C O N C E R T S 
 
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BADEN-BADEN
22 & 27/01/04
(© DR)
Richard WAGNER

Rheingold
Götterdämmerung

Direction musicale - Valery Gergiev
Mise en scène - Julia Pevzner et Vladimir Mirzoev
Décors - George Tsypin
Costumes - Tatiana Noginowa
Lumières - Gleb Filschtinsky

Rheingold
Wotan - Mikail Kit
Alberich - Viktor Tschernomorzev
Loge - Konstantin Plushnikov
Freia - Tatiana Borodina
Fricka - Svetlana Volkowa
Mime - Nikolai Gassiev
Woglinde - Zanna Dombrowskaja
Wellgunde - Lia Schevzowa
Flosshilde - Nadesda Serdiuk
Fasolt - Jevgeny Nikitin
Fafner - Michail Petrenko
Donner - Gennady Bezzunbenkov
Froh - Jevgeny Akimov
Erda - Zlada Bulitscheva

Götterdämmerung
Siegfried - Sergei Liadov
Gunther - Edem Umerov
Alberich - Viktor Tschernomorzev
Hagen - Michail Petrenko
Brünnhilde - Olga Sergejewa
Waltraute - Olga Sawowa
Gutrune - Valeria Stenkina
Woglinde - Zanna Dombrowskaja
Wellgunde - Lia Schevzowa
Flosshilde - Nadesda Serdiuk
Norne - Liudmila Kanunikowa, Svetlana Volkowa
 Tatiana Kravzowa
 

Choeurs et Orchestre du Théâtre Marynski de St. Petersbourg

Baden-Baden, Festspielhaus, 22 & 27 janvier 2004



La gageure était de taille, la réussite le fut aussi. Précisons d'emblée que nous n'avons pu voir que le prologue, Rheingold, et la dernière journée, Götterdämmerung, de ce Ring 100 % russe, et même 100% Marynski. L'ex-Kirov est en effet venu présenter le Ring à Baden-Baden pour deux cycles avec sa troupe, son orchestre et sa mise en scène. L'événement résidait aussi dans le fait que le Kirov n'avait pas monté un Ring sur scène depuis plusieurs dizaines d'années.

Le maître d'oeuvre en était bien sûr Valery Gergiev, non seulement pour la partie musicale mais aussi pour la partie scénique puisque le ìconceptî est signé George Tsypin ET Valery Gergiev. La mise en scène est d'une extrême originalité. Loin de vouloir transposer l'action à l'époque moderne, elle se propose, au contraire, de plonger dans les racines les plus primitives du mythe au gré d'allusions à des civilisations anciennes ainsi qu'au monde végétal et animal, aux univers marin et minéral. Le mythe tend, de fait, vers l'universalité. Le parti pris surprend beaucoup, l'esthétique aussi. Pourtant, force est de constater que tout cela finit par séduire et fonctionne même assez bien par moments, à défaut de convaincre toujours pleinement.

Le plateau est dominé par quatre figures gigantesques, sortes de statues-pantins, qui partent de la station couchée (Rheingold), passent par diverses postures dont on a certes parfois du mal à saisir la raison, pour revenir à la position couchée à la fin du Götterdämmerung. Elles sont en tout cas les témoins du drame qui se déroule autour d'elles et leur présence tantôt menaçante, tantôt rassurante est un élément fort de la scénographie. Le deuxième élément-phare réside dans de superbes éclairages, très caractéristiques et changeants. Ils accompagnent les événements sans être pour autant redondants. Certaines ambiances nocturnes sont ainsi particulièrement réussies. 
Les costumes évoquent des peuplades antiques (les drapés de certains habits) ou primitives (les tatouages et peintures corporelles rappellent quelque tribu d'Afrique, certains accessoires évoquent l'art viking ou scythe), voire des statues plus monumentales comme celles de l'Ile de Pâques (les deux géants sont de véritables rochers mobiles !) et concourent à la force et l'originalité visuelle du spectacle.

