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LAUSANNE
31/12/03

© Opéra de Lausanne
Jean-Baptiste LULLY

ROLAND

Tragédie en musique en un prologue et cinq actes
Poème de Philippe Quinault

Nouvelle production de l'Opéra de Lausanne

Nicolas Testé (Roland),
Anna Maria Panzarella (Angélique),
Olivier Dumait (Médor),
Monique Zanetti (Témire),
Robert Getchell (Astolphe),
Salomé Haller (La fée principale/Logistille),
Evguenyi Alexiev (Ziliante/Demogorgon),
Emiliano Gonzalez-Toro (Tessandre/un insulaire),
Anders J. Dahlin (Coridon/un insulaire),
Marie-Hélène Essade (Bélise/une pastourelle/une amante contente),
Delphine Gillot (La Gloire/une suivante/une amante contente)

Stephan Grögler (mise en scène)
Véronique Seymat (décors et costumes)
Daniel Larrieu (chorégraphie)
Laurent Castaingt (lumières)
Charles Carcopino (vidéo)
Bénédicte Debilly (assistante de mise en scène)
Corinne Tasso (maquillage)

Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction

Choeur de l'Opéra de Lausanne
Véronique Carrot, chef de choeur
Constellation chorégraphique de la Seine



Faites la guerre, pas l'amour !
 

Faites la guerre, pas l'amour ! A cette formule revisitée pourrait se réduire le livret de "Roland", l'opéra de Jean-Baptiste Lully. Roland est amoureux d'Angélique mais les règles de l'amour courtois interdisent les épanchements romantiques. Un chevalier ne peut gagner le coeur de sa belle qu'à travers l'héroïsme de ses actes guerriers. Sous Louis XIV, à l'époque où l'ouvrage fut créé, cette culture galante était encore de mise. Aux spectacles de la Cour, la tradition et la force de l'habitude permettaient à chacun d'assister sans préparation particulière. De nos jours, ces valeurs sont surannées. Comme en littérature Ronsard n'est plus qu'un auteur pour universitaires, les tragédies de Lully sont devenues de véritables pièces de musée. Même si Roland est d'une grande qualité musicale et bénéficie d'une construction dramatique remarquable, un public non averti se trouvera désorienté devant une telle oeuvre. Il ne reste qu'à espérer que le metteur en scène lui dévoile les tenants et aboutissants de l'intrigue. 

Malheureusement, rien de tel à Lausanne. Cette production reste bien en-deçà de ce qu'on peut attendre de la résurrection d'un opéra de Lully. La mise en scène de Stephan Grögler se limite aux variations esthétiques d'un décor unique (Véronique Seymat). Si la longue estrade au-dessus d'un terrain caillouteux illustre la facilité du rêve contre la dureté de la réalité, quand le metteur en scène suisse crée ses atmosphères à travers des projections vidéos (Charles Carcopino), des images sur des téléviseurs disséminés sur la scène, des jeux de lumières (Laurent Castaingt), il oublie d'éclairer l'intrigue, laissant aux chanteurs le soin d'articuler le discours dramatique.


© Opéra de Lausanne

Tout repose sur la narration. Malheureusement, la plupart des protagonistes n'ont pas le style du chant baroque. A commencer par la basse française Nicolas Testé (Roland). Sa prestance en ferait un héros idéal si son chant n'était imprégné d'inconvenants accents de belcanto. Par contre, avec Anna Maria Panzarella (Angélique), la production lausannoise propose le modèle même du chant baroque. Exemple de clarté narrative, dominant le plateau de sa voix bien posée, de sa prononciation parfaite, la soprano donne sens aux récitatifs et aux airs brefs soutenus par le continuo. Favorisant l'expressivité vocale, colorant sa voix sans effets inutiles, elle intègre parfaitement le personnage torturé tantôt par son amour pour un homme socialement inférieur, tantôt par son orgueil de reine, tantôt encore par l'impossibilité d'entendre le discours amoureux de Roland. De son côté, manquant souvent de justesse musicale, le ténor français Olivier Dumait (Médor) déçoit. Des autres solistes, on retiendra les excellentes prestations du baryton Evguenyi Alexiev (Ziliante/Demogorgon) et du ténor Emiliano Gonzalez-Toro (Tessandre/un insulaire) seuls à intégrer la forme et le style du chant baroque français.

Des quelques ballets qui égayent la partition de Lully, que dire sinon que le chorégraphe (Daniel Larrieu) les a ridiculisés... Est-il nécessaire que les danseurs se trémoussent scolairement sur des mouvements de jerk ou de boogie-woogie parce que le compositeur syncope sa musique ? Le ballet engagé pour cette production vaut certainement mieux que ses apparitions dont le seul but semble être l'étalage d'une impressionnante quantité de costumes (Véronique Seymat) façonnés pour l'occasion.

Dans la fosse, Les Talens Lyriques sont apparus fort bien préparés et en excellente forme. Après une ouverture quelque peu désordonnée, le chef français réussit à ramener ses pupitres autour d'un bel équilibre musical. Si l'étoffe de l'orchestre reste toujours un peu rude par rapport aux autres orchestres baroques, Les Talens Lyriques ont au moins l'avantage d'avoir un son reconnaissable entre tous.

En résumé, l'énergie développée autour de la résurrection lausannoise de Roland aurait été mieux canalisée si le metteur en scène s'était attaché à raconter l'intrigue plutôt qu'à en faire un beau, mais inutile, tableau de lumières.
 
 

Jacques SCHMITT
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