C O N C E R T S 
 
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LIEGE
02/05/03

(Jean-Philippe Lafont - Wotan / Martine Surais - Fricka )
© Opéra Royal de Wallonie
Das Rheingold

Prologue, en quatre scènes
à la Tétralogie "Der Ring des Nibelungen"

Musique et livret de
Richard Wagner

Créé à Munich, le 22 septembre 1869
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Götter - (Les Dieux)
Wotan : Jean-Philippe Lafont
Donner : Roger Joakim
Froh : Alain Gabriel
Loge : James McLean

Riesen - (Les Géants)
Fasolt : Léonard Graus
Fafner : Tómas Tómasson

Nibelungen - (Le peuple des Nibelungen)
Alberich : Werner Van Mechelen
Mime : Helmut Wildhaber

Göttinnen - (Les Déesses)
Frika : Martine Surais
Freia : Jia Lin Zhang
Erda : Elzbieta Ardam

Rheintöchter - (Les Filles du Rhin)
Woglinde : Anne-Catherine Gillet
Wellgunde : Christine Solhosse 
Floßhilde : Magali Mayenne

Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie 
Direction musicale : Friedrich Pleyer

Mise en scène : Jean-Louis Grinda
Décors : Eric Chevalier
Costumes : Christian Gasc
Lumières : Roberto Venturi

(Nouvelle production Opéra Royal de Wallonie)

Liège, Théâtre Royal, 2 Mai 2003


Ce n'est pas sans crainte que je me suis rendu à Liège pour ce premier volet de la Tétralogie. Un tel projet est bien ambitieux pour une "petite" maison comme l'Opéra Royal de Wallonie. Cependant, je m'étais décidé à y aller sans a priori, en oubliant les grandes références des temps glorieux qui sont familières à mes oreilles. Et - ma foi - j'y ai pris du plaisir.

Commençons par la mise en scène, qui est une vraie réussite. Et le premier élément de cette mise en scène est la position de l'orchestre, littéralement suspendu au fond de la scène, ce qui crée un lien de proximité assez unique avec les chanteurs. On pourrait discuter longtemps sur cette option de "délocalisation", mais mis à part peut-être quelques détails orchestraux qu'on devine parfois plus qu'on ne les entend, c'est loin d'être gênant tant l'équilibre avec les voix est réussi. 

Cela étant dit, la direction des acteurs est impeccable. Tout est précis, tout fait sens (mis à part le traitement du personnage de Freia, et l'arrivée d'Erda - des détails à vrai dire sur une durée de 2h30 !). On assiste là à du vrai théâtre, et on échappe surtout au lourd message socio-politique qui fait souvent la trame de nombreuses mises en scène du Ring depuis de longues années. Les changements de tableaux (et de décors) sont particulièrement ingénieux; trois plateaux mobiles permettent ces nombreux changements. Il fallait évidemment faire preuve de débrouillardise, la scène n'étant ni bien large ni bien profonde. Pari réussi sur ce plan-là.

Les costumes ne sont pas à proprement parler formidables (mais il faudra peut-être voir l'évolution au cours de la suite de ce Ring) ; c'est même assez bigarré. On notera tout de même un Loge au look très travaillé et des filles du Rhin franchement séduisantes. J'en reste là sur la mise en scène, un Ring se juge de préférence sur l'ensemble des journées pour ce qui est de la cohérence du propos scénique.

