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BRÊME
04/09/05
© DR
MUSIKFEST BREMEN 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756 - 1791)

MITRIDATE, RE DI PONTO (1770)
Opera seria en trois actes K 87
Livret de Vittorio Amadeo Cigna-Santi d'après le drame " Mithridate " de Jean Racine, dans la traduction italienne de Giuseppe Parini

"Version de Salzbourg" de Marc Minkowski, Günter Krämer et Jory Vinikour
en coproduction avec le Festival de Salzbourg.

Les Musiciens du Louvre Grenoble
Direction musicale Marc Minkowski

Mise en scène : Günter Krämer
Décors : Jürgen Bäckmann
Costumes : Falk Bauer
Lumières : Manfred Voss
Chorégraphie : Otto Pichler
Dramaturgie : Jens Neudorf von Enzberg

Distribution

Mitridate : Richard Croft
Aspasia : Netta Or
Sifare : Miah Persson
Farnace : Bejun Mehta
Ismene : Ingela Bohlin
Marzio : Andrew Tortise
Arbate : Pascal Bertin

Dimanche 4 septembre 2005
BLG Forum - Brême (Allemagne)

Brême (Allemagne) - du 3 au 24 Septembre 2005

Lire également les Compte-rendus des concerts du 3 septembre 2005

PRIMARY COLOURS OU RACINE CHEZ HELZAPPOPIN

Après l'effervescence de la "Grosse Nachtmusik" du 3 septembre 2005, en plein centre historique, c'est un virage à 400° que doit opérer le spectateur pour se rendre à cette première représentation de Mitridate, re di Ponto au BLG Forum, situé en dehors de la ville, dans une friche industrielle. Il s'agit en fait d'un des anciens ports de Brême reconverti en lieu "alternatif" assez branché, pourvu des cafés et restaurants adéquats. Le temps toujours radieux autorise une arrivée très en avance, propice à l'exploration et à la découverte. Certes, le cadre, assez étrange, est impressionnant et ressemble à un décor de théâtre. Dans les anciennes maisons des ouvriers qui autrefois y travaillaient, s'est installé le "Musée du Port" et l'un des restaurants, "Speicher XI". La visite du musée a quelque chose de poignant et de nostalgique, car on y a reconstitué l'atmosphère du port avec ses bruits, ses objets de tous les jours, et aussi les métiers, aujourd'hui disparus, des gens qui le maintenaient en activité. Les portraits des anciens marins sont très émouvants, et l'édifice, qui accueille aussi des expositions artistiques temporaires, particulièrement superbe de proportions.


Le Speicher XI

On ne peut pas en dire autant, par contre, du "BLG Forum". L'extérieur, une bâtisse en briques un peu massive, passe encore à peu près, mais l'intérieur ressemble à un entrepôt désaffecté, assez laid et sommairement restauré, comme inachevé, doté de sièges en plastique plutôt inconfortables. Par contre, la structure en gradins permet une bonne vision de la scène, même du fond de la salle, et l'acoustique en est très acceptable, à défaut d'être aussi formidable que celle de Die Glocke.

Dans le passé, des metteurs en scène d'opéra comme Giorgio Strehler, Jean-Pierre Ponnelle ou plus récemment Patrice Chéreau, Olivier Py, André Engel, ont fait l'actualité de cette rentrée, ayant constamment à l'esprit le théâtre - ce sont d'ailleurs souvent avant tout des "hommes de théâtre" - à savoir le texte, son sens et la chair de l'acteur ou du chanteur qui les porte.

Et puis il y a les autres, pour qui la "chose théâtrale" est quelque part inutile, voire démodée, floue, incertaine, prétexte avant tout à l'expression de leur ego surdimensionné. Pour ceux-là, peu importent la caractérisation des personnages, la dramaturgie, le sens du texte et de la musique, la force du verbe, le déroulé de l'action, etc. Ils n'ont cure de tout ce qui fait le théâtre, justement, et y substituent une série de "visions", de gadgets, sinon de gags, d'images plus ou moins "chic et choc", soucieux avant tout de faire "mode" plutôt que sens, en un mot privilégiant ce qui se voit plutôt que ce qui se trouve derrière les apparences.

D'où une vague déferlante d'aberrations diverses, à son apogée cet été pendant le dernier Festival d'Avignon, à cet effet exemplaire, où l'on vit pour une fois le public réagir violemment contre cette "dictature de l'image" à laquelle Régis Debray consacra un essai qui, il y a quelques années, fit beaucoup de bruit.

