C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]

......
NANCY
(Opéra de Nancy et de Lorraine)


TANNHÄUSER

Richard WAGNER

(version de Paris, Nouvelle production)

Direction musicale : Sebastian Lang-Lessing
Mise en scène : Andreas Baesler
Décors : Hermann Feuchter
Costumes : Susanne Hubrich
Lumières : Gérard Cleven

Andrew Greenan (Landgrave)
John Treleaven (Tannhäuser)
Dietrich Henschel (Wolfram)
Nicolai Schukoff (Walther)
Jean-Philippe Marlière (Biterolf)
Dominic Natoli (Heinrich)
Björn Larsson (Reinmar)
Elisabeth Meyer-Topsoe (Elisabeth)
Natascha Petrinsky (Vénus)
Valérie Debize (Pâtre)
 

Orchestre symphonique et lyrique de Nancy

Choeur de l'Opéra de Nancy et de Lorraine
direction Merion Powell

21 avril et 5 mai 2002 (1° et dernière représentation)



Il est rare d'entendre Tannhäuser sur scène, l'initiative de l'Opéra de Nancy est donc à saluer tout particulièrement, d'autant que le spectacle est une très grande réussite.
La distribution réunie était vraiment superbe. John Treleaven campait un Tannhäuser extrêmement convaincant. J'ai personnellement beaucoup aimé son chant parfois un peu "à l'arraché" mais très expressif et touchant. Il chantait de mieux en mieux au fil des actes, pour finir sur un superbe récit de Rome. Une très belle prestation donc, d'autant que le rôle est vraiment très lourd, notamment dans la version de Paris choisie ici, et dont la scène du Venusberg est deux fois plus longue que dans la version originale de Dresde.

Elisabeth Meyer-Topsøe fut une Elisabeth absolument magnifique tant vocalement que scéniquement. Une voix superbe aux aigus particulièrement lumineux et épanouis. Une grande émotion dans l'incarnation, une belle prestance scénique. Tout juste peut-on lui reprocher quelques sons bas au début du 2° acte, c'est bien peu de chose face à tant de spendeur. Son duo avec Tannhäuser au 2° acte fut si enthousiasmant que le public se permit d'applaudir sur la conclusion orchestrale !!! Incroyable.

C'est Hedwig Fassbender qui devait à l'origine incarner Vénus, mais malade, elle a été remplacée au pied levé par Natascha Petrinsky. Belle voix de mezzo mais qui peinait à atteindre les aigus redoutables du rôle. Belle incarnation cependant, d'autant qu'elle avait le physique du rôle et que le metteur en scène ayant particulièrement gâté le personnage.

Le sommet absolu de la distribution restera pour moi le Wolfram de Dietrich Henschel qui fut confondant. Tout y est. Une voix superbe, un chant particulièrement soigné (jamais de sons ouverts, comme on l'entend parfois, lorsque l'orchestre est fourni), un phrasé et un legato sublimes, une finesse renversante (son intervention dans le concours de chant du 2° acte est stupéfiante, et sa Romance à l'étoile est à se mettre à genoux : il chante tout celà comme s'il s'agissait d'un lied), aucun effet gratuit, une incarnation fine et sensible qui attire immédiatement la sympathie pour le personnage. Bref, la perfection absolue.

Les compagnons de Wolfram (Walter, Heinrich, Biterolf, Reinmar) étaient sur la même longueur d'onde que Dietrich Henschel, et c'était heureux : même finesse, même soin dans le chant. Le concours de chant au 2° acte fut vraiment un sommet tant les participants se surpassaient.
L'Hermann d'Andrew Greenan possède une riche voix de basse, rappelant celle d'Hans Sotin. Il fut lui aussi superbe.

Les seconds rôles furent là encore très bons.

Le choeur, si important dans cet ouvrage, fut magnifique de bout en bout, tant le choeur masculin, que le choeur féminin, dont certaines interventions (les sirènes au premier acte) se faisaient depuis le foyer de l'opéra : il en résultait un son réverbéré, très lointain, dont on avait peine à identifier la provenance, un son qui semblait monter depuis le sous-sol : fabuleux !

