OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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AMSTERDAM
08/03/2008


Annick Massis
© Gianni Ugolini

Gaetano DONIZETTI (1797-1848)

LUCIE DE LAMMERMOOR



Opéra en 3 actes.
Version française de 1839
Supervisée par le compositeur.
Créé à Paris, au Théâtre de la Renaissance,
Le 3 août 1839.

Livret adapté par Alphonse Royer & Gustave Vaëz.
Edition critique Ricordi 2000.
D’après le roman
« The Bride of Lammermoor »
de Sir Walter Scott.

Lucie Ashton, Annick Massis
Edgard Ravenswood, Marius Brenciu
Henri Ashton, Angel Odena
Arthur Bucklaw, Angelo Antonio Poli
Gilbert, Yves Saelens
Raymond, Giovanni Battista Parodi

Direction musicale, Kenneth Montgomery
Groot Omroepkoor
Radio Kamer Filharmonie

ZaterdagMatinee

Version concertante

Grande Salle du Concertgebouw
Amsterdam

Le 8 mars 2008

Annick Massis, nouvelle reine du Concertgebouw…

« Une histoire d’amour… »

Depuis toujours, Amsterdam s’enthousiasme pour les grandes dames du lyrique comme Olivero, Caballé, Verrett… Comptant parmi les meilleures salles de concert d’Europe et dotée d’une acoustique exemplaire, le Concertgebouw entendit même une certaine Maria Callas en 1959, dans une période bien précise de sa carrière.
Les « ZaterdagMatinee » sont une véritable institution. Elles ont offert à ce public de connaisseurs, l’opportunité d’entendre non seulement des interprètes de choix, mais également d’apprécier nombre de raretés belcantistes. Comment ne pas penser à l’immense Nelly Miricioiu, qui pendant plus de 25 ans, a entretenu une véritable histoire d’amour passionnée et passionnante avec Amsterdam, offrant au Concertgebouw, une galerie de portraits plus excitants les uns que les autres.
Une autre idylle semble s’être nouée entre Annick Massis et la direction d’Amsterdam. Cette direction intelligente dans ses propositions (1), la réinvite pour un troisième rendez-vous. Au sein d’une après-midi conçue autour de sa personnalité, elle lui offre une rarissime Lucie de Lammermoor, transposition dans tous les sens du terme, par le compositeur lui-même, de sa Lucia, créée quatre ans plus tôt que sa consœur française (cf "Lucie, rappelle-toi..."). De 1840 à 1919, plus de deux cents représentations vinrent témoigner de l’engouement d’Amsterdam pour cette version… 2008 marque le retour de l’œuvre au Concertgebouw…

Nous retrouvions Kenneth Montgomery pour la troisième fois. Même s’il ne fréquente pas assidûment le répertoire belcantiste, il avait su proposer dans Le Comte Ory en 2005, de vraies suggestions soulignées par de réels arguments musicaux. Lors de l’après midi du 8 mars, sa direction souleva quelques interrogations. Plus que quelques débordements sonores dont le baryton et le final du II ont fait les frais, les choix de certains tempi (thème central du duo Lucie Edgard « Toujours vers toi s’envolera » …), nous ont laissés plus que dubitatifs. Tout au long de l’œuvre, Montgomery vise l’urgence et la concision dramatique. Ce qui en soit, notamment théâtralement est une bonne idée. L’enchaînement rapide des numéros participe à l’étau psychologique dont Lucie va être irrémédiablement la victime. La partition remaniée de Donizetti y pourvoit pleinement par nature. Cependant, dans son souci de slancio faisant davantage penser à un primo Verdi, Kenneth Montgomery finit par nous priver de certains motifs mélodiques, comme s’il n’avait pas conscience que Lucia ou ici, Lucie est encore imprégnée à bien des moments, des échos lunaires d’un Bellini. Nous pensons qu’il s’agit aussi d’une question, plus que d’un problème, de fréquentation d’un répertoire ayant des codes si spécifiques ; l’énergie et l’enthousiasme de Montgomery ne sauraient être remis en question.

Angel Odena, fit, et à juste raison, très forte impression auprès du public. Dans un français sans doute perfectible mais plus que correct, fort d’une voix à la solidité à toute épreuve et d’un volume impressionnant (ce qui lui fut utile dans les débordements du chef …), le baryton offre une belle prestation. Son personnage parfois un peu monolithique, n’a aucun état d’âme vis à vis de Lucie. Henri se définit comme une brute à la violence non dissimulée, réduisant sa sœur à l’état de vulgaire marchandise. Vocalement, on soulignera que si le phrasé ne retrouve pas la souveraineté d’un Tézier, Odena décoche une série d’aigus – alternatifs inclus - proprement incroyables tout au long de sa partie.

