C O N C E R T S 
 
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NEW-YORK
Metropolitan opera

08 et 11 Mai 2002

Tosca
Opéra de Giaccomo PUCCINI

Tosca : Maria Guleghina
Mario Cavaradossi : Francisco Casanova (le 8/05) 
& Salvatore Licitra (le 11/05)
James Morris : Scarpia
Anthony Laciura : Spoletta
Richard Vernon : Sciaronne
James Courtney : Angelotti
Paul Plishka : le sacristain
LeRoy Lehr : le geôlier
Garrett Eucker : le berger 

Choeurs et orchestre du Metropolitan Opera de NY
Direction: James Levine

New York, les 8 et 11 mai 2002.

 


Luciano rate la sortie

Difficile de quitter la scène quand on est le chanteur d'opéra le plus connu au monde : déjà la saison passée, les Radâmes de Pavarotti avaient été annoncés comme de possibles adieux à la scène lyrique. Sans doute peu satisfait de cette Aida, (un air d'entrée "sur le fil" rattrapé par deux derniers actes superbes), il était normal que Pavarotti souhaitât finir en beauté.

Ainsi, de nouvelles Tosca  étaient apparues à son calendrier : à Londres d'abord, à New York enfin, cette dernière visiblement organisée au dernier moment (la saison du Metropolitan, qui s'arrête traditionnellement fin avril, a été exceptionnellement prolongée jusqu'au 11 mai).

Le rôle de Mario Cavaradossi ne lui ayant jamais posé de problème, Tosca était le véhicule idéal pour des adieux en beauté.

Quoique physiquement diminué par de multiples opérations aux genoux, âgé de 66 ans (c'est beaucoup pour un ténor en activité), Luciano lui-même n'avait pas annoncé qu'il quitterait la scène, mais personne n'était dupe car l'artiste n'avait plus aucun engagement à la scène dans les saisons à venir.

C'est dans ce climat qu'ont été organisées deux ultimes Tosca au Metropolitan, la dernière étant l'occasion d'un gala de prestige.

Première Tosca, le 8 mai. Il est 20h05 et le spectacle n'est toujours pas commencé : c'est mauvais signe. Le rideau jaune s'illumine et devant les 4.000 spectateurs du Metropolitan, c'est John Volpe lui-même, General Manager du Metropolitan, qui annonce le désistement de Luciano Pavarotti. D'habitude relativement conciliant, le public conteste violemment : pour beaucoup, le ténor "s'économise" pour le gala du onze.

Le ténor dominicain Francisco Casanova, prévenu moins de 2 heures avant le début du spectacle, endosse le rôle sans aucune répétition. Physiquement, c'est une épreuve : on dirait une bouteille d'Orangina avec perruque et fausse barbe, l'inspecteur Clouzot travesti en caricature de Pavarotti (je ne suis pas un fanatique des "chanteurs-dont-le-physique-colle-au-rôle", mais là franchement, on était aux états limites ...).
 D'autant plus qu'en l'absence de répétition, Casanova se fige devant le trou du souffleur, les yeux rivés sur la baguette d'un James Levine indifférent, accentuant le côté "surréalistiquement" caricatural de la représentation.

Sur le papier, Casanova n'est même pas un Mario : sa voix est faite pour l'opéra français ou les premiers Verdi, mais n'est pas assez large pour Puccini.

La faiblesse des harmoniques graves n'est pas compensée par un volume vocal exceptionnel ; si les aigus restent triomphants, le médium peine, à certains moments, à franchir le maelström orchestral.
Et pourtant, JAMAIS je n'ai entendu ce rôle chanté avec autant d'intelligence, de musicalité et de raffinement : c'est une leçon de chant exemplaire, surtout si l'on songe que ce chanteur dépasse à peine la trentaine.
Le public ne s'y trompe pas et lui réserve un accueil chaleureux durant le spectacle et au salut final. Fransisco Casanova le mérite car c'est un vrai et grand artiste.

