C O N C E R T S
 
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LYON
25/03/2007
 

INEDITS NAPOLITAINS

Cantates, motets, airs et sonates de Corelli,
Guido, Mancini, Scarlatti & Stradella


Marina Venant, soprano
François Costa, violon
Luc Gaugler ; Viole
Roland Ulrich, Guitare baroque & théorbe

Franck-Emmanuel Comte, clavecin

Lyon, musée de l’Hôtel-Dieu, le 25 mars 2007

 
Entre ciel et chair


Nous avions laissé Franck-Emmanuel Comte aux prises avec les extases inédites de la Sainte Ursule de Scarlatti. C’était un peu le joyau concertant de la saison napolitaine du Concert de l’Hostel-Dieu. On reste sur les rivages napolitains ; mais sur des rivages aux fortes saveurs de « goûts réunis » lorsqu’il s’agit du gênois Corelli ou du francisé (au service des Orléans) Guido. Avec Comte, rien n’est jamais parfaitement simple… Ou disons que tout est un peu plus complexe qu’il n’y paraît d’abord. On lit, là, la griffe des chefs fureteurs, musardeurs ; des enquêteurs de la baguette ! De ces chefs qui aiment les manuscrits (des inédits, ici, de la bibliothèque municipale de Lyon).

Petit coup d’œil sur le programme. Un programme qui embrasse (qui embrase, aussi) les affects les plus divers. Où l’on retrouve un peu de l’ardeur extatique d’Ursule (le motet marial Descendite de Guido) ; où l’on trouve aussi de ces belles pastorales, de ces tendres égarées sur la carte du tendre sans lesquelles le baroque ne serait pas tout à fait lui-même (c’est ici l’apanage de Mancini et de la plaintive Bella prove de la mia fede de Scarlatti père) ; où l’on trouve, pour finir, l’oratorio et l’opéra (Scarlatti, encore, et le jubilatoire Su su coronate mi de Stradella). Où l’on parcourt, en somme, la mosaïque des styles et des caractères. Première étoile, pour le programme, donc !

Seconde, en toute justice, pour le travail de la direction. J’allais dire pour l’orchestre… et c’est finalement tout dire ! C’est faire, peut-être, le plus beau des compliments aux quatre instrumentistes, chambristes au charme fragile, paillons brillants qui tendent des draperies virtuoses sur la (toute) petite scène (qui n’en est pas une, d’ailleurs) du musée de l’Hôtel-Dieu. Des paillons disais-je, qui sont comme les incrustations des sols cosmatesques romains : des mondes en soi qui, agencés, donnent une image à la fois géométrique et mouvante, diaprée autant que rigoureuse, presque funambulesque et bigarrée.

C’est tout le talent de Comte de brosser des fresques bouillonnantes sans dogmatisme musicologico-philologique, avec la seule conscience d’une musicalité qui rend chaque page, chaque note, familière à l’oreille. Des fresques alla Dughet, ici, des paysages nimbés d’azur et parcourus de nymphes agiles et délicatement tracées.

Des nymphes ? Une nymphe en fait ! Ici, je me permets une incise. Je ne fais pas l’apologie inconditionnelle d’un concert frappé par la perfection. Que non ! Il y a, ici, bien des accrochages, bien des « pains » (pour un théorbe, une guitare savoureuses et une viole emportée, il y a, aussi, un violon faillible qu’un Corelli furioso met à mal). Mais ces pains passent dans le mouvement inné imprimé par Comte (c’est tellement vrai des pièces « seulement » instrumentales, comme arrachées). Je ne suis ni sourd ni aveuglé ; je vois, simplement, une autre dimension dans le live.

Alors, notre nymphe ? Notre nymphe du jour c’est Marina Venant. La présence n’est pas incandescente ; discrète, presque. Mais la musicalité est tellement fine. Le timbre sans miracle. Mais la conduite si juste. La pastorale (Cielo dite mi come de Mancini) la trouve moelleuse, d’une délicatesse émue avec des tons de pastels griffés d’une craie diffuse et lumineuse. C’est encore vrai pour la motet de Guido ; ça l’est toujours pour la prove de Scarlatti. Cela l’est un peu moins pour une Salomé de Stradella (Su, su, coronate mi) parfaitement vocalisée à laquelle il manque, cependant, la nourriture d’un timbre plus riche, la couleur plus violente de l’exaltation barbare de la demi-folle de Judée. Mais Marina Venant est jeune… Très jeune… Et son impeccable douceur, cet intimisme bruissant saura bien, sans doute, se réchauffer des teintes fauves qui lui manquent encore. Pas de quoi en tout cas faire tomber une troisième étoile bien méritée.

La suite nous promet un Stabat Mater de Pergolèse dans une mouture originale ; et la saison prochaine un retour à la musique française. C’est peu dire que l’on est impatient !


Benoît BERGER

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