C O N C E R T S 
 
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GENEVE
20/09/04
Giuseppe VERDI (1813-1901)

OTELLO

Opéra en quatre actes 

Livret d'Arrigo Boito,
d'après le drame de William Shakespeare

Production du Théâtre Royal de la Monnaie, Bruxelles

Vladimir Galouzine (Otello),
Marzio Giossi (Iago)
Mirko Guadagnini (Cassio)
Eric Owens (Lodovico)
Serena Farnocchia (Desdemona)
Sophie Pondjiclis (Emilia)

Pinchas Steinberg, direction musicale
Ching-Lien Wu, cheffe de choeur
Willy Decker, mise en scène
remontée par Stephen Taylor
David Finn, lumières
John Macfarlane, décors et costumes

Orchestre de la Suisse Romande
Choeur du Grand-Théâtre
Maîtrise du Conservatoire Populaire

Genève, le 20 Septembre 2004



Un à-peu-près d'Otello
 

Beaucoup d'opéras de Verdi s'accommodent de quelques bons chanteurs ou d'une bonne mise en scène pour les voir s'enfermer dans la tiède définition de "bon spectacle". Otello ne se contente pas de ce "pas mal" si souvent montré dans nos théâtres lyriques. Sans un orchestre explosant dans les excès sonores, sans une direction musicale s'intéressant plus à la prosodie qu'à la partition, sans une direction d'acteurs démesurée, sans le flamboiement et le contraste des lumières, Otello perd de sa puissance dramatique. Dans cette histoire sans grand relief, triste petite intrigue de pouvoir sur fond de mouchoir dérobé, le stratagème ne méritant même pas qu'on en fasse un opéra sans ces ingrédients de violence poussés à l'extrême, l'ennui gagne le spectateur. Le disque, le film, les retransmissions télévisuelles ont formé le spectateur aux références. Si comparaison n'est pas raison, l'exceptionnel doit supplanter la référence, sinon celle-ci revient au galop. En l'occurrence, vingt ans de mémoire du Grand-Théâtre de Genève. Nul doute que les spectateurs qui assistaient à la première se souvenaient de l'Otello de 1980 avec un Carlo Cossutta, un Piero Cappuccilli et une Margaret Price enflammant la scène de Neuve avec ce même Orchestre de la Suisse Romande sous la baguette de Georges Prêtre.

Dès lors, que dire de cette "nouvelle" production genevoise ? Principalement qu'une direction d'orchestre terne affaiblit tout le spectacle. Enfermé dans une énigmatique rigidité, Pinchas Steinberg semble se défendre d'être emporté par ce que la musique souligne du texte. Tout est précis mais l'âme manque. Hormis les quelques rares éclairs de lyrisme qu'il laisse apparaître dans les romances de Desdémone, c'est la froideur contenue qui s'impose dans sa musique. A décharge du chef américain, admettons que le non-spectacle des lumières (David Finn), du décor et des costumes (John Macfarlane) ne pouvaient guère stimuler son inspiration.

Un inexplicable plan incliné bordé de deux parois se refermant sur le fond de scène sert d'unique champ au déroulement de l'intrigue. Sans autre échappatoire scénique, les mouvements se limitent à des avancées et des reculades. Une essentialité de mise en scène et de scénographie qui se justifierait si la direction d'acteurs prenait le relais. Malheureusement, il n'en est rien. Au contraire, on s'avance vers la caricature, voire le ridicule. Ainsi le choeur, admirable sur le plan vocal, engoncé dans des costumes de garçons-pâtissiers aux visages enfarinés, entre et sort par le goulet du fond de scène dans de gentilles bousculades de théâtres de province. Quant aux protagonistes, chacun y va des quelques gestes élémentaires que lui suggère le texte. Ainsi, Desdémone, souvent agenouillée, supplie la clémence d'un Otello se roulant à terre avec des soubresauts d'empoisonné à l'agonie tels qu'on les montrait au temps du cinéma muet, pendant que Iago, appuyé nonchalamment contre l'une ou l'autre des parois, semble contempler le désastre qui s'organise. Ce n'est pas le ballet de trois figurines de la Commedia dell'Arte qui amènera un quelconque éclairage à l'intrigue.

Reste le chant. Habitué aux grandes scènes de plein air, Vladimir Galouzine (Otello) remplit sans difficulté l'espace du Grand-Théâtre de Genève. Considéré comme le meilleur Otello du moment, le ténor russe se promène sur tout le spectre du rôle projetant avec une désinvolture incroyable les aigus d'une partition homicide. Malheureusement, cette voix immense manque quelque peu d'intériorité. Comme on aurait aimé un plus tendre Già nella notte densa du premier acte. Mais, dès qu'elle se fait moins puissante, la voix de Vladimir Galouzine perd en justesse. Alors, le ténor reprend son impressionnante émission au détriment de la musicalité. Le baryton italien Marzio Giossi (Iago) se sort plutôt bien de cette prise de rôle (après celle admirablement réussie de Renato dans Un Ballo in Maschera à Avignon). Souffrant de la rigidité de la direction d'orchestre, il reste cependant souvent en dedans de son personnage. Le Credo de Iago manque alors singulièrement de la hargne et du désespoir qui caractérisent sa condition de vil traître. Il faudra attendre les interventions de Serena Farnocchia (Desdemona) pour qu'un vent de fraîcheur passe parmi les fauteuils du théâtre. Artistiquement parfaite, bouleversante de sincérité, retenue, menant son personnage de pureté au bord de la voix blanche, la soprano italienne module son instrument vocal dans la plus parfaite intelligence du texte. On ne se lasse pas de ses admirables pianissimi qui ne l'empêchent pas de projeter la clarté et la puissance sans stridences d'une des plus belles voix entendues sur la scène genevoise. 

Reste que cet Otello conçu dans l'à-peu-près, tant du point de vue musical que scénique (du moins dans son "remontage" genevois) se solde par un rendez-vous manqué avec une oeuvre qu'on espérait dans l'excellence de la fureur, de l'exaltation et de la démesure shakespearienne et verdienne.
 

Jacques SCHMITT
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