A ses côtés, Maria Guleghina campe une Floria Tosca en grande forme, dans la tradition des braillardes hystériques (estimable tradition qui compte quelques interprètes mémorables du rôle dont Nilsson, Gwyneth Jones, Marton, Dimitrova, Rysanek ou Zampieri, mais qui s'oppose à la tradition plus latine des Callas, Scotto et autres Olivero) : elle achève même Scarpia avec un second coup de couteau dans un torrent de décibels ! Si le passé regorge d'interprètes bien plus exceptionnelles, il n'en reste pas moins, dans le désert actuel, que Guleghina est indubitablement une des meilleures Tosca en activité. Elle manifeste d'ailleurs aussi certains raffinements dignes des meilleures écoles.
James Morris déçoit. Son Scarpia est correctement chanté et il confère une certaine noblesse au personnage, mais nous sommes très en retrait par rapport à ses incarnations wagnériennes. Étonnamment, il éprouve lui aussi quelques difficultés à franchir la fosse.

Pour les seconds rôles, on retrouve avec un plaisir nostalgique un certain nombre de vétérans : Paul Plishka plus acteur que chanteur, James Courtney à peine audible, Anthony Laciura toujours impeccable.

En ce qui concerne le "berger" geignard et chantant faux de Garrett Eucker, une seule explication rationnelle possible : ses parents sont de généreux sponsors du Met et ils ont payé pour que leur gamin chante.

Au pupitre, James Levine déçoit. Certes, il fait ressortir des richesses inédites d'orchestration, mais il se complait dans des tempi lymphatiques qui enlèvent toute tension dramatique à l'oeuvre.

De plus, son absence d'intérêt pour le plateau engendre des décalages fréquents avec les chanteurs : bref, un chef qui s'écoute diriger.
 
 






Seconde Tosca le 11 mai.

Comme le huit, Joseph Volpe apparaît sur scène pour annoncer le retrait de l'illustre chanteur. Il sait qu'il joue serré car ces galas, auxquels participe le tout-NY, sont une importante source de revenus pour un théâtre jouissant majoritairement de financements privés. Si les places les moins chères restent à quelques dizaines de dollars, les plus élevées montent à 1.875 $, dîner compris, présidé par Luciano. A l'extérieur, sur la plazza, 3.000 spectateurs assis (et quelques centaines debout) doivent assister sur écran géant à la retransmission en direct de la soirée (retransmission sponsorisée par la Deutsche Bank). Le désistement de Luciano représente donc un risque financier important pour le Metropolitan : pour ce soir, il n'est certes pas question de rembourser, mais si le public n'est pas satisfait, ce sont les prochains galas qui ne feront pas recette, mettant en péril l'équilibre financier du théâtre, déjà en déficit cette année malgré une augmentation importante du prix des billets. La tactique de Volpe est en deux temps : d'abord, se défausser sur Pavarotti; ensuite, faire mousser l'évènement en "vendant" le mieux
 possible son remplaçant. Volpe commence par une anecdote incongrue, celle du désistement de Montserrat Caballé lors d'une Bolena à Milan; Giulietta Simionato était montée sur scène pour calmer le public, mais c'est après le directeur de l'époque que le public en avait, scandant toujours son nom 40 minutes après l'annonce de l'annulation : "Badani ! Badani !". Il fallut fermer le théâtre. Volpe explique qu'il assumera, lui, ses responsabilités, et commence par "balancer".

A 17h15, Luciano lui avait confirmé sa participation mais à 19h10, 50 minutes avant le début du spectacle, Pavarotti se désistait une nouvelle fois. "Je lui ai demandé de me passer Gildo D'Annunzio, son coach, mais lui aussi m'a dit que Luciano ne pouvait chanter dans ces conditions.
Je lui ai dit : "tu sais Luciano, il faut que tu viennes toi même t'excuser auprès du public". Il m'a répondu : " Je ne peux pas faire ça (I cannot do that)". Je lui ai dit : c'est une terrible façon de finir ici cette belle carrière (This is a hell of a way to end this beautiful career here)"."
Pour ceux qui s'interrogeaient sur la question de savoir s'il s'agissait ou non des Adieux du maestro, la réponse était claire : Volpe précisera d'ailleurs ultérieurement qu'il n'était plus question pour le Metropolitan de programmer Luciano dans un opéra ("This is the end") mais qu'il restait prêt à l'accueillir une dernière fois pour un concert ou un récital s'il le souhaitait. Volpe raconte qu'après l'annulation de Pavarotti pour sa première représentation, il a contacté l'agent d'un chanteur dès le jeudi 9 mai, afin que celui-ci se rende disponible "à tout hasard" pour la représentation du 11.

