C O N C E R T S 
 
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LUXEMBOURG
04/04/04

(Anna Samuil)
Giuseppe VERDI

LA TRAVIATA 

Opéra en trois actes
Livret de Francesco Maria Piave
d'après la pièce d'Alexandre Dumas fils La Dame aux camélias

Première représentation à Venise,
Théâtre de La Fenice, le 6 mars 1853

Direction musicale : Oswald Sallaberger
Mise en scène : Peter Musbach
Reprise réalisée par Dagmar Pischel

Décors : Eric Wonder
Costumes : Andrea Schmidt-Futterer
Éclairages : Franz-Peter David
Conception images vidéo: Anna Enquel-Donnersmark, Stefan Runge
Chef du choeur : Laurence Equilbey

Violetta Valéry : Anna Samuil
Flora Bervoix : Damiana Pinti
Annina : Geneviève Kaemmerlen
Alfredo Germont: Valeriy Serkin
Giorgio Germont: Zekljko Lucic
Gastone de Letorières : Olivier Hernandez
Barone Douphol: Enrico Marabelli
Marchese d'Obigny: Jozsef Dene
Dottor Grenvil: Janne Sundqvist
Giuseppe: Jean-Vital Petit
Domestico di Flora: Aranud Richard
Commissionario: Jean-Marc Savigny

Orchestre Léonard de Vinci
Choeur de l'Opéra de Rouen, Accentus

Production 2003 du festival d'Aix-en-Provence
Coproduction du festival d'Aix-en-Provence
et du Staatsoper Unter den Linden de Berlin

Luxembourg, Dimanche 4 Avril 2004

Lire également la critique de la même production,
à Rouen, en Janvier 2004



Cela commence comme une mauvaise blague de 1er avril : on vient pour Mireille Delunsch, or c'est la seule représentation qu'elle ne chante pas ! Qu'à cela ne tienne, on fera la découverte d'une jeune Russe, Anna Samuil, née en 1976. Bien que le metteur en scène ne lui facilite pas la tâche, on le verra plus loin, excluant tout accessoire au profit des jeux de scène, elle se révèle d'une présence émouvante et si son timbre velouté, aux piani magnifiques, se durcit parfois dans les airs à vocalises du premier acte, elle nous offre un troisième acte bouleversant et intelligent, en pleine phase, évidente, avec le point de vue de Mussbach. Le public réserve pourtant ses ovations à un Germont père d'exception, Zekljko Lucic, havre d'humanité et de chaleur dans une galerie de personnages volontairement absents. C'est bien autour du couple Violetta / Germont père que se cristallise la chair émotionnelle de l'oeuvre, comme l'avait voulu Verdi, ce qui ne fait paraître que plus falot encore un Alfredo au timbre léger et guère puissant, et aux nasales un peu envahissantes. Germont père, comme éperdu devant une apparition qu'elle est d'ailleurs, Violetta-Madone devenue sage, de la sagesse des morts.

Mais c'est bien sûr cette mise en scène hors normes qui était la plus attendue, si commentée qu'elle avait déjà été, et sur ce site même. La clé en est glissée dans l'ouverture, derrière un rideau de tulle qui ne se lèvera jamais : Violetta avance lentement du fond de scène, invisible dans la luminescence d'une robe immatérielle, et s'écroule au bord de la fosse, alors que défilent en folie des bribes d'images incertaines ; c'est ainsi, paraît-il, que se projette le film d'une vie qui s'achève. Violetta est donc morte dès le début de ce qui ne sera plus qu'un long plan-séquence cinématographique en flash-back, sorte de Mulholland Drive lyrique où dès lors chaque élément incompréhensible prend sa place logique. Violetta est constamment en scène, même lorsqu'elle n'est pas censée y être : ce n'est pas elle, c'est elle qui se souvient, transparente aux autres. Elle donne des lettres qu'elle n'écrit pas, offre un portrait la main vide, demande à Alfredo de la serrer dans ses bras, ce qu'il fait déjà, mais elle ne le sent pas ; elle erre comme un fantôme dans une fête qui ne la voit pas : elle est morte. Violetta raconte Violetta. Morte.

Et l'on comprend alors cette atmosphère glacée, ce noir plombé, ces personnages automates, ce bal mortuaire un peu trash aux gestes mécaniques comme un service funèbre. Violetta, ange fluorescent dans le noir de la mort. Ce tunnel où tout s'accélère et suit un cours inexorable, cet essuie-glace qui scande les scènes comme autant de minutes dans la longue perdition de Violetta. On comprend aussi cette confusion qui a semblé insupportable à certains : le temps est définitivement aboli par cette mort, et si les deux premiers actes s'enchaînent dans le même espace géographique et temporel, en contradiction avec le livret, c'est bien que toute référence de ce genre est désormais révolue dans ce qui n'est plus vie, mais récit.

Le troisième acte est poignant : plateau dépouillé, asphalte et lignes jaunes, le bout du tunnel est proche. La transfiguration d'une Violetta debout, absente à tous, rejoignant peu à peu l'image initiale d'apparition lumineuse, est non seulement l'aboutissement logique de la démarche du metteur en scène, mais une vision d'une beauté ahurissante.

Les choeurs sont percutants et précis, la direction orchestrale, chambriste, épurée, voire acérée, ordonne avec efficacité les noirceurs de la mise en scène, fête spectrale, troisième acte déchirant. Sûr, les amateurs de rutilances mélodramatiques ne sont pas à ... la fête !
Il fallait oser un tel regard sur l'oeuvre, c'est à notre sens une réussite, en ce qu'il ne la contredit pas, mais la renouvelle. Peter Mussbach semble au début ne pas avoir d'affection pour son héroïne : tant mieux, dirions-nous, tant d'autres metteurs en scène l'entourent d'une prévenance larmoyante, en la réduisant à un personnage monolithique victime du poids de conventions sociales. Mussbach a un langage plutôt cru, à mille années-lumière du misérabilisme, mais pas exempt de compassion. Non, Violetta ne meurt pas d'amour, elle serait morte même sans amour, ou même avec, Violetta est déjà virtuellement morte lorsqu'elle découvre l'amour. Hallucinée, Anna Samuil (que l'auteur de ces lignes ne comparera pas à Delunsch, n'ayant pas entendu cette dernière...) s'effondre comme celles auxquelles on pense inévitablement, Marilyn ou Diana, épave désarticulée sur une route nocturne. Violetta, ou le cauchemar d'une solitude inéluctable.
 

Sophie ROUGHOL
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