Très jolie révélation vocale que le tout jeune ténor Angelo Antonio Poli. Dans la courte intervention d’Arthur, il enlève tous les suffrages grâce à une voix ravissante aux couleurs italiennes. La juvénilité de ses traits et son élan désarmant, suffisent à camper un amoureux réellement épris de Lucie même si cette dernière, irrémédiablement brisée, ne peut être sensible à ses sentiments.

Le rôle de Raymond est réduit, dans cette version française, à la portion congrue. Il perd l’entièreté de son duo avec Lucie ainsi que son air avant la scène de la Folie. Subsiste à cet endroit, ce que l’on peut appeler un arioso, bref mais intense. Dans ses interventions, l’impressionnant Giovanni Battista Parodi, déjà remarqué en Callistene lors d’un Poliuto de concert in loco, donne à entendre des moyens considérables. Est-ce la volonté de briller malgré tout dans un emploi si ingrat et si court ? Cette belle basse baryton tend à forcer quelque peu le trait, bousculant une voix et une ligne qui se suffisent amplement à elles seules. Nous aimerions réentendre Parodi dans un emploi un peu plus gratifiant.

S’inscrivant entre les Iago rossinien et verdien, le rôle de Gilbert offre à qui sait s’en saisir, des opportunités psychologiques très intéressantes. Beaucoup plus efficace que les petits rôles d’Alisa et de Normanno fusionnés en sa partie, ce rôle de second ténor peut s’avérer très gratifiant à défendre. Le ténor belge Yves Saelens, qui participait déjà à l’aventure de la Lucie lyonnaise en 2002 ( Insérer le lien vers la critique FO de Lucie), retrouvait cet emploi. Quelques saisons plus tard, malgré une légère usure des moyens, sa prestation retrouve les mêmes qualités satisfaisantes, tant sur le plus vocal que sur le plan linguistique mais également, les mêmes limites dans une caractérisation bien pâlichonne. On cherchera en vain la veulerie, la vénalité et l’hypocrisie de ce « salopard » qui en vaut douze à lui seul.

Après son beau parcours au Concours Reine Elisabeth en 2000, c’est avec un grand plaisir que nous réentendions Marius Brenciu. Ce pur ténor lyrique poursuit depuis un parcours qui à défaut d’être très médiatisé, s’avère être un des plus intelligents du moment dans le choix du répertoire. Nous avons retrouvé les qualités qui nous avaient séduit à Bruxelles : clarté de l’émission et du propos, jeunesse du timbre, élan sincère, souci de la nuance et réelle volonté de servir une partition notamment dans le duo avec sa partenaire. Marius Brenciu eut apparemment quelque difficulté à se détendre lors de la représentation. Si on lui pardonne quelques nasalités de voyelles françaises si difficiles à placer, on regrette que sa ligne de chant se raidisse parfois dans les moments plus exposés, faute d’un appui adéquat. Cela ternit quelque peu le duo d’amour avec Lucie - où les deux interprètes doivent chanter d’un même cœur - et la stretta du II. Il emporte l’adhésion notamment avec un beau sextuor, un duo avec Henri où il retrouve toute la chaleur de son timbre et conclut l’opéra avec une intègre scène finale où le chef enfin attentif, lui autorise les belles nuances dont son émission est capable. En résumé, un très bel artiste doté d’une réelle capacité à émouvoir.

Elle nous la devait cette Lucie ! Depuis plus de dix ans, Annick Massis aurait pu, (dû ?) la chanter … A l’écoute de son triomphe personnel, cela valait apparemment la peine d’être patient. Une semaine après avoir débuté à Monte Carlo en Donna Anna, elle opérait un spectaculaire retour aux tessitures suraiguës de ses premières saisons lyriques. Pendant longtemps, de par sa tessiture, elle considéra Lucia plus intéressante que Lucie sur le plan dramatique. Dernièrement, elle confiait enfin que pour son type de voix, pour les raretés qu’elle s’acharne à défendre, notamment les emplois français hybrides des compositeurs italiens, interpréter un jour la Lucie française allait de soi… En très grande forme vocale, Annick Massis propose pour la première fois, la belle scène d’entrée « Que n’avons nous des ailes, …Toi par qui mon cœur rayonne » (Air qu’un certain site de vidéos a déjà immortalisé…). Dès cette entrée en scène, l’après-midi atteint une aura internationale comme en témoigne la qualité d’écoute du public. Au fil de la partition, tout en offrant vocalement et psychologiquement une héroïne idéale et très personnelle, on observe Massis indiquer au chef les nombreuses nuances dont elle veut émailler son air d’entrée, galvaniser son collègue dans le duo d’amour ou encore s’allier à la projection du baryton pour un irrésistible duo. On remarquera également que tout en assumant crânement son statut au sein du rôle titre, Annick Massis s’inscrit dans un réel travail d’équipe au service d’une partition, évitant ainsi un numéro réducteur de Prima Donna
Psychologiquement, Annick Massis tire profit d’être la seule personnalité féminine de l’opéra.
Isolée dès le départ, enfermée puis incomprise, la brutalité mentale dont elle est victime n’en est que plus immédiatement perceptible. Moins enfantine et plus idiomatique que Ciofi (2), Massis tout en évoluant remarquablement jusqu’à la folie, se souvient de son extraction noble. Au niveau du texte, là où d’autres titulaires s’avouent incapables de donner quelque vraisemblance à des livrets datés sans doute, mais représentatifs d’une certaine histoire du chant, Massis s’appuie sur ses armes habituelles : le goût d’une musicienne, la fraîcheur d’une émission à la projection impeccable et un aigu d’une solidité époustouflante. En un mot, un art du chant. Sur ces arguments, le texte est non seulement délivré dans sa diction mais également sculpté dans son sens. L’évolution lyrique que connaît la soprano ces dernières saisons, à la faveur de ses Juliette et Violetta notamment, nous permet d’entendre une Lucie possédant une âme, voltigeant d’aigus à l’infinie liberté à d’autres suraigus alternatifs, mais également un corps que son entourage va meurtrir…. La scène de la folie mériterait d’être décortiquée tant pour son art des climats, le goût des cadences ou simplement la beauté aristocratique d’une cantatrice dont la difficulté de la partition ne trahit jamais l’effort.

