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PARIS
26/10/03

(@ Eric Mahoudeau)
Giuseppe VERDI (1813-1901)

IL TROVATORE

Opéra en quatre actes
Livret de Salvatore Cammarano
D'après le drame d'Antonio Garcia Gutiérrez

Direction musicale : Maurizio Benini
Mise en scène : Francesca Zambello
Décors : Maria Björnson et Adrian Linford
Costumes : Sue Willmington
Lumières : Peter Mumford
Chef des choeurs : Peter Burian

Il Conte di Luna : Zeljko Lucic
Leonora : Sondra Radvanovsky
Azucena : Dolora Zajick
Manrico : Roberto Alagna
Ferrando: Orlin Anastassov
Inès: Martine Mahé
Ruiz : Jean-Luc Maurette
Un vecchio zingaro : Denis Aubry*
Un messo : Nicolas Marie*
(*artistes des Choeurs de l'Opéra National de Paris)

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris

Représentation du dimanche 26 octobre 2003**



Plein les oreilles !
 

Plus d'un quart de siècle s'est écoulé sans que l'on donne Le Trouvère à l'Opéra de Paris. En novembre 1976, le public du Palais Garnier assistait à l'ultime reprise de la production de Tito Capobianco (1973), l'un des fleurons de l'ère Liebermann, dans laquelle s'étaient succédé Placido Domingo et Carlo Cossutta, Gwyneth Jones, Renata Scotto et Martina Arroyo, Shirley Verrett et Fiorenza Cossotto, Piero Cappuccilli et Sherill Milnes, entre autres. A chaque fois, quatre des "meilleurs chanteurs du monde" selon la célèbre formule de Toscanini.

Hugues Gall a-t-il attendu de pouvoir rassembler une distribution d'un niveau comparable pour faire entrer l'ouvrage au répertoire de l'Opéra Bastille ? L'affiche qui réunit quelques uns des plus grands noms actuels du chant verdien semble le confirmer. La partition est donnée cette fois dans son intégralité avec la cabalette de Leonora "Tu vedrai" qui suit le Miserere. Cependant, par souci de cohésion dramatique, elle n'est pas doublée, contrairement à toutes les autres, y compris "Di quella pira". La réalisation a été confiée à une grande habituée des lieux, Francesca Zambello qui, depuis Billy Budd (1996), alterne réussites absolues (La Guerre et La Paix) et productions discutables, mais toujours efficaces comme Turandot ou Guillaume Tell. Force est de reconnaître que son Trovatore inaugure une troisième catégorie : celle des ratages monumentaux ! 

L'action est située à une époque indéterminée, entre la fin du dix-neuvième siècle et le premier tiers du vingtième dans un dispositif qui évoque à la fois un improbable kolkhoze et l'univers de Germinal : ainsi le décor représente au deux une mine de charbon rougeoyante où s'affairent les gitans, avec au sol des rails de chemin de fer omniprésents et déjà quelque peu incongrus au premier acte, dont le second tableau est censé représenter les jardins du palais de l'Aliaferia. Pour le reste on retrouve les échafaudages métalliques de Turandot, les plans inclinés de Billy Budd, et même, au troisième acte, les canons du champ de bataille de La Guerre et la Paix : Azucena d'ailleurs, quitte la scène ligotée à la roue d'un de ces canons, ce qui provoque quelques rires dans le public tout comme l'entrée de Manrico au un dans le costume de Zorro - on n'est pas loin des Marx Brothers! Seule idée originale, en guise de rideau, le cadre de scène est coupé par une diagonale qui sépare deux fanions gigantesques représentant les factions rivales, celui du bas cachant l'escalier qui mène aux appartements de Leonora puis les cellules de la prison du quatre, le seul tableau à peu près cohérent. La mort de Manrico est particulièrement saisissante : abattu d'un coup de pistolet au fond de la scène, son corps dévale un plan incliné au pied duquel le Comte, à qui Azucena vient de révéler son identité, se précipite vers lui pour l'étreindre désespérément.

Autre habitué des lieux depuis 1993, Maurizio Benini propose une direction raffinée, d'une très grande lisibilité, jouant sur les contrastes jusqu'aux limites du procédé. Les arias sont ralenties à l'extrême, notamment celles de Leonora, d'une grande poésie, et les cabalettes, comme les fins d'actes, sont menées à train d'enfer pour le plus grand plaisir du public qui applaudit frénétiquement. Le résultat est d'autant plus efficace que le chef italien se montre très attentif aux chanteurs qui accomplissent l'exploit de faire oublier le fatras dans lequel ils évoluent !

Lauréat du concours Opéralia en 1999, Orlin Anastassov fait ici des débuts prometteurs. Il campe un Ferrando atypique, plus juvénile qu'à l'accoutumée et tout à fait convaincant dès son air d'entrée, impeccablement chanté avec toutes les ornementations écrites, mais pourtant si souvent passées à la trappe. Le timbre, sombre et homogène, ne manque pas d'attraits et capte durablement l'attention.

Remplaçant Lado Ataneli souffrant, le baryton serbe Zeljko Lucic ne démérite pas, même si son Luna tout d'une pièce est privé de nuances, notamment dans le fameux "Il balen del suo sorriso" interprété pourtant avec un legato impeccable et sans faute de goût. La voix sonne agréablement, mais le comédien un peu gauche n'est pas aidé par la mise en scène. Peut-on cependant lui en faire grief dans un tel contexte ? Il faudra attendre le dernier acte pour que sa prestation emporte finalement l'adhésion.

Grande habituée du rôle qu'elle chante partout depuis plus de vingt ans, Dolora Zajic est une Azucena époustouflante qui n'est pas sans rappeler les grandes mezzos italiennes des année 50/60. L'impact de sa voix d'airain au volume impressionnant est d'autant plus galvanisant qu'elle semble ne pas être au bout de ses possibilités tant sur le plan de l'ampleur que de la tessiture dont elle se joue avec une facilité confondante, s'offrant même le luxe de proposer de somptueux piani, notamment dans le duo de la prison. Il était temps que Paris acclame cette artiste dans l'une de ses incarnations les plus grandioses.

Belle, dotée d'une présence scénique indéniable, Sondra Radvanovsky a paru plus à l'aise dans le rôle de Leonora que dans celui d'Hélène des Vêpres siciliennes qu'elle incarnait ici même en juin dernier. Les quelques raideurs que l'on avait pu remarquer alors dans l'extrême aigu se sont estompées et sa voix ample, ronde et parfaitement conduite s'épanouit librement dans le grand vaisseau de l'Opéra Bastille. Les embellissements sont exécutés avec précision et l'artiste n'est pas avare de demi-teintes extatiques, distillées à bon escient au cours de ses deux grands airs.

C'est à l'occasion du centenaire de la mort de Verdi que Roberto Alagna a mis Le Trouvère à son répertoire, à Monte-Carlo, puis à Florence et Palerme. En très grande forme physique et vocale, il livre une interprétation tout à fait aboutie sans jamais forcer ses moyens essentiellement lyriques : séduction irrésistible du timbre, noblesse du phrasé, élégance de la ligne de chant couronnée d'un aigu facile et rayonnant, son Manrico tout à la fois sensible et électrisant est supérieur encore à celui qu'il a légué au studio pour EMI sous la direction d'Antonio Pappano. Assurément le meilleur que l'on ait entendu depuis deux décennies au moins !

On l'aura compris, l'accueil triomphal du public au salut final s'adresse en premier lieu aux quatre -on dira même aux cinq- protagonistes principaux qui font de ce spectacle un bonheur absolu pour l'oreille !
 
 

Christian PETER
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