C O N C E R T S 
 
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STRASBOURG
10/06/05

© Alain Kaiser
Alban BERG

LULU

 Opéra en un prologue et trois actes
Avec le 3° acte complété par Friedrich Cerha

Direction musicale - Günter Neuhold
Mise en scène - Andreas Baesler
Décors - Andreas Wilkens
Costumes - Suzanne Hubrich
Lumières - Gerard Cleven

Lulu - Melanie Walz
La comtesse Geschwitz - Hedwig Fassbender
Une habilleuse de théâtre, Le lycéen, Un groom - Susanne Reinhard
Le médecin, Le professeur - Michel Texier
Le banquier - Jens Kiertzner
Le directeur de théâtre - René Schirrer
Le peintre, Le nègre - Eric Huchet
Le Docteur Schön, Jack l'Éventreur - Dale Duesing
Alwa - Fabrice Dalis
Schigolch, Un vieillard - Franz Mazura
Le dompteur, Rodrigo, Un athlète - Paul Gay
Le prince, Le marquis, Le 1er valet de chambre - Gary Rideout
Une Jeune fille - Emmanuelle Schuler
Sa mère - Marie-Thérèse Keller
Une décoratrice - Marie Kalinine
Un journaliste - Alexandre Knop
Second valet de chambre - Alain Domi

Orchestre philharmonique de Strasbourg

Nouvelle production

Strasbourg, Opéra, 10 juin 2005



C'est à nouveau un spectacle éblouissant que propose l'Opéra du Rhin. Pourtant, tout n'est pas parfait dans cette production, mais un tel souffle, une telle force, scénique et musicale, ne font qu'emporter le spectateur de la première à la dernière note dans un tourbillon dont il est difficile de s'échapper. Comme Lulu, l'on subit impuissant le cours tragique des événements au point que l'on ressort de cette représentation sonné, épuisé, sous le choc.

Alors on passera sur le manque d'aisance de Melanie Walz en Lulu (aigus tirés, souvent à l'arraché), pour souligner son incarnation formidable du personnage, on passera sur les difficultés que rencontre parfois Fabrice Dalis en Alwa pour ne retenir que sa fougue et l'émotion qu'il insuffle à ses interventions, on passera sur un orchestre Philharmonique de Strasbourg encore un peu vert en cette première, pour ne retenir que son engagement à défendre une partition d'une difficulté extrême. Oui, on passera sur toutes ces petites imperfections pour être, en premier lieu, ébloui par une mise en scène d'une intelligence et d'une pertinence rare.


Lulu (Melanie Walz), Alwe (Fabrice Dalis)
et Schön (Dale Duesing)
© Alain Kaiser

Andreas Baesler a choisi de placer l'action dans une morgue défraîchie, sale et puante où le " dompteur " présente des cadavres. Vision glaçante, saisissante. Tout au long des 3 actes, cette morgue sera toujours présente, mais plus ou moins cachée par des rideaux, des tapisseries, tableaux, meubles etc., ce qui permettra une remarquable caractérisation des différentes ambiances des sept tableaux, tout en gardant cet élément fixe : tout part de cette morgue et tout y revient (sidérante vision lorsque les éléments de décor disparaissent et que l'on redécouvre cette morgue plus crue et terrifiante qu'au début). Ainsi, les sinistres tiroirs s'ouvriront parfois pour faire apparaître un personnage, le cacher ou le faire disparaître, toutes ces proies qui gravitent autour de Lulu finissent en effet plus ou moins par devenir victimes et trépasser.

Autre idée forte d'Andreas Baesler : faire référence à différentes époques du XX° siècle. Nous partons d'un cabinet de peintre très "bohème" pour nous retrouver ensuite dans un climat très début de siècle tandis qu'un mobilier et des costumes années 20 installent un univers très "gemütlich". Puis ce sont des gendarmes tels que ceux que l'on voit dans les films de Jacques Tati qui viennent pour arrêter Lulu à l'acte III tandis que le dernier tableau pourrait se passer de nos jours.

A travers ces allers et venues temporels et les étonnantes métamorphoses physiques de Lulu (auxquelles seul "résiste" le tableau initial du peintre, un superbe visage sans traits), c'est le mythe de la femme mère-amante qui est évoqué subtilement.


© Alain Kaiser

A cette fascinante scénographie s'ajoute une remarquable direction d'acteurs servie avec un engagement puissant par tous les chanteurs réunis.

Parmi ceux-ci, on trouve des prises de rôle comme des incarnations devenues célèbres . Ainsi, l'Opéra du Rhin nous a offert le bonheur de retrouver le Schigolch de Franz Mazura. Cet étonnant acteur devenu chanteur fait partie de ces artistes dont, à l'instar d'Anja Silja, on oublie la voix, aujourd'hui sur le déclin, pour se laisser captiver par l'incarnation magistrale. Mazura est Schigolch, comme il était Dr Schön quelques années auparavant (notamment dans la célèbre production de Boulez/Chéreau à l'Opéra de Paris en 1979).


Lulu (Melanie Walz) et Schön (Dale Duesing)
© Alain Kaiser

Dans le registre des prises de rôle, on retiendra le magnifique Dale Duesing dans son premier Dr Schön. Est-ce la proximité de Franz Mazura sur scène qui nous a fait parfois avoir l'impression de voir et d'entendre celui-ci ? La voix est superbe, sonore sur tout le registre, le personnage remarquablement campé, l'aisance exceptionnelle pour une prise de rôle.

On trouve les mêmes qualités chez Le Dompteur et l'Athlète du remarquable Paul Gay. Fabrice Dalis quant à lui se tire avec tous les honneurs - malgré quelques réserves techniques - du rôle extrêmement exigeant d'Alwa. On retrouve avec plaisir Hedwig Fassbender dans une superbe Comtesse Geschwitz, mêmes si certains aigus des crucifiantes phrases finales sont un peu bas. Mélanie Walz, on l'a dit, manque d'aisance, mais aussi parfois de puissance, dans ce rôle parmi  les plus difficiles du répertoire lyrique, pourtant, on est emporté par le personnage.
Aucune faiblesse dans les nombreux seconds rôles, tous sont aussi excellents vocalement que dramatiquement.


Lulu (Melanie Walz) et Geschwitz (Edwidge Fassbaender)
© Alain Kaiser

Günther Neuhold dirige l'ensemble d'une main de maître. Sa direction est efficace, tantôt tendue tantôt lyrique, même si l'on regrette parfois que l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg ne réponde pas avec plus de mordant.

La plus éclatante réussite de ce spectacle est cependant d'exalter une oeuvre qui apparaît ici absolument comme le chef-d'oeuvre d'Alban Berg. La confondante perfection de la construction dramatique, la valeur littéraire du livret, et, bien sûr, la splendeur de la partition (y compris de l'indispensable 3° acte complété par Friedrich Cerha) ont été, dans cette production, exaltées à un niveau exceptionnel.
 
 

Pierre-Emmanuel LEPHAY


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Prochaines représentations :
Strasbourg : 13, 15, 22 juin à 20 h., 19 juin à 17 h.
Mulhouse, La Filature : 1° juillet à 20 h., 3 juillet à 17 h.

www.opera-national-du-rhin.com/
 

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