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BADEN BADEN

20/09/02


(John Eliot Gardiner)
Missa Solemnis op. 123
Ludwig van BEETHOVEN

Luba Orgonasova, soprano
Nathalie Stutzmann, alto
Christoph Prégardien, ténor
Alastair Miles, basse

Monteverdi Choir
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
(violon solo: Peter Hanson)

Dir.: John Eliot GARDINER

Baden-Baden, Festpielhaus, 20 septembre 2002



Un véritable éblouissement. Gardiner fait de cette messe une fête grandiose qui tient plus du profane que du sacré, avec une énergie et une splendeur étonnantes. Telle que nous l'avons entendue ici, la Missa Solemnis devient pratiquement une deuxième symphonie avec voix. On trouvera d'ailleurs une parenté évidente entre cette interprétation et l'intégrale des Symphonies (superbe et passionnante, à défaut d'être toujours convaincante) par Gardiner avec le même orchestre.

Conçue au départ pour l'intronisation de l'Archiduc Rodolphe, la Missa Solemnis ne fut pas prête pour la cérémonie. De fait, "libéré" de cette obligation liturgique, Beethoven prend ses distances avec le sacré, et conçoit le texte liturgique comme un prétexte à l'expression de sentiments humains. L'Homme s'est substitué à Dieu. C'est de ses craintes, de ses joies, de ses victoires dont il sera question ici : ainsi, par exemple, lorsque le texte évoquera la paix (dona nobis pacem), Beethoven fera entendre, avant l'apaisement, la menace et la peur de la guerre avec des sonneries de trompettes qui s'incrustent de manière étonnante dans le discours musical. Nous sommes donc bien là à l'aube du romantisme. Gardiner met en avant tous ces aspects et place son interprétation dans cette perspective.

Sa direction est donc très vive, allante, et très dramatique. Le Gloria et le Credo sont absolument sensationnels, et impressionnent par la force de l'expression. Gardiner sait aussi magnifier les moments élégiaques, tel le Benedictus du Sanctus, avec les apaisants mélismes du violon solo.

Au service de cette lecture vivante et intense, des troupes magnifiques : à commencer par le Monteverdi Choir qui ne déçoit pas depuis ses premiers enregistrements, malgré la relève dans ses rangs, c'est dire l'excellence de Gardiner chef de choeur. Qu'ajouter qui n'ait déjà été dit devant tant de perfection et de splendeur ? Homogénéité, prononciation, endurance (surtout de la part des soprani, dont la partie est, comme dans la IX°, un véritable chemin de croix) : tout est absolument confondant.

L'Orchestre Révolutionnaire et Romantique est lui aussi splendide. Comment ne pas être séduit par tant de beautés et de couleurs ? Si les cordes sont d'une sonorité légèrement plus crue que celle des cordes "modernes", c'est surtout du côté des vents que l'apport des instruments anciens est indéniable : enfin des flûtes qui ont des sons de flûtes et qui se distinguent des timbres du hautbois et de la clarinette !  L'uniformisation du son des bois (du fait d'une recherche de brillance, et de la hausse du diapason dans certains orchestres) est, en effet, dramatique dans les formations traditionnelles. Les orchestres d'instruments anciens nous rappellent la variété des couleurs des instruments à vent, et c'est tant mieux. Ainsi dans les cuivres, nous avons ici des cors sûrs, brillants et puissants tels qu'on les entend rarement dans un orchestre traditionnel, quant aux trombones et aux trompettes, leur "impact" sonore est incroyable et leurs éclats dans le Gloria ou les fanfares militaires de l'Agnus sont véritablement prodigieux.
Il n'est pas jusqu'aux timbales qui ravissent : un son d'une clarté et d'une précision incroyables, on distingue ainsi facilement un trait en double croches d'un roulement, et les pianissimi sont d'une netteté parfaitement audible, même du fond du deuxième balcon !

Le tissu orchestral est ainsi parfaitement lisible, et pourtant, cette individualisation des timbres ne fait en rien perdre l'homogénéité du tout.

Le quatuor soliste n'est pas en reste. Luba Orgonasova assure avec émotion ses soli, parfois terriblement tendus, Nathalie Stutzmann est fervente et superbe de timbre. On retrouve chez Prégardien les formidables qualités de "diseur" du chanteur, et Alastair Miles convainc également. Par ailleurs, et surtout, tous quatre savent se fondre pour les magnifiques quatuors qui courent tout le long de la Messe.

Bref, une exécution proche de la perfection pour une interprétation saisissante et pré-romantique de cette Messe: et oui, les "baroqueux" ne font pas que "tirer en arrière" les oeuvres qu'ils abordent !
  


Pierre-Emmanuel Lephay
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