C O N C E R T S 
 
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GENEVE
15/06/04
© Nicolas Lieber
Jules Massenet

MANON

Opéra-comique en cinq actes
Livret de Henri Meilhac et Philippe Gille

Nouvelle production

Natalie Dessay (Manon Lescaut),
Stefano Secco (Le Chevalier des Grieux),
Ludovic Tézier (Lescaut),
Alain Vernhes (Le Comte des Grieux),
Bernard Van der Meersch (Guillot de Morfontaine),
Didier Henry (De Brétigny),
Christine Buffle (Poussette),
Hélène Hébrard (Javotte),
Sibyl Zanganelli (Rosette),

Alain Garichot (mise en scène),
Rudy Sabounghi (décors),
Claude Masson (costumes),
Laurent Castaingt (lumières).

Orchestre de la Suisse Romande
Patrick Davin, direction

Choeurs du Grand Théâtre 
Ching-Lien Wu, cheffe de choeur

Grand Théâtre de Genève
15*, 17, 19, 21, 23, 25 et 27 juin


 


Elle l'a fait !

Dans les bras du Chevalier des Grieux, Manon s'écroule. Les lumières du Grand-Théâtre de Genève s'éteignent. Le public applaudit. Le rideau de scène se relève. Seuls en scène, Natalie Dessay et Stefano Secco saluent. La salle explose. Un triomphe pour Natalie Dessay dont le visage crispé par l'angoisse se détend enfin dans le sourire qu'elle s'offre. Elle l'a fait ! Que les sceptiques rangent leurs piques, Natalie Dessay est de retour. Un retour gagnant, le retour d'une artiste dont on ne donnait pas lourd de la carrière voici encore quelques mois. Elle l'a fait. Elle a pris tous les risques pour chanter ce rôle que chacun disait ne pas être pour elle. Et elle l'a fait. Comment serait-elle dans la scène de Saint-Sulpice, se demandaient les circonspects ? Elle y est bouleversante, crédible, d'une justesse vocale et théâtrale renversante.

Et pourtant. Pour cette rentrée tant attendue, la soprano française comme ses compagnons de scène n'ont pas été gâtés. D'abord par un Orchestre de la Suisse Romande brouillon dirigé confusément par un Patrick Davin très imprécis. Le choeur du Grand-Théâtre, à l'habitude excellent, s'est entendu plusieurs fois en sérieux décalage avec l'orchestre. Ensuite par les décors de Rudy Sabounghi. Ses parallélépipèdes grillagés, incompréhensibles volières métalliques noires, couvrent les scènes d'une froideur abyssale. Ils auraient certainement mieux convenu au cachot de Florestan (Fidelio) qu'à l'univers d'une Manon de quinze ans. Et que dire de la chambre des amants, sorte de haut baraquement de planches sans âme ? Si l'une des raisons d'être du théâtre lyrique est de faire rêver, ce n'est certainement pas avec de telles scènes que le but est atteint. Perchés sur des gradins de stade de football de cinquième division, le choeur et les figurants, noirs fantômes vêtus de grands manteaux, ajoutent au glacial de l'ambiance. La scène de Saint-Sulpice noyée dans un brouillard verdâtre fait penser aux reportages de CNN pendant la guerre du Golfe. Artisan malheureux de ce gâchis, Alain Garichot livre ici sa plus désastreuse mise en scène. On le sait avare d'accessoires. Mais, un "Adieu à notre petite table" sans table et un "Retenez-moi, retenez-moi" de Lescaut en colère joué dans une immobilité totale, frisent la provocation. Dans cette négation du théâtre, le choeur et les figurants exécutent d'élémentaires entrées et sorties de scène laissant le spectateur pantois sur les raisons profondes de ces ballets sans âme. Ils ne sont que des pièces (chantantes) des décors et semblent ne jamais participer à l'action, comme absents à la scène qui se joue.

Alors, les voix ? En revenant brièvement sur celle de Natalie Dessay, si son impressionnante prestation réunit tous les suffrages, il faut reconnaître que ses aigus n'ont plus le même legato. Dans "Je suis encore toute étourdie", alors qu'on attend une montée coulée vers la fin du mot, la soprano française assure la note plutôt que de la lier. A ses côtés, le ténor Stefano Secco (Le Chevalier des Grieux) chante parfois trop en force pour être véritablement dans l'esprit amoureux qu'imprime si joliment Manon. Avec une diction parfaite, une lecture de texte admirable d'intelligence, une voix de miel pour Ludovic Tézier (Lescaut) et d'autorité pour Alain Vernhes (Le Comte des Grieux), les deux Français rivalisent de naturel. Quel bonheur d'entendre chanter en français comme cela !

Au soir de la première, si le triomphe des chanteurs était amplement mérité, le public a réservé un accueil ponctué de quelques "bouh" à l'encontre du chef d'orchestre et de copieuses huées pour le metteur en scène. Réconfortantes réactions d'un public souvent estimé incapable de ressentir ce qui tend à disparaître de nos scènes lyriques actuelles : le bon goût.
 
 

Jacques SCHMITT
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