C O N C E R T S 
 
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PARIS
(Opéra Bastille)

(copyright Eric Mahoudeau)
Rusalka

Anton DVORAK (1841-1904)

Conte lyrique en trois actes (1901)
Livret de Jaroslav Kvapil 
 

Renée Fleming : Rusalka
Sergei Larin : le prince
Larissa Diadkova : Jezibaba
Franz Hawlata : l'ondin
Eva Urbanova : la princesse étrangère
Michel Sénéchal : le garde forestier
Karine Deshayes : le garçon de cuisine
Michelle Canniccioni : première nymphe
Svetlana Lifar : deuxième nymphe
Nona Javakhidze : troisième nymphe


(copyright Eric Mahoudeau)

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Direction James Conlon
Mise en scène : Robert Carsen
Décors et costumes : Michael Levine

Opéra Bastille, 19 Juin 2002



On sait depuis Bruno Betthelheim que les contes de fée ne sont pas si innocents qu'ils en ont l'air. Toutefois, considérer leur seule dimension psychanalytique peut être aussi réducteur que de n'en voir que la dimension féerique. C'est le travers dans lequel est tombé Robert Carsen pour cette nouvelle production de Rusalka. A force de trop vouloir démontrer, le metteur en scène présente un spectacle rempli d'images superbes, mais aux intentions par trop didactiques, et même parfois pas très loin de la psychanalyse de comptoir.

Mais reprenons du début. Le rideau se lève sur un décor époustouflant : à mi-hauteur de la scène se trouve une chambre avec bien sûr un lit, et pas n'importe quel lit, un lit matrimonial à deux places, avec tables et lampes de chevet de chaque côté. Cette chambre se reflète vers le bas comme si elle se trouvait au-dessus de l'eau, eau présente dans un bassin sur scène, et dans laquelle pataugeront gaiement les nymphes, l'Ondin et Rusalka (pourvu qu'ils n'aillent pas nous attraper un rhume !).
Le monde des humains est en haut, celui des ondines au fond de l'eau d'où elles peuvent nous observer en levant la tête : c'est éblouissant. Quand Jezibaba donne à Rusalka la possibilité de rejoindre le monde des hommes, la chambre entière descend au niveau du sol pour que l'héroïne puisse y pénétrer. Encore une image à couper le souffle.
Mais à partir de là, les choses se gâtent : on avait repéré une rose rouge posée sur le lit, on espérait que Carsen ne nous ferait pas le vieux coup du symbole de la rose, c'est pire : il en fait un fil conducteur !
Rose respirée par Rusalka allongée sur le lit, tripotée négligemment puis abandonnée par le prince, répandue plus tard à foison tout autour du litÖpour ceux qui n'ont pas compris, achetez donc " la psychanalyse expliquée à ma grand-mère ", ça doit s'y trouver dans les trois premières pages.
Continuant dans le symbolisme, le prince, habillé comme l'Ondin, c'est à dire le père de Rusalka, défait le lit et s'y installe, attendant l'héroïne qui revêt une robe de mariée. Aie, aie, aie !
Et puis, on oublie son agacement quand l'acte deux débute avec une image de nouveau sublime : la même chambre, mais reflétée en miroir, des deux coté de la scène. Dans chaque partie, Rusalka et la princesse étrangère évolueront parallèlement, avec des gestes conquérants pour la princesse, avec des gestes de désespoir pour Rusalka.
Et de nouveau, la douche froide, sous forme d'un ballet dont la chorégraphe ne doit pas être Philippe Giraudeau mais mon ancienne copine Fanfan, celle qui s'occupait du groupe femme au milieu des années 1970, et dont le sens profond est : " tous les hommes sont des cochons, jeunes filles gardez votre pucelage ". Suite à ça, l'Ondin retrouve Rusalka bien plus terrifiée à l'idée de s'approcher du prince que désespérée parce qu'il l'abandonne (vu comment elle réagit, ça devrait même plutôt la soulager !)

L'acte deux se termine de nouveau sur une idée belle et forte : les deux parties de la chambre se séparent, l'une avec le prince et la princesse étrangère, l'autre avec l'Ondin et Jezibaba, vêtus de la même façon, Rusalka reste seule au milieu, dans le néant.

Un peu secoué par cette alternance de merveilles et de déceptions, on se demande à quelle sauce va être accommodée l'acte trois. La réponse est : exactement la même douche écossaise !
Un début magnifique, avec Rusalka seule au milieu d'une eau noire et glacée, moirée de reflets bleu sombre. Mais Jezibaba a l'idée d'apparaître couchée dans le lit de l'éternelle chambre jonchée de roses rouges, vue de haut cette fois, et on se remémore la mise en scène du songe d'une nuit d'été d'Aix-en-Provence qui avait révélée Robert Carsen, dans laquelle on voyait des lits verts et blancs sous toutes les coutures. Rien n'a finalement beaucoup changé entre les deux. Et on espère ne pas avoir un quatrième angle de vue de cette maudite chambre, sous peine de nausée !
On la retrouvera pourtant encore une fois, dans la même disposition qu'à la fin de l'acte un, pour les retrouvailles du prince et de Rusalka, sous un éclairage qui donne une impression de flou. On se croirait dans une photo de David Hamilton !

Bien entendu, il faut savoir faire la part des choses, et ce travail réalisé par Robert Carsen, même irritant, est plastiquement beau, intelligemment pensé, et n'a rien a voir avec les abominations et les escroqueries qu'on subit quelquefois sur les scènes d'opéra. D'ailleurs la majorité des spectateurs ont aimé et applaudi cette mise en scène. 

D'autant plus que vocalement, c'est la fête ! Somptueux, c'est le seul mot qui vient à l'esprit en repensant aux voix entendues hier : les nymphes de Michelle Canniccioni, Svetlana Lifar, Nona Javakhidze, l'Ondin de Franz Hawlata sont magnifiques de bout en bout, Renée Fleming et Larissa Diadkova ont dépassé depuis longtemps le stade des superlatifs. Face à eux, Eva Urbanova a paru surtout soucieuse de décibels et pas toujours très juste.

Deux petits mots de réhabilitation, l'un pour Sergei Larin, dont on lit souvent qu'il n'est pas nuancé. Son chant a été au contraire plein de belles intentions et de raffinement, l'autre pour James Conlon, dont la direction sonnait adéquate et colorée.
 
 

Catherine Scholler
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