C O N C E R T S 
 
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STOCKHOLM
01/06/05

Anne Sofie Von Otter (Concepcion)
(L'heure espagnole)
© Alexander Kenney
Maurice RAVEL (1835 - 1937)

"2 X RAVEL"

L'HEURE ESPAGNOLE (1911)
Opéra en acte sur un livret de Franc-Nohain
(chanté en français)
Mise en scène : Karl Dunér
Décors : Jan Lundberg
Costumes : Peder Freij
Lumières : Erik Berglund

Distribution :
Concepcion : Anne-Sofie von Otter
Torquemada, horloger, son mari : Lars Magnusson
Gonzalve, poète : Tomas Zagorski
Ramiro, muletier : Gunnar Lundberg
Don Inigo Gomez, banquier : John Erik Eleby

L'ENFANT ET LES SORTILEGES (1925)
Opéra en deux parties sur un livret de Colette
(chanté en suédois)

Traduction : Agneta Myreberg
Décors et mise en scène : Ole Anders Tandberg 
Dramaturgie : Stefan Johansson
Costumes : Maria Geber
Lumières : Erik Berglund

Distribution :
L'enfant : Susan Végh
Maman / la tasse chinoise / La libellule : Marianne Eklöf
La bergère Louis XV / La chatte/L'écureuil/ Le pâtre : Agneta Lundgren
Le feu/Le rossignol : Marianne Hellgren Staykov
La princesse : Hilde Leiland

Une pastourelle / La chauve-souris / La chouette : Katarina Nilsson
Le fauteuil/Un arbre : Lars Arvidson
L'horloge comtoise/ Le matou : Ola Eliasson
La théière/Le petit bonhomme/La rainette : Ulrik Qvale
Le banc /Le canapé/Le pouf/ La chaise de jardin/les chiffres :
Choeur d'enfants de la classe de musique Adolf Fredriks
Direction Bo Johansson

Pâtres/ grenouilles/ animaux/ arbres : Choeur de l'Opéra Royal de Stokcholm 
Direction Folke Alin et Christina Hörnell

ORCHESTRE DE L'OPERA ROYAL DE STOCKHOLM
Direction musicale  : Joakim UNANDER

OPERA ROYAL DE STOCKHOLM 
Mercredi 1er juin 2005

UN DELICIEUX MELANGE DE POESIE ET D'HUMOUR...

L'humour et la poésie étaient certes au rendez-vous pour cette soirée française à l'opéra de Stockholm, dont la première avait eu lieu le 12 mars dernier avec les mêmes interprètes. Ensuite, rien moins que quinze représentations s'étaient succédé en avril, mars, mai et juin en alternance avec une autre distribution (dont la Française Marie-Ange Todorovitch dans le rôle de Concepcion) auxquelles s'étaient ajoutées cinq matinées supplémentaires pour L'Enfant.

Humour et poésie sont assurément des composantes essentielles de ces oeuvres de Ravel, l'humour surtout pour la première (écrite sur un livret de Franc-Nohain) et la poésie pour la seconde, le livret original de Colette ayant d'ailleurs pour la circonstance été traduit en suédois, afin que le public puisse en goûter toute la saveur.

L'heure Espagnole se déroule dans un astucieux décor de bois clair très sobre et léger, où le temps et ses représentations - horloges et montres - sont "croqués" de manière plutôt allusive. Y figurent aussi une plaque tournante - sans doute difficile à gérer par les chanteurs qui s'y promènent fréquemment - symbolisant l'avancement inexorable du temps qui passe et un surprenant escalier où l'on ne voit en coupe qu'une partie du corps des personnages et surtout leurs jambes qui vont et viennent dans leur chassé-croisé amoureux.

Contrairement à la récente production de Laurent Pelly à Garnier (avril 2004), qui parsemait le décor d'éléments cocasses, ici la drôlerie s'incarne plutôt dans les protagonistes eux-mêmes, leurs costumes et leur jeu, traités nettement sur le mode burlesque...Concepcion est une sorte de cousine de Carmen, de tempérament certes plus comique que dramatique, avec, inévitablement, un certain sex-appeal : en bustier rouge pigeonnant, jupe de tulle, rouge également, tombant sur de petites bottines noires à la Bunuel, une fleur - rouge elle aussi - piquée dans ses cheveux blond platine, von Otter est tout bonnement épatante, à la fois capricieuse, vindicative, dominatrice et charmeuse.

