C O N C E R T S 
 
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BADEN BADEN
08/08/04 & 21/08/04

Simon Rattle
Richard WAGNER


PARSIFAL

 

RHEINGOLD

version de concert

Direction musicale :
Kent Nagano

Mise en scène - Nicolas Lehnhoff
Décors - Raimund Bauer
Costumes - Andrea Schmidt-Futterer
Lumières - Duane Schuler
Chorégraphie - Denni Sayers

Parsifal - Christopher Ventris
Kundry - Waltraut Meier
Gurnemanz - Matti Salminen
Amfortas - Thomas Hampson
Klingsor - Tom Fox
Titurel - Bjarni Thor Kristinsson
Festspielchor Baden-Baden
direction : Walter Zeh
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin

Production de 
l'English National Opera, London

8 août 2004

Direction musicale :
Simon Rattle

Wotan - Willard White
Donner - James Rutherford
Froh - Timothy Robinson
Loge - Kim Begley
Alberich - Oleg Bryjak
Mime - Robin Leggate
Fasolt - Peter Rose
Fafner - Robert Loyd
Fricka - Yvonne Naef
Freia - Geraldine McGreevy
Erda - Anna Larsson
Woglinde - Kate Royal
Wellgunde - Karen England
Flosshilde - Christine Rice

Orchestra of the Age of Enlightenment

21 août 2004



Baden-Baden, second Bayreuth ?
 

Après deux cycles du Ring par les troupes du Théâtre Marynski, dirigées par Gergiev (voir notre compte-rendu), donnés en décembre/janvier dernier, voici, en plein mois d'août (soit exactement en même temps que le Festival de Bayreuth), qu'un autre Festspielhaus propose trois représentations de Parsifal avec une affiche qui n'a rien à envier aux plus grandes scènes mondiales et un Rheingold en version de concert mais joué sur instruments d'époque et dirigé par Simon Rattle... La coïncidence des dates et des oeuvres (au même moment, Boulez dirigeait Parsifal  à Bayreuth) est troublante... Si Wolfgang Wagner s'était déplacé pour le "Ring russe" (bientôt Gergiev sur la colline ?...), il avait cette fois-ci visiblement fort à faire à Bayreuth avec le scandale qu'a provoqué la nouvelle production du Parsifal et la recherche d'un metteur en scène pour le prochain Ring...

Parsifal

A Baden-Baden, pas de scandale pour la mise la mise en scène même si celle-ci prend des libertés très discutables avec le testament wagnérien. Nicolas Lehnhoff cherche à rendre l'ouvrage humain et évacue toute référence religieuse. Ainsi, Amfortas est-il présenté comme un pleutre qui n'assume pas son échec. Ce sont les chevaliers qui le saisissent violemment et le poussent à présenter le Graal au premier acte tandis qu'au troisième, Amfortas fuit et se cache de ces mêmes chevaliers qui finissent par pratiquement le lyncher. Cet affrontement apporte une tension forte particulièrement réussie et intéressante. Le problème est que Lehnhoff va, à notre avis, trop loin en faisant mourir Amfortas à la fin de l'ouvrage. Parsifal entrant avec la Sainte Lance ne touche pas la blessure d'Amfortas (ce qui rend les paroles de Parsifal complètement absurdes), puis,  suivi de Kundry et des chevaliers, se dirige ensuite vers le fond de la scène... Personne, hormis Gurnemanz, ne semble concerné par ce qui vient de se passer... (mais où est le "miracle" que commente le choeur?...).

On trouvera la même absence de miracle à la fin de l'acte II où la Lance, au lieu de se suspendre au-dessus de la tête de Parsifal, est l'objet d'une lutte entre Klingsor et Parsifal (un peu comme lorsque Wotan arrache l'anneau des mains d'Alberich...)...

De tels moments souffrent difficilement la confrontation avec le livret et la musique... et font presque oublier de belles idées scéniques (l'entrée des chevaliers - qui sont de véritables chevaliers -, la première apparition du Graal, l'effondrement - qui en est vraiment un -du royaume de Klingsor, etc.). Malgré tout, Lehnhoff n'exclut pas le merveilleux et le mystère qui entourent les apparitions du Graal ; par contre, les filles-fleurs ne sont pas particulièrement sensuelles même si l'idée de "bras-pétales" qui enferment leur proie telle une plante carnivore est intéressante. Un tel parti pris de "désacralisation" de Parsifal  aurait certainement convenu à Pierre Boulez qui affiche la même volonté dans sa direction (parti pris confirmé par son actuel Parsifal  bayreuthien que l'on a pu suivre à la radio). Kent Nagano, qui dirigeait à Baden-Baden le superbe Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin, semble, lui, ne pas trop savoir quelle voie choisir... Ainsi, le Prélude du premier acte - qui installe quelques-uns des motifs fondateurs de toute la partition - est lent et posé, tandis que le tempo s'anime par la suite de manière tout à fait incompréhensible, faisant entendre des motifs plus rapidement alors qu'ils s'étiraient dans le temps au Prélude... Le thème de la Cène est ainsi particulièrement malmené d'un tempo à l'autre, ce qui nous semble une grosse erreur puisque contrairement à certains leitmotiv du Ring qui subissent des variations rythmiques et dynamiques, celui-ci Cène apparaît au fil des trois actes toujours dans le même esprit.

