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MARSEILLE
07/03/04
 

Irina Mataeva
Piotr Illitch TCHAIKOVSKI  (1840-1893)

EUGENE ONEGUINE

Opéra de Marseille
Production Théâtre Mariinsky de Saint-Petersbourg
En coopération avec le Théâtre du Châtelet à Paris
Sponsorisée par la "Mariinsky Theatre Fund", GB

Direction musicale : Patrick Davin
Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser
Décors : Christian Fenouillat
Costumes : Agostino Cavalca
Lumières : Christophe Forey
Chorégraphie : Nicole Leduc
 

Tatiana : Irina Mataeva
Olga : Tanje Ariane Baumgartner
Madame Larina : Svetlana Volkova
Filipievna : Zlatomira Nikolova
Eugène Onéguine : Paulo Szot
Lenski : Andrew Richards
Triquet : François Piolino
Le Prince Grémine : Feodor Kuznetsov
Un Capitaine et Zaretski : Mehlih Tepretmez
Enfants de l'École de danse de Michèle Bonnefoy
Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Marseille
Chef des Choeurs : Pierre Iodice

Représentation du dimanche 7 mars 2004



Eugène Onéguine n'est pas vraiment un opéra, on le sait, mais plutôt une séquence de scènes, de tableaux de la vie bourgeoise, que traversent des personnages éperdus ou blasés qui se tirent comme ils peuvent du gâchis de l'oisiveté.

Mais Onéguine est aussi une énigme : pourquoi le héros refuse-t-il l'amour de Tatiana, offert spontanément et avec une totale sincérité ? Par scrupule ? Pourquoi pousse-t-il à bout Lenski, son meilleur ami, au point d'obliger celui-ci à le provoquer en duel ? Et pourquoi, enfin, des années plus tard, change-t-il complètement d'attitude et essaie-t-il d'enlever Tatiana, mariée à un vieillard ?

Certes, la musique dit beaucoup de choses, mais elle ne dit pas tout. Sentimentale, émouvante, elle cerne admirablement l'atmosphère du drame et rend bien compte de l'irrépressible mal de vivre des héros. Le texte, lui, ne livre rien, mais permet d'avancer à tâtons... Car qui aurait osé, à part Tchaïkovski, parler ouvertement de l'amour homosexuel ? En réalité, Onéguine n'aime que Lensky et il le tue par désespoir, pour essayer de se libérer, de devenir un homme comme les autres, pour tragiquement et lamentablement échouer...
Onéguine, même si son talent est ailleurs, n'est et ne sera jamais rien. Il est la nullité même, le vide sidéral en pantalon, jusqu'au jour où, par légèreté, égoïsme, stupidité, il commet un crime. Événement qui le "constitue" peut-être, mais il est alors bien tard, et à quel prix ?

Refusant l'anecdote et le recours au folklore tapageur, le binôme Caurier-Leiser a effectué un joli "copier/coller" de leur spectacle lausannois... assumant sans honte ses dix ans de bouteille... Rien de révolutionnaire, certes, mais un réel plaisir de retrouver une mise en scène intelligente et d'une précision exemplaire, rigoureuse, cohérente. Dans des éclairages au scalpel de Christophe Forey, les costumes d'Agostino Cavalca pouvaient séduire le public, les panneaux boisés mais glaciaux de Christian Fenouillat essayant en vain de recréer la magie du cadre unique de la Grange Sublime de Mézières.

Pour ce chef-d'oeuvre du romantisme où la réalité dépasse la fiction, il fallait un trio de choc. Paulo Szot en Onéguine, Irina Mataeva, Tatiana écorchée vive, et Andrew Richards, Lenski de style qui ne reste jamais à la surface des choses, hyper lyrique, communicatif, un rien cabotin presque, emportent l'adhésion la plus totale et il serait bien difficile de leur adresser un quelconque reproche qui tienne la route.

Le premier cerne avec justesse un dandy orgueilleux, égocentrique, un rien antipathique dans sa suffisance (une bonne main au panier lui remettrait les idées en place !) qui réussit à donner dans la scène finale une insoutenable et rare intensité. Paulo Szot ? Un baryton qui vient de faire en France des débuts fracassants. A suivre donc !

La deuxième délivre un chant frémissant, aux nuances infinies, et se révèle en totale adéquation avec un personnage qui semble la consumer entièrement. Profondément romantique, son interprétation de Tatiana est attachante, non seulement par un phrasé et un legato rares, mais aussi par une ligne de chant vraie, pétrie d'émotion et de simplicité.

Les seconds rôles sont tous fort bien tenus, avec une mention - en pourrait-il être autrement ? - pour la Niania de Zlatomira Nikolova, véritable baba moscovite fort bien typée et surtout le prince Grémine de la basse Feodor Kuznetsov, qui apporte à son air une réelle émotion grâce à un timbre de bronze rare.

Sympathique aussi la composition du jeune François Piolino en pédant et ridicule Monsieur Triquet. Bref, l'esprit de troupe on ne fera pas mieux...

Tchaïkovski disait de la musique d'Onéguine qu'elle "n'a ni éclat ni splendeur". Au pupitre des forces phocéennes, le bondissant Patrick Davin, montre le contraire et prouve qu'il s'agit d'une partition riche en couleurs et que l'éclat et la splendeur s'y trouvent, sans être extérieurs. Brio, fougue, lyrisme (encore et c'est tant mieux !) mais aussi retenue lors des passages plus intimistes, nerf et souplesse caractérisent le travail du premier chef invité de l'Opéra de Marseille.

Renée Auphan et son équipe peuvent être fiers de leur travail !
 
 
 

Christian COLOMBEAU
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