Dans ces conditions, le public du Concertgebouw enthousiaste et tapageur (le parquet s’en souvient encore…) , réserva un très beau succès à l’ensemble de l’affiche tandis qu’Annick Massis, très émue, recevait une ovation ressemblant furieusement à un sacre.


Philippe PONTHIR


Notes :
(1) Annick Massis a débuté au Concertgebouw en 2005 dans Le Comte Ory de Rossini avec Gregory Kunde comme partenaire. Elle est immédiatement réinvitée pour un concert de musique française en 2006 avec les grandes scènes de Roméo et Juliette, Les Pêcheurs de Perles et Hamlet. Amsterdam devrait revoir rapidement la soprano : on parle d’une reprise de La Juive d’Halévy, cette fois à l’opéra sous la conduite de Daniel Oren, dans la production d’Audi où Annick Massis avait triomphé à Paris en 2007 en une idéale Princesse Eudoxie. Pour le Concertgebouw, un concert baroque avec une première collaboration avec le Concerto Köln et bien entendu, une autre ZaterdagMatinee qui devrait voir une nouvelle prise de rôle dans le romantisme français.

(2) En 1997, la commémoration du bicentenaire de la naissance de Donizetti vit de par le monde, un nombre impressionnant de manifestations lyriques et discographiques. Le festival de Martina Franca, sous la houlette de Sergio Segalini, offrit des représentations scéniques de Lucie de Lammermoor. Malgré l’indisposition persistante du ténor, ces soirées remportèrent un grand succès notamment grâce à la prestation d’une très prometteuse Patrizia Ciofi. Un enregistrement live est toujours disponible chez Dynamic (CDS 204/1-2).

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Pour quelques écoutes supplémentaires :


On réservera aux amateurs de curiosités en tout genre, les extraits des adorables Pons et Mesplé. Même une indulgente affection ne saurait cautionner ce qui témoigne uniquement d’une décadence stylistique que ne saurait racheter quelque sifflet suraigu et bouillant…
Pour l’air de Rosmonda « Perché non ho del vento », Cuberli bien entendu, à qui la prestation de Massis rend un bel hommage, Joan Sutherland, également à deux genoux. On trouvera également aisément Gruberova dans cet extrait, justement à la faveur de l’anniversaire de 1997. En aparté, il eut peut-être été intéressant que Gruberova se mesure à l’intégrale de Lucie de Lammermoor
On recommandera également l’électrisante intégrale de Rosmonda d’Inghilterra avec une jeune Fleming et une souveraine Miricioiu, sans doute une des intégrales les plus abouties pour Opera rara.
Enfin, le dvd de Lucie de Lammermoor, datant du projet lyonnais. Patrizia Ciofi bien sûr, sincère, vibrante et musicienne, qui ventre à terre, accourut à Lyon pour remplacer une collègue au bord de sa première crise vocale. Mais peut-être davantage pour une affiche masculine royale avec Ludovic Tézier et un superlatif Roberto Alagna qui à l’époque, respectait encore son identité.

Lella Cuberli : “Momenti di Belcanto” Fonit Cetra CDC 14

Joan Sutherland : “Prima Donna Assoluta” Decca 425 605-2 (autres éditions disponibles)
Edita Gruberova : “Donizetti Portraits” Nightingale Lc 3323
Rosmonda d’Inghilterra : Operarara ORC 13
Lucie de Lammermoor : Dvd TDK (DV-OPLDL)
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