C O N C E R T S 
 
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BERLIN
17/05/04

Edita Gruberova
@ DR
LUCIA DI LAMMERMOOR

Opéra de Gaetano Donizetti

Production : Filippo Sanjust 

Lucia : Edita Gruberova
Edgardo : Jorge Pita
Enrico : Boaz Daniel
Raimondo : Reinhard Hagen 
Arturo : Yosep Kang
Alisa : Kwanchul Youn
Normanno : Volker Horn

Direction musicale : Stefano Ranzani
Orchestre du Staatsoper de Berlin

Berlin, Deutsche Oper, le 17/05/2004


"200 FOIS SUR LE METIER..."

Dans la salle bondée du Deutsche Oper, le public s'impatiente et s'inquiète, car la représentation ne démarre toujours pas.

Quelques minutes plus tard, le rideau s'illumine pour l'inévitable annonce sur le devant de la scène : heureusement, ce n'est pas Edita Gruberova qui manque à l'appel, mais son partenaire Ramon Vargas. Malade, il cède la place au jeune ténor américain Jorge Pita prévu pour faire ses débuts quelques jours plus tard en Pinkerton.

Soulagement général donc, car c'est bien pour sa chère Edita Gruberova que le public est là ce soir, d'autant que la chanteuse fête sa 200ème Lucia sur scène et les 23 ans de ses débuts au Deutsche Oper (1) .

A 57 ans passés, on pouvait craindre un déclin sensible des moyens. Sans être tout à fait de première fraîcheur, la Lucia de Gruberova est pourtant confondante d'aisance vocale. L'air d'entrée est sans doute ce qu'il y a de moins convaincant : pianissimi à tout propos (mais surtout pour s'économiser) et volume général un peu limité, vu l'acoustique assez moyenne de la salle. Comme de juste, le contre-ré est pris par en dessous, mais la note est bien là, retentissante.

La suite de la soirée la révèle en très grande forme, enchaînant, sans fatigue apparente, ensembles et duos (celui avec Raimondo est malheureusement coupé). Les reprises sont ornées de variations de bon goût, les suraigus généreux (toujours par en dessous, façon sirène d'alarme, mais bon), le timbre juvénile est resté quasiment intact.

Malheureusement, tout cela ne suffit pas à créer un personnage et il est difficile d'être ému par cette Lucia. Et il faudra attendre la scène de folie pour connaître un authentique moment de bonheur avec les variations accompagnées à la flûte. Paradoxalement, c'est dans ce passage dépourvu de texte que Gruberova est la plus émouvante, colorant chaque son avec la plus extrême sensibilité : un petit miracle.

A ses côtés, Jorge Pita est un Edgardo ardent dont le timbre évoque un peu celui du jeune Carreras. Techniquement, il a des progrès à faire et la fatigue le gagne prématurément (2). Compte tenu des circonstances, on lui pardonnera sa scène du tombeau conclue par un si... "pas si naturel que ça" !

Boaz Daniel est un Enrico plutôt routinier : timbre passe-partout, interprétation standard ; au moins chante-t-il toutes les notes.

Reinhard Hagen déploie quelques fastes dans sa grande scène de l'acte III et nous fait regretter de le voir privé de son duo avec Lucia. Il aurait été intéressant de l'entendre dans une scène purement belcantiste.

Les petits rôles s'échelonnent du moyen (l'Arturo de Yosep Kang ou l'Alisa de Kwanchul Youn) au franchement insuffisant (le Normanno de Volker Horn, inaudible avec les choeurs).

Que dire de la production, sinon que je n'ai jamais rien vu de si mauvais depuis des lustres (3) : toiles peintes sorties d'une fête paroissiale (quand on pense que la perspective a été inventée il y a près de 500 ans...), costumes criards, mobilier hideux, éclairage uniforme... et avec ça, main sur le coeur devant le trou du souffleur côté homme, et défilés absurdes côté choristes... 

Si seulement la médiocrité se limitait à l'aspect visuel... hélas, ce n'est guère mieux dans la fosse : à la tête d'un orchestre négligent et parfois tonitruant, Stefano Ranzani dirige sans finesse, se permettant des coupures telles qu'on en pratiquait il y a 50 ans (outre le duo déjà cité, la scène de l'orage Arturo/Enrico, des mesures un peu partout, quelques reprises et bien entendu toutes les codas ornées : quand on découvre dans le programme que la version se réfère au manuscrit original, on se demande pourquoi !).

Comment une artiste de la dimension d'Edita Gruberova peut-elle se contenter d'une telle médiocrité ? Mystère.

Avis aux amateurs donc : la soprano reprendra le rôle à Munich dans une production de Robert Carsen ; sans doute une des dernières occasions d'apprécier sa Lucia, et dans un cadre plus digne d'elle.
  


Placido Carrerotti
Notes

1. 1. A l'issue de la représentation, le Deutsche Oper remettait à Edita Gruberova un ours, symbole de Berlin, à l'occasion de cette 200ème Lucia.

2. Parce que le rôle ne dépasse pas le si naturel (du moins dans la version traditionnelle), il arrive régulièrement que des artistes qui chantent habituellement Don Carlo, Cavaradossi ou Pinkerton (c'est le cas de Pita) éprouvent une désagréable surprise confrontés à la tessiture d'Edgardo. Même l'excellent Marcello Alvarez (pourtant bien davantage adéquat) éprouvait de très nettes difficultés dans la version parisienne donnée au Châtelet (la scène finale est plus haute d'un demi-ton, il est vrai).

3. Je préfère ne pas parler de ces expériences particulièrement traumatisantes...
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Bon d'accord : une Favorita donnée dans un ancien cinéma de Bilbao avec un décor unique (par "unique", il faut comprendre que les mêmes toiles peintes servaient à tous les opéras de la saison) et une Lucia à Reims, dans les décors de la création, vraisemblablement sauvés de l'incendie de la Salle Le Pelletier.

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