Mauvaise pioche pour ce Mitridate issu du dernier Festival de Salzbourg, et repris en 2006 pour l'année Mozart : le metteur en scène Günter Krämer fait partie de la deuxième catégorie.

L'idée d'entrée est plutôt bonne, mais comme souvent les prétendues bonnes idées, elle dégénère rapidement et ne tient pas sur la durée. Jugez plutôt : deux scènes superposées se présentent au spectateur ; la première au niveau du sol, la seconde, placée environ une dizaine de mètres au-dessus, où est posé un grand miroir en plan incliné, lequel montre, à l'envers, donc, un sol en plancher recouvert de terre noire. Une dizaine de personnages, vêtus de costumes dix-huitième rouge vif, emperruqués de blanc, semblent comme surgir des profondeurs, reflétés par le miroir. Ils gesticulent, s'agitent et glissent sur les mottes de terre avec une sorte de jubilation un peu iconoclaste. L'effet est plutôt saisissant, original, "renversant" pourrait-on même dire, mais il convient cependant de souligner que tout se passe pendant l'ouverture qui, ainsi que chacun le sait, est désormais considérée comme une chose inutile, qu'il faut "meubler" sous peine de sombrer dans un ennui profond.

Las, lorsque les protagonistes de l'opéra entrent en scène - celle du bas - devant des panneaux blancs où s'inscrit la phrase "Mitridate è morto" (ce qui s'appelle "annoncer la couleur"), les choses se gâtent très sérieusement. Sifare et Farnace, les deux frères rivaux, sont représentés comme des collégiens très british - blazers et culottes courtes - qui font de la gymnastique et jouent à la marelle en se chamaillant.


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Aspasia, elle, est une plantureuse créature blonde - bustier et jupe en tulle rouge, talons aiguille, genre "Marylin ratée" ; Ismene, vêtue d'un faux tailleur Chanel, fait penser à une secrétaire de direction des années cinquante ; Mitridate arbore une tenue kaki style "George Bush de retour d'Irak". On s'interroge par ailleurs sur la signification d'une phrase fluorescente et en arabe qui surplombe les deux scènes. Une allusion à la guerre en Irak ? Pitié, non ! Et tout sera à l'avenant. Citons pêle-mêle quelques exemples : pendant l'air superbe de Farnace, "Venga pur minaccia", les figurants en rouge du début se retrouvent déguisés en athlètes shintoïstes vêtus de blanc qui se livrent à des mouvements de gymnastique (la chorégraphie ? ! ?) et glissent sur les mottes de terre dont ils se bombardent à l'occasion, façon bataille de boules de neige. Ceci, bien entendu, détourne l'attention du public de la musique et déclenche son hilarité. Idem, lorsque, plus tard, Mitridate arrive en tenue de combat - toujours alla Bush - l'air menaçant, avec une hache à la main.

Plus tard encore, on voit Ismene monter sur la scène du haut pour se livrer à une glissade façon toboggan sur les mottes de terre. J'avoue que le sens mystérieux de cette action m'a échappé, tout comme cette manie de contraindre les chanteurs à grimper sur des grilles, puis à jeter leurs chaussures une fois arrivés au sommet, pour enfin les pousser à chanter dans cette position. Cette "mise en danger" à la fois vocale et physique n'apporte bien évidemment aucun élément nouveau à l'action, mais s'inscrit dans la gratuité et la vacuité caractéristiques de cette "vision".

Tout cela, il faut bien l'avouer, a un relent de "déjà vu" : chez Mac Vicar - en moins kitsch -, chez Sellars - en moins réussi - et avec moins de brio. Quelques images choc, quelques "idées", ne font pas une lecture de ce génial opera seria, composé par un Wunderkind âgé de quatorze ans et qui annonce déjà, par sa structure et la force de ses personnages, Aspasia en tête, les fureurs et les égarements d'Idomeneo et de La Clemenza di Tito.