L'agacement est donc constant devant cette direction qui nous paraît illogique. A cela s'ajoute une battue ("à l'allemande", qui consiste à diriger à l'avance, en anticipant) très floue, provoquant de nombreux décalages fosse-scène et au sein même de l'orchestre puisqu'il arrive aux vents d'avoir pratiquement une mesure d'avance sur les cordes à la fin d'une phrase, ce qui ne manque pas de provoquer un léger frémissement dans la salle...

La distribution est éblouissante. 20 ans après ses mémorables Kundry bayreuthiennes, Waltraud Meier réincarne l'un de ses rôles de prédilection avec une santé vocale moindre, mais encore tout à fait impressionnante. La voix a toujours cet impact, ces superbes graves poitrinés, ces aigus cinglants (le Si aigu sur "Lachte"  à la fin du II° acte tétanise la salle) très reconnaissables. Certes, certains autres aigus sont un peu à l'arrachée (la fin de l'acte II est redoutable), mais l'intelligence de l'interprète permet de gommer ces faiblesses. Ainsi, tout le début de l'acte II est chanté piano et très calmement, avec un legato - qui ne sacrifie pas l'articulation, parfaite -, une tenue du souffle, des variations dynamiques tout à fait admirables qui font du "Ich sah das Kind" un moment exceptionnel. A la fin du même acte, Waltraud Meier retrouve cette sauvagerie et cette folie extrêmement électrisantes. Assurément, une des plus grandes Kundry qui soit.

Le Parsifal de Christopher Ventris est fort séduisant, même si la négociation de certains aigus diffère d'une moment à l'autre, trahissant un léger manque d'homogénéité qui devient gênant à la longue. On avait, pour notre part, découvert l'Amfortas de Thomas Hampson à l'Opéra Bastille il y a quelques saisons où il nous avait laissé pantois tant son incarnation était d'une puissance dramatique extraordinaire. Avions-nous oublié de seulement l'écouter ou bien est-ce aujourd'hui une méforme passagère, voire une usure des moyens vocaux ? Ici, il nous a paru, sur le plan vocal, en-deçà du personnage. La voix n'a pas assez de puissance pour couvrir les déchaînement orchestraux tandis que les aigus manquent de rondeur. Si cela est peu gênant pour sa première apparition à l'acte I (superbe) ou au début de son premier monologue, les choses se gâtent ensuite, surtout au monologue du troisième acte. Reste un engagement scénique, une progression dramatique toujours aussi amples qui rendent l'incarnation malgré tout réussie.

Le Klingsor de Tom Fox est parfait. Outre une très belle voix, riche et sonore, jamais le chanteur ne malmène sa partition, le rôle est ici CHANTÉ, et non hurlé ou parlé, c'est extrêmement plaisant. Mais c'est la Gurnemanz de Matti Salminen qui remporte tous les suffrages. La voix toujours aussi richement timbrée et puissante, semble intacte, mais surtout, le chanteur rend son discours passionnant par un "art du dire" admirable et qui, tour de force, ne tourne pourtant jamais au maniérisme. Tous les longs récits de Gurnemanz sont ainsi extrêmement  vivants. Salminen offre un portrait du vieux chevalier très humain (et non quasi divin comme on le voit parfois), son  incarnation de ce rôle difficile est admirable et passionnante.

Les seconds rôles n'ont pas été négligés, même si certaines filles-fleurs affichent un relief ou un vibrato trop saillant dans l'ensemble.

Choeur admirable, notamment le choeur féminin, de toute beauté. Au final, une grande réussite vocale, trop souvent gâchée par une direction éparpillée et confuse.

Rheingold

Quinze jours plus tard, nous revoici dans cette superbe salle du Festspielhaus pour une première (à notre connaissance) : un opéra de Wagner sur instruments anciens. L'événement est d'ailleurs retransmis en direct sur une chaîne allemande.

