C O N C E R T S
 
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STRASBOURG
(Opéra National du Rhin)

28/01/2002

 
Maometto II
(Gioachino Rossini)

Direction musicale: Cyril DIEDRICH
Mise en scène: Daniel SLATER
Décors et costumes: Francis O'CONNOR
Lumières: Simon MILLS

Maometto: Denis SEDOV
Anna: Irini TSIRAKIDIS
Paolo Erisso: Stephen Mark BROWN
Calbo: Enkelejda SHKOSA
Condulmiero: Lorenzo MARROCCU
Selim: Mario MONTALBANO

Choeurs de l'Opéra du Rhin - Direction Michel CAPPERON
Orchestre Symphonique de Mulhouse


 
 

C'est à nouveau un superbe spectacle que nous propose l'Opéra du Rhin, une maison qui favorise toujours l'homogénéité des distributions associée à un travail d'équipe remarquable, ce qui nous vaut le plus souvent des productions fortes et marquantes. A celà s'ajoute une programmation exigeante, qui permet d'entendre des ouvrages peu donnés. Ainsi, rien que pour cette saison, après la création européenne d'Un tramway nommé désir d'André Prévin, sont proposés Le Prince Igor, et ce Maometto II , production qui est la création scénique de l'ouvrage en France.

Bien des soins ont ainsi été apportés pour cette création, tant au niveau scénique que musical, et le résultat est très probant, on ne sent pas le temps passer durant ces 3 heures de musique, ce, grâce, à une direction d'orchestre très allante et dramatique, et une mise en scène extrêmement vivante. Ce rythme soutenu durant les 2 actes est aussi dû à un certain nombre de coupures. Le chef d'orchestre, Cyril Diedrich, s'en explique très clairement, et, je trouve de manière plutôt convaincante, dans le programme. Pour lui, le rythme dramatique est primordial: "Dans un enregistrement, il serait impensable de faire quelque coupure que ce soit. Sur scène, il faut se concentrer sur l'action, sur ce qui la fait avancer". C'est pourquoi la plupart des reprises sont coupées, notamment celles avec "d'innombrables vocalises "pyrotechniques" " qui constituent pour Cyril Diedrich des reprises "superflues, d'autant qu'elles ralentissent l'action". [ndlr: un avis qui n'est pas du tout partagé par la grande majorité de nos rédacteurs]

Si d'un point de vue musicologique, cette option peut choquer, il faut bien admettre que d'une part, elle est choisie en parfaite entente avec le metteur en scène, et d'autre part...ça marche ! Cavit, ça avance, c'est trépidant ! La direction de Cyril Diedrich est en effet très allante, sans lourdeur, sans temps mort, mettant en exergue le formidable aspect rythmique de cette musique. Je n'avais pas entendu depuis longtemps l'Orchestre Symphonique de Mulhouse, et il m'a surpris par ses progrès formidables réalisés depuis quelques années sous la direction de Cyril Diedrich justement. Des pupitres très sûrs, une belle sonorité, du beau travail.

Côté voix, celui qui marque la soirée est le Maometto de Denis Sedov, qui marche sur les pas de Samuel Ramey: même physique longiligne, même autorité vocale, même timbre riche et corsé, même insolence des graves et des aigus, facilité des vocalises: c'est déconcertant ! Et s'il devra peut-être travailler sa présence scénique, nous tenons là une remarquable basse colorature qui fera certainement les beaux jours du Festival de Pesaro ! On retrouve pratiquement les mêmes qualités chez la mezzo Enkelejda Shkosa (déjà habituée, elle, à Pesaro !): beauté et richesse du timbre, agilité des vocalises offrant des aigus superbes. Côté voix aiguës, un autre habitué de Pesaro en la personne de Stephen Mark Brown, ténor typiquement rossinien (ah ces graves sonores et larges, miam miam !), avec une souplesse à la vocalise peut-être moins grande que les précédents, mais ne déméritant nullement. Il en est un peu de même pour l'Anna d'Irini Tsirakidis, qui semblait parfois s'économiser vocalement pour certains moments clés, dont la superbe scène finale, où elle se montra fort convaincante (il faut bien dire que le rôle est lourd et long). Son engagement scénique fut par ailleurs remarquable. Bons seconds rôles, et très beau choeur de l'Opéra du Rhin sous la direction de Michel Capperon.

Tout comme Cyril Diedrich s'explique dans le programme sur ses choix face à la partition, le metteur en scène Daniel Slater fait de même dans une longue interview. Il a en effet choisi de transposer l'action du XV° au XIX°, dans les années 1820 précisément, ces années où le destin de la Grèce, qui se rebellait contre les turcs, attirait les regards de toute l'Europe (ce mouvement "inspirera" d'ailleurs les italiens pour leur Risorgimento) Cette transposition, là encore discutable, permet surtout d'orienter l'esthétique du spectacle autour des grandes peintures orientalistes de cette époque, notamment celles de Delacroix dont une superbe reproduction de La Grèce mourante sur les ruines de Missolunghi fait office de rideau de scène, et dont la comparaison avec le personnage d'Anna est évidente. C'est en effet, d'après Daniel Slater, Anna le personnage principal de cet opéra (il est vrai que, tout comme dans Boris de Moussorgsky par exemple, ce n'est pas le personnage-titre qui occupe le plus la scène). Cette esthétique début XIX° va des costumes, sobres et réussis, à un décor beau et ingénieux, fait de colonnes mouvantes selon les scènes, formant des images qui faisaient parfois penser à la production mémorable de Giorgio Strelher pour Simon Boccanegra à Milan sous l'ère Abbado. Très réussis cette proue du navire de Maometto II qui pénètre dans le Palais du premier acte, ces mats qui dépassent en fond de scène au début du deuxième, les colonnes qui se transforment en piliers d'église cachant des niches garnies de bougies etc. Le tout est teinté d'un exotisme discret et de bon goût. La direction d'acteurs est soignée, même si la gestique paraît parfois un peu conventionnelle, et se place dans cette volonté que nous évoquions d'action qui avance. Sur ce point, c'est très réussi.

Un spectacle remarquable donc, qui ne peut laisser indifférent, et c'est une qualité ! C'est surtout l'occasion d'entendre un ouvrage où Rossini fait preuve de grandes qualités d'orchestrateur et d'une maîtrise de l'écriture vocale superbe. Un grand chef d'oeuvre lyrique du XIXe. Merci et bravo donc à l'Opéra du Rhin de nous l'avoir fait découvrir dans de si belles conditions.

Pierre-Emmanuel Lephay

- Lire la critique de Catherine Scholler -

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