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Certes, le décor est astucieux, certes, les couleurs sont surprenantes, mais on cherche désespérément des éléments de cohérence par rapport à une oeuvre qui, bien que dite "de jeunesse", est loin d'être mineure. La caractérisation des personnages, réduits à l'état de marionnettes, est quasiment inexistante, l'émotion absente, sauf peut-être au moment de la mort de Mitridate, où l'image du Roi, renvoyée par le miroir, le montre allongé sur le plancher, comme crucifié - ceci rappelant la scène finale de la géniale mise en scène de Sellars pour Theodora de Haendel à Glyndebourne. On a envie de conseiller à Günter Krämer, soucieux peut-être de nous faire croire que Mitridate est un opéra bouffe, d'abandonner la mise en scène et de se reconvertir dans l'art contemporain, où, sans doute, son utilisation des couleurs primaires et des éclairages fluo ferait merveille. Il ne faut pas oublier que pour Mitridate, nous possédons des références prestigieuses : la fameuse mise en scène de Ponnelle (qu 'est-ce qu'il doit rigoler, Jean-Pierre, sur son petit nuage, en voyant tout cela !) pour le Festival de Schwetzingen en 1983, dont il tirera un film tourné au Teatro Olimpico de Vincenze. Et puis la somptueuse production japonisante de Graham Vick au Covent Garden (1993) avec Luba Organosova (Aspasia) et Ann Murray (Sifare), une autre production de l'Opéra de Lyon avec la formidable Yvonne Kenny en Aspasia et Rockwell Blake en Mitridate (1986), etc.

Dommage, donc, pour cette mise en scène ratée, d'autant plus que, mis à part quelques réserves, la réalisation musicale, elle, est digne d'éloges, et fait regretter qu'on ne l'ait pas donnée au Glocke en version de concert.

Un reproche, cependant, avant les lauriers : pourquoi Minkowski a-t-il tailladé la partition de manière aussi drastique, sabrant de nombreux récitatifs et surtout des airs non négligeables de Mitridate et d'Ismene ? Ceci va sans doute dans le sens de la "dramaturgie" voulue par Krämer, mais ajoute à l'incohérence du propos. En mars 2000, au Théâtre du Châtelet, Christophe Rousset nous avait livré une version bien plus complète et respectueuse de l'oeuvre, qui totalisait, certes, plus de trois heures de musique. Il est vrai aussi que le metteur en scène en était alors Jean-Pierre Vincent, un autre "homme de théâtre", dont le but principal n'était certainement pas de réécrire le livret.

En dépit de ces coupures, il faut bien reconnaître que la direction de Minkowski, malgré quelques brutalités dont il est coutumier, se révèle de très haute tenue et que, comme toujours, il est un accompagnateur idéal pour les chanteurs. Il est vrai que Mitridate sied plutôt bien aux "baroques" lesquels, par contre, se cassent souvent les dents sur les oeuvres de la maturité, en particulier la Trilogie da Ponte et La Flûte Enchantée.

En tête de la distribution, il convient de saluer Netta Or, qui possède toutes les qualités nécessaires pour tenir le rôle d'Aspasia : voix corsée et chaude, quasiment dramatique, véhémence, colorature facile. Bejun Mehta, dont on ne vante plus les évidentes qualités, la suit immédiatement dans le palmarès (on se souvient de son formidable Ptolémée dans Jules César) : autorité, musicalité, très forte présence scénique; malgré le jeu caricatural qu'on lui impose, il parvient - ô combien - à passer la rampe. Il est talonné de près par le Sifare de Miah Persson, d'une grâce et d'une musicalité rares, même si son timbre de soprano clair, idéal pour la Sophie du Chevalier à la Rose, paraît un peu léger pour ce rôle, tenu au Châtelet par Barbara Frittoli, formidable, et au disque, avec le même Rousset, par Cecilia Bartoli.


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Au début de la représentation, Richard Croft nous a semblé en petite forme ; il faut dire que l'air d'entrée de Mitridate, "Se di lauri il crine adorno", crucifiant par sa difficulté, en a fait s'époumoner plus d'un. Cependant, au fil de l'action, il s'améliore, et son style, sa prestance, sa personnalité si particulière, font le reste.

Malgré un timbre toujours un peu "vert", Ingela Bohlin ne démérite pas en Ismene, et Andrew Tortise - Marzio - ainsi que Pascal Bertin - Arbate, sont irréprochables.

Le public très enthousiaste fait un triomphe aux protagonistes de cette soirée, globalement satisfaisante sur le plan musical, malgré une production particulièrement "polluante".

En conclusion, bilan très positif pour ce week-end musical à Brême, situé entre tradition et modernité, ensemble d'émotions savamment contrastées.
 

Juliette BUCH
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