Si les "baroqueux", comme on les appelait au début de leur percée, ont fait leurs armes sur la musique... baroque, puis classique et romantique (Schumann ou Tchaïkowsky par exemple ont ainsi été "revisités"), ils n'hésitent maintenant plus à se mesurer à de très grandes figures du XIXe voire du XXe siècle (les Kuijken ont ainsi superbement enregistré la musique de chambre de Debussy sur instruments d'époque).

Le Festspielhaus de Baden-Baden accompagne donc ces pionniers puisque, outre ce Rheingold, il a donné cette saison un Rigoletto de Verdi également sur instruments anciens !

Mais revenons à Wagner. Quel intérêt y-a-t-il à jouer Wagner (ou Verdi, ou Debussy) sur instruments d'époque ?

Tout simplement l'évolution de la facture instrumentale. Elle fit des bonds de géant au XIXe siècle et permit de rendre plus commode -  et plus juste - le jeu de certains instruments (invention du système de clés dit "Boehm" pour les bois), mais aussi d'offrir une plus grande puissance (transformation de la perce des flûtes et utilisation progressive du métal et non plus du bois). Cela permit un jeu bien plus "facile" pour les vents, notamment les cuivres : tout ou presque leur devenait permis, agilité comme exploration de toutes les tonalités. Il n'est qu'à comparer une partition d'une symphonie de Beethoven avec une partition d'un opéra de Wagner pour mesurer combien les parties de cuivres ont évolué : ils font alors jeu égal avec les bois ou les cordes. Wagner a bien profité de ces avancées en offrant à ces groupes une indépendance alors inconnue au sein de l'orchestre.

Cependant, ces transformations techniques allaient se poursuivre, les instruments du milieu du XIXe siècle n'étant qu'une étape dans cette évolution qui ne s'est bien sûr pas faite en un jour. Une évolution qui rencontra parfois l'hostilité des musiciens. Ainsi, certains flûtistes, s'ils appréciaient le système Boehm, ont refusé le métal, et beaucoup encore au début du XXe siècle jouaient des flûtes en bois, les instrumentistes à cordes gardaient des cordes à boyau, quant aux tubas wagnériens, ils venaient d'être inventés, ils étaient donc sujets à amélioration, les timbales ne connaissaient pas encore les peaux synthétiques, etc. Il s'avère donc tout a fait intéressant d'entendre cette musique sur des instruments d'époque, bien différents que ceux d'aujourd'hui.

Et on ne le répètera jamais assez : les instruments anciens offrent une palette de couleurs particulièrement riche et variée qui s'est progressivement perdue pour aboutir aujourd'hui à une uniformisation - aussi belle soit-elle - du son orchestral. Avec un orchestre d'instruments anciens - et donc même du milieu du XIXe siècle - on trouve une diversité de timbres absolument incroyable, nous en avons eu à Baden-Baden, une illustration magistrale : oui, une clarinette peut avoir un son TRÈS différent d'un hautbois, oui, des bassons peuvent délicieusement "râper", oui des flûtes peuvent avoir un son rond et doux jusque dans l'aigu, oui, cors, tubas wagnériens et trombones n'ont rien à voir, et oui, les cordes peuvent ne pas vibrer parce que ce n'est pas indispensable pour faire vivre un son, etc., etc.

On a souvent associé les interprétations des "baroqueux" avec le minimalisme. Si des effectifs réduits sont salutaires pour la musique baroque (par rapport à ce que faisaient des chefs comme Klemperer ou Karajan dans Bach par exemple), ils seraient injustifiés pour la musique du XIXe siècle ou, le plus souvent, les compositeurs indiquent la nomenclature orchestrale. L'Orchestre de l'Age des Lumières est ici extrêmement fourni : près de 100 musiciens (les cordes étaient un peu moins nombreuses par rapport à ce que prescrivait Wagner, mais les rangs de bois et cuivres sont conformes à la partition, ainsi que les 6 harpes - il est rare de les avoir toutes les six...). Le diapason est quant à lui légèrement inférieur à 440 Hertz.

C'était une excellent idée de donner ce Rheingold en version de concert car un rôle de premier plan est ainsi donné à l'orchestre wagnérien. De plus, la maîtrise des instrumentistes se révèle éblouissante et montre qu'aujourd'hui on ne peut plus ricaner sur les orchestres - les meilleurs en tout cas - jouant sur instruments d'époque. Un chef comme Simon Rattle l'a compris, lui qui dirige depuis longtemps cet Orchestra of the Age of Enlightenment, et qui l'a précisément choisi pour diriger son premier Rheingold. Car le son ne fait pas tout (chose que les premiers baroqueux n'avaient peut-être pas tout à fait réalisé), encore faut-il savoir faire vivre la musique, comme tout interprète.