Quant à l'orchestre de Nancy, il fait sous la direction de Sebastian Lang-Lessing, son directeur musical depuis 1999, des progrès remarquables. Nous en avons eu une très belle illustration avec ce Tannhäuser. Si les bois et les cors sont encore perfectibles, les cordes sont notamment superbes. Quant aux harpes qui ont un grand rôle dans cet opéra, elles sont absolument parfaites.
Mais c'est la direction de Sebastian Lang-Lessing lui-même qui est splendide : aucune lourdeur dans ce Tannhäuser, mais un allant, un dynamisme, une énergie extraordinaire. C'est absolument enthousiasmant.

La réussite du spectacle tient aussi à une mise en scène surprenante, parfois peut-être un peu outrée, mais d'une grande intelligence.

Dès l'ouverture, on est en effet saisi par la pertinence des images. C'est, on l'a dit, la version de Paris qui a été choisie pour cette production, mais au lieu d'un ballet, Andreas Baesler nous fait voir les tourments de Tannhäuser dans le Vénusberg, Vénusberg qui est une superbe chambre à coucher dont les murs sont entièrement couverts de rideaux rouges, symbole étouffant d'enfermement, le lit trône au milieu de la pièce. Tannhäuser est seul, il cherche l'inspiration à travers l'alcool. Vénus apparaît, c'est une star (une sorte de Marylin), poursuivie par les photographes dont les flashs crépitent. Tannhäuser est déja las, il veut partir, mais des Vénus apparaissent à tous les coins de la pièce afin de dissuader Tannhäuser qui, à peine sorti d'un côté, réapparaît de l'autre...! Formidable mise en abyme évoquant l'impossibilité de fuir ! Finalement, Tannhäuser réussit à fuir en se réfugiant à l'avant-scène. Le rideau de fer, rouge pour l'occasion, se baisse, isolant ainsi Tannhäuser du Vénusberg  : magnifique moment. Mais Vénus n'a pas dit son dernier mot, elle traverse le rideau, et vient tenter Tannhäuser, qui se laisse entraînerÖ

Tous ces jeux de scène sont bien sûr parfaitement synchronisés avec la musique de cette ouverture et de cette bacchanale qui deviennent des moments d'une intensité dramatique exceptionnelle : chapeau, ça commence fort !

Lorsque Tannhäuser se retrouvera dans la Wartburg, c'est un musée qui s'offrira à nos regards. Les rideaux rouges ont en effet découverts de grands tableaux accrochés aux murs, et le lit de Vénus s'est astucieusement transformé en banquette. Pourquoi un musée ? Nous le comprendrons au fur et à mesure de l'action : le Landgrave et ses chevaliers représentent une tradition que rejette finalement Tannhäuser, et quoi de mieux pour représenter une tradition figée qu'un musée ? Belle idée là encore.

Par ailleurs, les chevaliers apparaissent sous un aspect plutôt comique (allusions au look de chanteurs de rock des années 1960) et lorsqu'ils chantent ensemble le retour de Tannhäuser parmi eux, il m'a semblé discerner une allusion cette fois aux "Comedian harmonists", ce groupe de chanteurs allemands des années 1930. Quoi de plus juste après tout que ces allusions pour ces chevaliers qui s'illustreront bientôt dans un concours de chant ?

Le concours de chant justement, se déroulera dans une grande salle aux murs de laquelle figurent des disques d'or. Un piano à queue, blanc, trône au milieu de la pièce, il servira d'estrade pour les chanteurs. Le public sera constitué de bourgeois superbement vêtus. Quant au dernier acte, il rassemblera tous les éléments des actes précédents, mais brisés, pour symboliser l'échec de Tannhäuser, celui de sa relation avec Elisabeth, mais aussi celles avec Vénus et les chevaliers. Ainsi on retrouve le piano, cassé, le lit du Vénusberg, de guingois, les murs du musée, mais les tableaux au sol.

A côté de toutes ces belles idées, on pourra trouver certaines étrangetés, comme certains des pélerins tenant des poches plastique ou les chevaliers costumés au 2° acte de manière un peu disparate...

Il n'en reste pas moins que cette production fut vraiment superbe, le public nancéien ne s'y est pas trompé en réservant un triomphe au spectacle. Espérons que le Vaisseau Fantôme promis pour la prochaine saison sera du même niveau !
 
 

Pierre-Emmanuel Lephay

 

Lire également l'avis de Vincent Deloge

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]