C O N C E R T S 
 
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PARIS

17/10/02

 
Saül
Oratorio en trois parties HWV 53 de G.F. HAENDEL
créé à Londres en 1739
Livret de C. Jennens d'après le Premier et le Second Livre de Samuel 

Neal Davies : Saül
Andreas Scholl : David
Mark Padmore : Jonathan
Susan Gritton : Michal
Nancy Argenta : Merab

Tom Philips : Abner
Angus Smith : Amalekite
Jonathan : Arnold
Julian Clarkson : Doeg
Susan Hemington Jones : Soprano
Matthew Vine : Sorcière

The Gabrieli Consort and Players

Paul Mac Creesh : Direction

Paris, Théâtre des Champs Elysées, 17 Octobre 2002



L'ancien testament revu et corrigé par la vieille Angleterre
 

A priori, l'affiche de ce concert au Théâtre des Champs Elysées était fort prometteuse dans la mesure où Saül est une oeuvre assez rarement donnée et où y figurait de surcroît un des plus célèbres contre-ténors de notre époque : Andreas Scholl. Cependant, malgré ces atouts, la soirée ne fut pas vraiment à la hauteur de ce qu'on pouvait en attendre.

Saül, quatrième oratorio dramatique de langue anglaise de G.F. Haendel, fut créé le 16 janvier 1739 et semble marquer un tournant dans la vie artistique du compositeur, car, deux ans plus tard, celui-ci allait composer son dernier opéra italien.

L'histoire de Saül, roi d'Israël, est longuement racontée dans l'Ancien Testament (Samuel I - 17-31). Cet épisode biblique évoque aussi, pour une bonne part, la vie de David, sa victoire sur Goliath ainsi que son accession au trône d'Israël où il succéda à Saül, bien que le sujet principal en soit cependant la chute et la mort de ce dernier et de son fils Jonathan.

Curieusement, cette oeuvre semble également prendre son inspiration dans les drames de Shakespeare et rompt avec le modèle de l'opera seria qu'Haendel avait cultivé pendant de nombreuses années et utilisé dans ses premiers oratorios. En effet, dans la scène dramatique "In guilty night" datant de 1635, Henry Purcell avait déjà traité la visite de Saül à la sorcière d'En-Dor. On retrouve ce personnage chez Haendel un siècle plus tard, comme une sorte de fil conducteur le ramenant aux sources de l'oratorio anglais.

Ce changement s'observe aussi à travers le traitement des choeurs, qui occupent une place plus importante, et aussi dans celui des personnages, qui semblent tout droit sortis d'une pièce de Shakespeare : Saül ressemble beaucoup à Hamlet et l'apparition du prophète Samuel n'est pas sans faire penser à l'invocation du père du héros de la pièce.

En écrivant cet oratorio, Haendel s'inscrit donc dans la pure tradition littéraire anglaise, tout comme dans celle de la musique nationale : les sorcières étaient également présentes dans Didon et Enée.

Enfin, le découpage de l'oratorio en actes, la présence par endroits, dans ce genre choral, d'indications de mise en scène, le fait qu'y soient introduits de nombreux intermèdes instrumentaux révèlent aussi le compositeur d'opéra.

Saül comporte donc dans sa composition les formes conjointes de l'opéra, de l'oratorio et du concerto et annonce, avant Belshazzar et Le Messie, un style d'oratorio original qui contribuera pour une part importante à la célébrité de Haendel.

D'où vint alors, malgré cette originalité d'écriture et cet esprit novateur, l'impression d'ennui qui envahit très rapidement le Théâtre des Champs Elysées ?

Dés l'entrée, la direction de Paul Mac Creesh, très sèche, très "clean", très "british" au sens péjoratif du terme, installa un climat où la vie et la passion eurent bien du mal à trouver leur place : du baroque bon teint, corseté, empesé où aucune fantaisie n'était autorisée à figurer.

Dans ces conditions, les solistes, contraints à se plier à cette conception très rigide, ne donnèrent pas forcément le meilleur d'eux-mêmes.

Andreas Scholl, "colosse à la voix d'ange", dont le rôle comporte de fort belles pages, a une voix puissante, sonore, bien projetée et une belle ligne de chant. Cependant, il donna à entendre et à voir un David un peu monolithique, très viril, qui fit plus de lui le petit frère de Goliath que celui d'Hamlet. Il est clair que David Daniels, avec une voix moins ample, certes, eût sans doute donné du rôle une lecture plus poétique, plus habitée, plus raffinée, en un mot plus émouvante.

Mark Padmore livra en Jonathan une belle prestation, emplie d'une grande dynamique et d'une belle énergie.

Par contre, Neal Davies - Saül - à la voix très engorgée, eut souvent tendance à appuyer un peu trop les effets et à forcer le trait pour confiner parfois à la caricature.

Nancy Argenta - Merab - remplaçait Deborah York souffrante. Cette artiste qui, il y a quelques années, livra d'excellentes prestations, accusa cette fois une certaine fatigue vocale se manifestant par des aigus particulièrement acides.

Par contre, on ne peut que déplorer le nombre assez limité des interventions de la magnifique Susan Gritton dans le rôle de Michal (entendue dans Ezio il y a quelques années dans le même théâtre avec le grand James Bowman) tant cette artiste au timbre rond, fruité et chaleureux possède la présence, la conviction et la sensibilité nécessaires à une telle oeuvre et à bien d'autres, d'ailleurs.

Le reste de la distribution fut sans reproche, et le choeur se montra excellent, en particulier les voix de femmes.

Reste l'orchestre. Il est clair qu'il a peu de couleurs et de souplesse, que les cordes sont rêches et les vents parfois faux. Surtout, il lui manque cet esprit de pure jubilation qui éclate dans les mouvements rapides de Haendel. Où sont les Minkowski, les Gardiner, leur passion, leur énergie et les suaves chatoiements de leur orchestre ?

De plus, on eut parfois l'impression désagréable que le chef tirait d'un côté une partition que les solistes souhaitaient amener ailleurs. Le résultat, assez déplaisant, ne donna pas l'impression d'une cohérence et d'une vision globale de l'oeuvre, en un mot d'un vrai projet artistique, ce qui revint à placer Paul Mac Creesh aux antipodes de Gardiner et de Minkowski.

En résumé, une soirée peu exaltante où, sans qu'il y eût de défaut majeur, l'émotion et la spiritualité furent cruellement absentes.

On peut se demande si, dans ces conditions, ce ne fut pas tout bonnement l'ennui qui tua Goliath....
  


Juliette Buch
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