Comme on pouvait s'y attendre, son français, qu'elle doit à une longue pratique de notre langue et de notre répertoire, est de loin le plus idiomatique de tous. Elle est sans doute aussi la seule, par rapport à ses partenaires, à avoir attrapé cette sorte de "french touch" indéfinissable, qui tient à la légèreté et au chic... Ne faisant pas "du son pour le son", ce qui serait de toute façon déplacé dans ce répertoire (Ravel ne recommandait-il pas à ses interprètes de dire plutôt que de chanter ?), cette artiste étonnante, qui vient de fêter ses cinquante ans, qu'elle porte superbement, a décidément plus d'un tour dans son sac.

Les autres rôles sont fort bien tenus, même si la diction n'est pas toujours très intelligible. (Mais ne l'est-elle pas également chez nombre de chanteurs natifs de l'Hexagone que, par courtoisie, nous ne nommerons pas ?)

Citons l'hilarant Poète de Tomasz Zagorski, affublé d'un invraisemblable costume de ténor d'opérette parsemé de phrases poétiques, et le Banquier désopilant de John Erik Eleby, habillé comme un petit garçon qui aurait trop vite grandi...

Le quintette final, petit bijou insolent d'une grande difficulté musicale, est une vraie réussite :

"Entre tous les amants, seul amant efficace, 
Il arrive un moment, dans les déduits d'amour, 
Où le muletier a son tour !"

Réalisant avec l'orchestre un travail passionnant, Joakim Unander ne traite pas la partition comme une grande oeuvre symphonique, mais plutôt à la manière d'un opéra-comique, restituant d'ailleurs à l'oeuvre toute la fraîcheur de la création originale et son statut de pochade malicieuse et impertinente.


Marianne Hellgren Staykov (Le Feu) et Susan Végh (L'enfant)
(L'Enfant et les Sortilèges)
© Christina Ottosson

Changement de metteur en scène pour L'enfant et les Sortilèges, et par la même occasion, le spectateur bascule dans un autre univers, plus mystérieux, feutré, plus tragique parfois et la pochade fait place au conte...

On le sait, le livret de Colette était au départ prévu pour un ballet et Ole Anders Tandberg, auteur également des décors, l'a fort bien compris. Sa mise en scène, qui respecte scrupuleusement les indications du compositeur, est très chorégraphique, attentive aux mouvements de groupes, qu'elle sculpte à la perfection, aidée, il est vrai, par les éclairages très réussis d'Erik Berglund. Ce dernier, et ce n'est pas un hasard, a travaillé avec les ballets Cullberg. De plus, cette production fourmille d'idées drôles, astucieuses et charmantes : témoins la Théière - du "Wegwood noir," normalement - incarnée par un dynamique boxeur - Ulrik Qvale - portant des théières noires, justement, en guise de gants, et qui chante : "Je vous frapperai, Monsieur, je vous boxerai le nez, je vous réduirai en marmelade" ; la Princesse, ravissante dans sa robe de papier, les deux chats, si drôles, et le Feu ravageur avec ses cheveux orange dressés sur la tête.

A chaque nouvelle production de ce petit chef-d'oeuvre qu'est l'Enfant et les Sortilèges, on est surpris par son inventivité, son audace - le surréalisme n'est pas loin - la douceur et la fantaisie de ces objets qui s'animent et chantent, de ces animaux qui parlent, de ces plantes dotées d'une âme. Plus tard, Cocteau, avec La Belle et la Bête, ne renouvellera-t-il pas un tel prodige ?

Une fois encore, le travail musical mené par Joakim Unander est remarquable, à la fois léger et profond, attentif aux chanteurs. Curieusement, le fait que l'oeuvre soit chantée en suédois, surprenant au début, finit par se faire oublier, tant l'interprétation des artistes est convaincante.

On ne dira jamais assez la haute valeur de l'école de chant suédoise, et la qualité de la troupe de l'opéra de Stockholm, particulièrement perceptibles ici : travail des choeurs d'adultes et des choeurs d'enfants, solistes exemplaires d'une grande musicalité qui, même en chantant dans leur langue natale, parviennent à capter le style et l'esprit français. Tous sont formidables et dignes d'éloges. On peut cependant accorder une mention particulière à l'Enfant de Susan Végh, si touchant et si féroce, et à sa jolie voix de mezzo au timbre rond et fruité ; à la Maman de Marianne Eklöf, enveloppante et chaleureuse, si drôle en tasse chinoise et très émouvante en libellule déplorant la perte de son compagnon ; aux chats, délicieux Agneta Lundgren et Ola Eliasson, etc., la liste serait trop longue...

En conclusion, on ne peut que saluer l'Opéra de Stockholm d'avoir mis ces deux joyaux à son répertoire, et dans la langue originale, s'il vous plait, pour le premier du moins. Un exemple à suivre pour certains de nos théâtres qui, eux, par les temps qui courent, mettraient plutôt un point d'honneur à éviter le répertoire français.
 
 

Juliette BUCH
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