Et là encore, quelle démonstration ! Simon Rattle aime à apporter un éclairage nouveau sur une oeuvre, il aime faire ressortir des détails particuliers de l'orchestration. Il s'y est ici donné à cour joie et, de fait, pour notre part, nous avons découvert des richesses insoupçonnées dans l'orchestre wagnérien, ainsi qu'une conception très personnelle. Et ce, dès le Prélude. La tradition a installé une tenue continue du célèbre Mi bémol, telle une pédale d'orgue. Aussi, quelle ne fut pas notre surprise d'entendre des coupures dans cette tenue ! Les contrebasses levaient l'archet et attaquaient à nouveau distinctement la note, puis de même pour les bassons... Un coup d'oeil sur la partition répondait à notre interrogation : les liaisons sur les mi bémols successifs ne sont effectivement pas continues. Rattle ne fait que respecter ce qui est écrit ! Il fallait y penser...

Les phrases ondoyantes des cordes qui surviennent ensuite sont admirablement modelées et emportent l'auditeur que les "coupures" du mi bémol peuvent surprendre...

Autres exemples du raffinement de Rattle : le thème du Tarnhelm joué pianississimo, ce qui ajoute du mystère à ce thème déjà merveilleux et qui fait retenir son souffle au public, les harpes clairement audibles lors de l'apparition de l'arc-en-ciel après le tonnerre provoqué par  Donner, le chant final des Filles du Rhin (où celles-ci osent quelques sons plats des plus déchirants), etc.

Les tempi sont généralement assez lents car Rattle aime à dégager certaines phrases élégiaques des cordes, certains solos des vents, et soigne particulièrement les interludes. Certains moments forts et puissants sont par contre curieusement "gommés" (entrée des géants, meurtre de Fasolt par Fafner). C'est sans doute dû à la version de concert, ou participe de la vision très personnelle de Rattle.

Une lecture passionnante donc, extrêmement riche et dense. Rattle compte-t-il poursuivre le Ring avec cet orchestre ? On sait en tout cas qu'il dirigera un Ring avec le Philharmonique de Berlin au Festival d'Aix-en-Provence à partir de 2006, cela promet de grands moments (d'autant plus que la mise en scène a été confiée à Stéphane Braunschweig).

La distribution de ce Rheingold, contrairement à Parsifal, n'affiche pas de véritables "stars" (la star, c'est l'orchestre) mais elle apparaît d'une grande homogénéité et dotée de quelques individualités remarquables tels Kim Begley en Loge ou Oleg Bryjak en Alberich. Le premier, grâce à un organe polymorphe, alterne savamment la légèreté et le poids vocal selon les situations, ce qui rend son incarnation particulièrement vivante. Une très grande réussite. Le deuxième offre une voix noire, timbrée et imposante qui convient parfaitement au rôle. Même si certains aigus sont un peu ouverts, la puissance de l'expression remporte tous les suffrages.

Willard White campe un Wotan de superbe stature tout comme la très belle Fricka d'Yvonne Naef. Les deux géants de Peter Rose et Robert Loyd sont particulièrement convaincants, tout comme l'Erda d'Anna Larson. Les autres rôles sont très correctement tenus.

Une très grande soirée donc et une double révélation : Wagner sur instruments d'époque et Rattle chef wagnérien. A cela on peut ajouter, pour ceux qui ne seraient pas encore au courant, que la haute tenue du Festspielhaus  de Baden-Baden (entièrement privé, d'où, hélas, le prix élevé des places) rend décidément ce lieu un incontournable du monde lyrique européen.

2004 sera en outre une année très wagnérienne pour Baden-Baden puisque après le Ring russe, ce Parsifal et ce Rheingold, ChristianThielemann dirigera en décembre l'Orchester der Deutschen Oper de Berlin pour deux concerts Wagner avec les actes I et II de Walküre, l'acte II de Parsifal, et des extraits de Götterdämmerung avec Luana de Vol, Susan Anthony, Linda Watson, Stephen Gould et Robert Hale. A l'heure où le Festival de Bayreuth semble se chercher - si ce n'est s'égarer -  avec des productions qui misent surtout sur la "réactualisation", voire la provocation, l'air frais que nous distille le Festspielhaus pourrait bien faire de Baden-Baden une place wagnérienne de premier ordre.

Pierre-Emmanuel LEPHAY
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Concerts dirigés par Christian Thielemann : 
vendredi 3 décembre : Parsifal, Acte II ; Die Walküre, Acte III
samedi 4 décembre : Die Walküre, Acte I ; extraits de Götterdämmerung Prix : de 42 à 140 euros

Renseignements : www.festspielhaus.de  (le site propose depuis peu des pages en français)  ou au 00 49 72 21 30 13 101 (certaines hôtesses parlent français)

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