C O N C E R T S 
 
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LAUSANNE
19/11/03
(@Opéra de Lausanne)
Giuseppe VERDI

LA TRAVIATA

Opéra en trois actes
Livret de Francesco Maria Piave,
d'après la pièce d'Alexandre Dumas fils La Dame aux Camélias

Nouvelle production de l'Opéra de Lausanne
Coproduction Welsh National Opera

Alexia Cousin (Violeta Valéry)
Michelle Canniccioni (Flora Bervoix)
Linda Ormiston (Annina)
Tracey Welborn (Alfredo Germont)
Wotjek Drabowicz (Giorgio Germont)
Emiliano Gonzalez-Toro (Gastone)
Jean-Marc Salzmann (Barone Douphol)
Evguenyi Alexiev (Marchese d'Obigny)
Alexandre Diakoff (Dottor Grenvil)
Jean-Pascal Cottier (Giuseppe)
Etienne Hersperger (Il commissionario)
Angel Martinez (Un servo)

Patrice Caurier et Moshe Leiser, mise en scène
Agostino Cavalca, costumes
Christian Fenouillat, décors
Christophe Forey, lumières

Orchestre de Chambre de Lausanne
Choeur de l'Opéra de Lausanne
Steven Sloane, direction
Véronique Carrot, chef de choeur

Opéra de Lausanne
9, 11,14, 16 et 19* novembre 2003


Ils ont osé
 

Ils ont osé faire mourir Violeta sur un lit d'hôpital, une perfusion dans le bras. Ils ont osé habiller l'héroïne de Giuseppe Verdi avec les traits d'un top model. Les metteurs en scène français Patrice Caurier et Moshe Leiser osent tout. Et réussissent tout. Un siècle et demi après la courtisane créée par Verdi en 1853, La Traviata revit dans l'univers superficiel de notre actualité. La scène s'ouvre sur l'appartement de Violeta. Des meubles design chic, les murs couverts de posters à l'effigie du jeune mannequin. Le champagne est au frais. Entre convives, on s'échange discrètement quelques petits sachets de poudre blanche. Un monde inconstant, à peine décadent, paradis artificiel, prison dorée de La Traviata de Patrice Caurier et Moshe Leiser et leur équipe (décorateur, costumier et éclairagiste).

Dépoussiérer ainsi une oeuvre parmi les plus populaires du répertoire est un risque. Mais révélateur de la sincérité et de l'authenticité des metteurs en scène, ce projet théâtral entraîne chacun, du protagoniste au dernier des choristes, vers une aventure de confiance. Plus qu'une mise en scène, le plateau respire d'un esprit de réussite auquel chacun participe. Chaque scène, chaque mouvement est travaillé avec un formidable souci de vérité et de détail. Alors, c'est le petit geste de compassion du Docteur Grenvil touchant imperceptiblement le bras d'Annina lorsqu'il lui annonce que Violeta n'a plus que quelques heures à vivre. A noter encore, l'exemplaire travail théâtral autour du choeur. Chaque choriste est un personnage en soi. A chacun son geste, son attitude, dans une précision musicale inimitable. On ne dira assez jamais la qualité exceptionnelle du Choeur de l'Opéra de Lausanne, ensemble non professionnalisé dont l'enthousiasme du travail est admirable.


(@Opéra de Lausanne)

Intégrant remarquablement la désuétude littéraire du livret à la modernité de notre société, l'habileté des deux compères à raconter la vie leur inspire de belles trouvailles scéniques. Comme lorsqu'Alfredo, éperdu d'amour pour Violeta, ne pourra réfréner son envie de partager son bonheur naissant. En baskets, en tenue décontractée, se promenant à grandes enjambées dans le jardin de la maison de campagne, son téléphone mobile à l'oreille, il dira sa romance "Lunge de lei per me non v'ha diletto" (Loin d'elle, pour moi, il n'est pas de joie !) à un ami. 

Du côté des chanteurs, il faut relever la formidable impression laissée par le ténor américain Tracey Welborn (Alfredo Germont). Quoique annoncé souffrant, il a offert l'un des plus émouvants Alfredo qui soit. Pour quel chant ? Pour quelle voix ? Celle du coeur, de la générosité, de l'amour bien avant celle des notes, voire de la musique. Investissant son personnage avec une intensité dramatique quasi insoutenable, sa passion pour Violeta le transcende. Quelle extraordinaire émotion dans "Ah si ! Che feci ? Ne sento orrore !" (Ah oui ! Qu'ai-je fait ? J'en ressens l'horreur !). Dans cette scène où Alfredo se reproche sa jalousie honteuse, le chanteur dépasse son rôle et le tremblement de ses lèvres, les spasmes de son corps traduisent son propre trouble. Constamment porté vers l'expressivité plutôt que vers l'effet vocal, il dessine son personnage au-delà de la simple vocalité. "Tracey Welborn est une âme !" aime à dire Patrice Caurier.


(@Opéra de Lausanne)

Quant au rôle-titre, la prise de rôle d'Alexia Cousin (Violeta Valéry) révèle une artiste animée d'un intense feu intérieur. S'engageant sans compter, la jeune interprète exhibe un beau talent d'actrice. Théâtralement convaincante, sa voix laisse pourtant apparaître de graves signes d'usure. Semblant ne plus pouvoir moduler son instrument, elle chante constamment forte. Dans les scènes de son agonie, le chant plus contenu n'est plus qu'un parlé-chanté habilement caché sous le manteau de la comédienne. Comme il est loin l'enchantement vocal de sa Mélisande du Grand-Théâtre de Genève en 2000 ! Il a laissé place à une voix détimbrée, souvent laide, inintéressante, au vibrato "mentonné" s'élargissant regrettablement. Et ces quelques aigus avortés confirment la cassure redoutée de sa voix. Dommage, car avec Alexia Cousin, l'art lyrique possédait l'un de ses plus beaux espoirs.

De son côté, le baryton polonais Wojtek Dabrowicz (Giorgio Germont) ne possède pas une très jolie voix, mais Dieu qu'il chante bien ! Le phrasé, la justesse de ton, la couleur, l'autorité sont autant de qualités qui habillent parfaitement la dignité bourgeoise de son personnage.

L'Orchestre de Chambre de Lausanne, l'un des meilleurs ensembles symphoniques romands n'a pas failli à sa réputation. Attentif aux ordres du chef américain Steven Sloane, habile à rattraper les erreurs des solistes, il a offert sa belle palette de couleurs à une oeuvre où la véritable émotion n'est pas venue là où elle était attendue.
 
 

Jacques SCHMITT
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