La direction musicale et la prestation de l'orchestre appellent à un peu plus de réserve, mais on est toujours resté dans "le bon". On sentait bien une réelle application, et la concentration était palpable (mais aussi du côté du public, que j'ai rarement aussi peu "entendu" à Liège !). Et c'est peut-être cette trop bonne volonté de "bien faire" qui a rendu parfois le propos orchestral un peu terne (à titre d'exemple, le Rhin était bien sage tout au long du prélude). Bref, l'orchestre semblait souvent un peu en-dedans. Cela dit, M. Pleyer a toujours montré qu'il savait où il allait. Au point de vue de la performance proprement dite, on aura certes noté à quelques reprises de petits cafouillages au niveau des cuivres (les cors surtout, très exposés en certains passages), mais tout resta de très bonne tenue, avec une mention "bien" adressée aux vents. Avec le temps et l'appréhension diminuant je suis persuadé que l'orchestre ne pourra que se montrer plus séduisant et la lecture de M. Pleyer plus engagée. Avouons qu'hier c'était plutôt le "bon ton" que le souffle épique qui était de mise. En comparaison avec des enregistrements récents, tout cela fut dans l'ensemble franchement honorable.


Tomas Tomasson - Fafner / Léonard Graus - Fasolt
Jean-Philippe Lafont - Wotan / Martine Surais - Fricka 
© Opéra Royal de Wallonie

Venons-en au plateau. Jean-Philippe Lafont exécutait hier sa prise de rôle en Wotan. On connaît la voix puissante et sombre de l'artiste ; il restait à savoir si le rôle allait lui convenir. Vocalement, il est vrai que le Wotan du Rheingold n'est pas très exigeant et ne recèle pas de "pièges" (si ce n'est le fa dièse de l'"air" d'entrée, qui a parfois donné du fil à retordre aux plus grands). La voix de Lafont a traversé le rôle avec beaucoup d'aisance : graves ronds, aigus tranchants et ligne de chant bien tenue. Voilà qui est déjà beaucoup pour une prise du rôle. On pourra bien sûr lui reprocher d'être un rien trop prosaïque et de ne pas encore vraiment incarner un Dieu. À l'impossible nul n'est tenu... Pourtant - et c'est aussi l'oeuvre qui le veut - la vraie révélation de cette soirée fut l'Alberich de Werner Van Mechelen, dont la prestation fut vraiment formidable. N'eussé-je eu Neidlinger dans l'oreille que j'en aurais bavé ! Tout y était : présence scénique irrésistible, prononciation tranchante comme le veut le rôle (toutes ces allitérations à donner le tournis !), voix expressive et tout à fait en place... Bref une réelle connaissance approfondie du rôle. Le Loge de James McLean était sans conteste moins enthousiasmant sur le plan purement vocal (registres peu homogènes et fatigue perceptible par moments) mais il s'est montré très à l'aise dans cette mise en scène, qui lui faisait la part belle.

Rien à redire sur les géants, de très bonne tenue (ce Graus peut vraiment tout chanter). Les plus petits rôles de Donner et Froh n'appelant eux non plus aucun reproche important (Joakim donnant même une fort belle scène "d'orage"; Heda Heda Hedo...).


Magali Mayenne - Foßhilde / Christine Solhosse - Wellgunde
Wener Van Mechelen - Alberich  / Anne-Catherine Gillet - Woglinde
© Opéra Royal de Wallonie

Chez les femmes, on était moins à la fête. Pour une Freia à l'aigu instable et au timbre pâle, il y avait une Fricka (Martine Surais) franchement mauvaise. Chantant sans exception (ou si peu) faux dans le grave (mal poitriné en plus !), à l'émission incertaine et au vibrato parfois gênant. Son allemand est en outre incompréhensible. L'Erda, dans sa brève apparition, a chanté, puissamment certes, mais sans réelle inspiration. Pour le mystère, cherchons ailleurs... Mais le plateau féminin se rachetait par un superbe trio de filles du Rhin, emmené par une Gillet pleine de grâce et de fraîcheur dans la voix.

Vraiment, on a eu de très bons moments au cours de ce Rheingold. Beaux moments vocaux (assez souvent) et beaux moments de théâtre (dans l'ensemble à vrai dire). Grinda ne serait-il pas en train de gagner son pari ? C'est tout le mal que je lui souhaite. Espérons que la Walkyrie à venir sera de même tenue. On attend là - entre autres - une Brünhilde vaillante pour notre bonheur. Hojoho toho ! 
 

Cédric Torfs
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