C O N C E R T S
 
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STRASBOURG
(Opéra National du Rhin)

28/01/2002

 
Maometto II
(Gioachino Rossini)

Direction musicale: Cyril DIEDRICH
Mise en scène: Daniel SLATER
Décors et costumes: Francis O'CONNOR
Lumières: Simon MILLS

Maometto: Denis SEDOV
Anna: Irini TSIRAKIDIS
Paolo Erisso: Stephen Mark BROWN
Calbo: Enkelejda SHKOSA
Condulmiero: Lorenzo MARROCCU
Selim: Mario MONTALBANO

Choeurs de l'Opéra du Rhin - Direction Michel CAPPERON
Orchestre Symphonique de Mulhouse


Maometto II, avant-dernier opéra napolitain de Rossini, avait été expressément composé pour la tournée à travers l'Italie de la basse la plus glorieuse de son temps, Filippo Galli. A son intention, Rossini avait composé un rôle d'une grande force dramatique, mi-guerrier, mi-amoureux, sur la plus belle des musiques, et aussi la plus novatrice : la mélodie continue se déploie tout le long de l'oeuvre, dans une architecture complexe d'un seul tenant. C'est dire qu'elle ne supporte ni modification, ni coupure, quoiqu'en pense Cyril Diederich, qui s'exprime sur ses choix émusicologiquesé à l'intérieur du programme.

Mais ne boudons pas notre plaisir, car même défigurée par des coupures, cette oeuvre est probablement la plus belle de Rossini, et elle est si rarement montée que cette production est un véritable événement.

Le bonheur est encore décuplé par l'interprétation du rôle-titre, écrit à l'origine pour une star dont la venue à Naples était un événement, et qui exige vaillance, autorité et souplesse, toutes choses que possède à plein le formidable, le prodigieux Denis Sedov. Certains crieront à l'exagération en le voyant comparé à un artiste de l'envergure de Samuel Ramey, tous ceux qui l'ont entendu le confirmeront pourtant : facilité des vocalises, beauté des graves aussi bien que des aigus, présence scénique souveraine, Denis Sedov est un miracle opératique. Et c'est bien pourquoi amputer sa cavatine d'entrée des deux tiers est un crime totalement impardonnable !

Le reste de la distribution ne peut pas s'installer à de tels sommets. Ainsi la soprano Irini Tsiradikis, dans le rôle très long d'Anna, séduit par un physique crédible, un timbre fruité, un beau legato, mais elle gère mal son souffle, ce qui entraîne reprises de respiration bruyante en plein milieu d'une phrase, problèmes de justesses et vocalises régulièrement improbables. L'auditeur est alors soumis au régime de la douche écossaise : une phrase sublime suivie d'une phrase affreuse. Mais la mort d'Anna est bouleversante et emporte l'adhésion du public.

Enkelejda Shkosa chante d'une voix au timbre pas très homogène, mais se tire d'un rôle très difficile avec les honneurs : on est loin du faste d'une Lucia Valentini-Terrani, pour ne citer qu'elle, mais c'est plutôt mieux que beaucoup de mezzos entendues ici et là, il suffit de réécouter Gloria Schalchi dans l'enregistrement de Pesaro pour s'en convaincre. Et puis, on peut rêver : un jour peut-être les directeurs de théâtre se rendront compte qu'Ewa Podles est née pour interpréter ces rôles, et un jour peut-être pourront nous l'entendre dans une intégrale scénique, et pas en récital.

Stephen Mark Brown est moins insupportable que dans son interprétation de Cléomène à Pesaro (version italienne ou française, on n'entend décidément parler de lui que pour ce personnage !) et compte à son actif une voix sonore et une belle présence scénique. A son passif, malheureusement, on trouve un timbre désagréablement métallique, des aigus craqués et des vocalises débraillées et sales.

Les choeurs sont quelquefois un peu anarchiques, l'orchestre est assourdi par une acoustique assez difficile, et Cyril Diederich confirme qu'il n'a rien à faire dans l'univers rossinien.

La mise en scène est intéressante, en ceci qu'elle replace l'oeuvre hors d'un contexte romantique. En effet, Maometto II, composé en 1820, est l'un des traits d'union entre l'opéra seria finissant et l'opéra romantique encore dans les limbes. Il ne peut pas y avoir ici d'héroïne vaporeuse se lamentant et soupirant, de père indigne et d'amant jaloux, même si on en trouve les prémisses. Il s'agit avant tout d'un opéra traitant de la guerre et de l'honneur, thème cher à l'opéra seria. Anna n'est pas un personnage passif, mais une femme décidée et attachée à son honneur, et le metteur en scène l'a parfaitement compris : elle chantera son air d'entrée non pas seule dans sa chambre, mais en soignant des blessés dans un hôpital de fortune, et tiendra tête aux turcs le poignard à la main.

La guerre est donc montrée sur scène, et de façon tout à fait crédible. L'ensemble aurait toutefois gagné à un peu plus de sobriété, certaines scènes virant carrément au grand-guignolesque : traître abattu d'une balle dans la nuque, prêtre poursuivi par des soldats, cauchemar psychanalytique d'Anna auraient pu être évités.

En conclusion, cette production a largement répondu aux attentes des rossinimaniaques de toutes espèces, et on attend maintenant avec impatience de réentendre l'excellentissime Denis Sedov.

Catherine Scholler

- Lire la critique de Pierre-Emmanuel Lephay -

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