Ce ténor, c'est Salvatore Licitra, 33 ans (moitié moins que Pavarotti !), un des protégés de Riccardo Muti, dont la réputation n'a guère dépassé les frontières de l'Italie, mais qui a tout de même participé au prestigieux gala de la Richard Tucker Foundation quelques mois plus tôt à New York. Licitra préférerait s'en tenir à ses débuts programmés dans ce même au rôle au printemps 2004, mais on ne peut rien refuser au Met. Après une courte réflexion, il s'envolait donc de Milan pour Londres, puis de Londres, en Concorde pour NY: le dix au matin, il était dans le bureau de Volpe. "Que se passera-t-il si Luciano chante finalement ?", s'enquit-il. "Nous nous installerons tous deux dans ma loge pour apprécier le spectacle", répondit Volpe.

Un coup de fil à maman et le ténor sicilien acceptait le deal et s'attelait à l'unique répétition (répétition sommaire si l'on en croit Maria Guleghina qui lui aurait déclaré: "Je suis Tosca, tu es Mario; ne t'inquiète pas pour la mise en scène : nous allons simplement vivre nos personnages").

Après cette exceptionnelle tirade de près de 5 minutes, le public, littéralement "conditionné",  était maintenant réceptif "pour avaler la pilule".

De fait, Licitra est applaudi à son entrée (un classique au Met, mais ça se perd, le public ne sachant plus distinguer le premier rôle entre Mario et le sacristain).

"Recondita armonia" est exécuté de manière très correcte, surtout si l'on songe à la pression qui pèse sur le chanteur à cet instant. Il séduit par son timbre ensoleillé, un volume vocal important; peu notent ce défaut de chanter un peu trop haut (cf. notre critique de La Forza del Destino  à Turin en février).

L'aria est accueillie par une trentaine de secondes d'applaudissements (et non "plus d'une minute" comme l'ont affirmé des journalistes un peu trop enthousiastes, mais c'est déjà beaucoup).

Volpe peut maintenant se relaxer : à moins d'une catastrophe, sa soirée est sauvée.

Salvatore aussi et il termine sans accrocs cette représentation, sans éclat particulier non plus (un "Victoria" bien court compte tenu des circonstances), mais avec d'indéniables qualités de spinto.

Aux saluts, Licitra aura droit à ce que la salle se rallume et, bien entendu, le public, beau joueur, lui offrira une standing ovation.
 
 


(saluts de Licitra)

Maintenant, si Licitra avait fait classiquement ses débuts dans le même rôle en 2004 comme prévu, il y a fort à parier que la réaction du public aurait été assez tiède : nous n'avons guère assister qu'à un bon spectacle de répertoire.

Reste que cet "accident" aura permis à Licitra d'attirer sur lui et, de manière totalement inopinée, l'attention du public et des médias. S'il sait gérer cette chance, il peut s'éviter des années de galères à attendre la célébrité.

La prestation des partenaires est identique à celle du 8 mai, l'ensemble ne semble pas souffrir de l'absence de répétition.

James Levine dirige aussi à l'identique : si cette fois les chanteurs ne sont pas en décalage, il n'y est absolument pour rien.

Le lendemain, Luciano fait publier un communiqué de presse justifiant son absence. Après tout, ce n'est pas lui qui a annoncé ses adieux, tout le monde peut être malade et aucun chanteur n'est jamais venu sur scène pours'en excuser. Pas un mot pour le public ni pour ses doublures. Voix en or, mais coeur de pierre : l'homme n'est malheureusement pas à la hauteur du chanteur.

Il est peu probable que Luciano accepte de quitter définitivement la scène après un tel fiasco. Le Met a laissé la porte ouverte pour un concert d'adieux, mais Luciano pardonnera-t-il à Volpe le déballage public du 11 mai ? Tout reste donc possible pour l'avenir : après tout, même absent, Pavarotti fait toujours la une des journaux !
 

Placido Carrerotti


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Lire également l'article consacré à "Big Lulu" dans  la rubrique Actualités de la revue

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