La mise en scène elle-même ne convainc pas toujours par ses choix et ses idées. A côté de belles réussites (les tableaux devant le Walhalla de Rheingold, le deuxième acte de Götterdämmerung, avec une plate-forme portée par de gros piliers sur laquelle Hagen observe et manipule tous ceux qui s'agitent à ses pieds), on sera déçu par quelques ratés (notamment lorsque l'on fait tourner le corps de Siegfried mort... dans une roue !) ou par des baisses de tension (fin de Rheingold assez creuse, fin de Götterdämmerung un peu trop emphatique...). Sur le plan technique, on regrettera que ne soient pas utilisées les trappes qui permettraient à certains personnages de venir des profondeurs, ou d'y repartir... telle Erda qui, ici, traverse la moitié de la scène depuis le côté jardin avant d' ìapparaîtreî aux Dieux... La magie de son apparition en est cruellement affaiblie. On déplorera aussi l'absence de camouflage de certains éléments comme les câbles électriques qui jonchent le sol sur les côtés du plateau, ou la présence de techniciens qui apportent des éléments de décor aux changements de tableaux... tout cela gâche l'esthétique et le déroulement dramatique.

Si la scénographie nous laisse une impression mitigée, il en va autrement de l'interprétation strictement musicale qui, elle, est une franche réussite. L'orchestre tout d'abord est magnifique : engagement des musiciens, homogénéité de l'ensemble, beauté des pupitres et des solistes, c'est tout bonnement somptueux.

Les choeurs de même sont absolument confondants de beauté et de puissance (avec 30 hommes seulement !). Les chanteurs proviennent tous du Marynski, c'est déjà une performance, et on ne peut que saluer l'adéquation de chacun avec son rôle. Il serait fastidieux de citer les noms de tous, mais la Brünnhilde d'Olga Sergejewa mérite tous les éloges. Même si la chanteuse montre quelques signes de fatigue à la fin de Götterdämmerung, elle comble par une voix d'airain superbe, des aigus cinglants et campe une Brünnhilde finalement très humaine et parfois même bouleversante. Les voix graves de femmes ne sont pas en reste, et cela n'étonnera guère de la part de chanteuses russes. Ainsi n'oubliera-t-on pas l'Erda splendide de Zlata Bulitscheva et la Waltraute d'Olga Sawowa. Chez les hommes, on saluera l'excellent Wotan de Mikhaïl Kit, tout comme l'Alberich de Viktor Tschernomorzev ou le Hagen de Michail Petrenko, voix superbe aux graves généreux. Il formait aussi avec le Fasolt de Jevgeny Nikitin le plus beau couple de géants qu'il soit donné d'entendre. Mais l'ensemble de la distribution est réellement sans faille.

On n'attendait pas forcément Valery Gergiev dans Wagner et pourtant, il captive et réussit même quelquefois à emporter et à émouvoir l'auditeur. Parfaitement à l'aise, le chef insuffle à ses troupes une urgence dramatique des plus heureuses et réussit à magnifier l'écriture orchestrale wagnérienne... mais au point parfois de couvrir les chanteurs. On pourra lui reprocher aussi de souligner parfois un peu trop le trait (entrée des géants dans Rheingold par exemple) mais la manière dont il fait s'épanouir dans l'espace le thème final de la rédemption par l'amour est absolument inoubliable. Gergiev sait ici submerger d'émotions l'auditeur. Nous n'avons, pour notre part, jamais entendu aussi belle fin de Götterdämmerung.

Quel opéra au monde peut se permettre de monter un Ring de cette qualité avec ses forces vives et arriver même à surpasser Bayreuth ? On ne peut manquer de se poser la question devant ce travail admirable... tout en jetant un coup d'oeil à ce fameux Rhin, d'où tout part et tout revient, lors de notre retour sur Strasbourg !
 

Pierre-Emmanuel LEPHAY

 
 
 

A noter que le Festspielhaus de Baden-Baden rivalisera avec Bayreuth l'été prochain puisqu'il proposera une version de concert de Rheingold sur instruments anciens dirigée par Simon Rattle à la tête de The Orchestra of the Age of Enlightenment, puis Parsifal avec une distribution incroyable : Ventris, Meier, Hampson, Salminen, dirigés par Kent Nagano et dans la mise en scène de Nikolaus Lehnhoff (production de l'English National Opera).

Renseignements : www.festspielhaus.de
 

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