouvrant ou se fermant comme un objectif photographique. Élargi ou rétréci à souhait, chaque tableau trouvera alors sa dimension dramatique idéale. L'intention, l'attitude, les regards voient leur valeur expressive renforcée. Ainsi, dans un cadrage à la seule dimension des deux amants, la rencontre entre Katia et son soupirant Boris Grigorievitch (Peter Straka) concentre l'extrême sensualité de leurs enlacements et de leur abandon amoureux.

Dans le monde sans finesse qui l'entoure, Katia Kabanova vit le questionnement de ses émotions, de ses envies et de ses faiblesses. Dominant la distribution, la soprano Cheryl Barker, parfaitement préparée à la subtile caractérisation de son personnage est touchante de vérité. Usant d'une progression vocale réfléchie, la soprano australienne aura su chanter la douceur de la jeune épouse, puis la passion de la découverte de l'amour adultérin et enfin le désespoir de la femme tourmentée. A noter l'excellente prestation de Nadine Denize (Kabanikha) en mégère. Depuis la fosse, l'Orchestre de la Suisse Romande a offert au public de beaux moments musicaux avec les superbes interludes de la partition qu'il semble particulièrement apprécier. La direction du chef d'orchestre pragois Jiri Belohlavek y fut pour beaucoup même si on eût souhaité un peu plus d'audace et de volume dans l'accompagnement des chanteurs.

Au tomber du rideau, alors que l'on vient d'assister à un spectacle en tous points parfait, les applaudissements du public restent paradoxalement contenus. La coproduction du Grand-Théâtre de Genève et du Welsh National Theater de Cardiff mérite mieux. Peut-être est-il malaisé d'applaudir à tout rompre un opéra si proche du quotidien ?
 
 

Jacques SCHMITT
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