C O N C E R T S
 
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PARIS
05/06/2007
 
Christophe Rousset © DR

Claudio Monteverdi (1567-1643)

Il ritorno d'Ulisse in patria

Livret de Giacomo Badoaro

Jan Kobow Ulisse
Hilary Summers Penelope
Emilio Gonzalez-Toro Iro
Sabina Puértolas Minerve
Anders J. Dahlin Umana fragilita, Telemaco
Luigi De Donato Nettuno
Joao Fernandes Tempo, Feace 3, Antinoo
Robert Getchell Eurimaco
Martine Mahé Ericlea
Sarah Jouffroy Fortuna, Melanto
Ann-Kristin Jones Amore, Giunone
Jean-François Novelli Anfinomo
Ryland Angel Giove
David Lefort Eumete, Feace 2


Les Talens lyriques

Gilone Gaubert-Jacques violon
Virginie Descharmes violon
Christophe Robert alto
Laurent Gaspar alto
Héloïse Gaillard flûte à bec
Meillane Wilmotte flûte à bec
Gawain Glenton cornet
Josue Melendez cornet

Continuo
Atsushi Sakai violoncelle
Ludek Brany contrebasse
Nora Roll lirone
Richard Sweeney luth, guitare mauresque et guitare
Marina Bonetti harpe
Christophe Rousset clavecin et orgue
Stéphane Fuget clavecin et orgue

Christophe Rousset direction

5 juin 2007, Cité de la Musique
Paris, version de concert

1/2

Un Ulysse sur le retour


Nous serons brefs. Car nous apprécions Christophe Rousset, son talent de défricheur chez Traetta, Jommelli, son élégante sensibilité chez Lully ou Leclair. Même en terres monteverdiennes, son Couronnement de Poppée de Toulouse en avril 2006 semble avoir été une belle réussite. Hélas, ce Retour d’Ulysse ne s’ajoutera pas au catalogue de ses succès, et ce pour deux raisons principales : d’une part une direction sèche, d’autre part un plateau vocal très inégal et mal distribué.

Rassurez-vous, ô lecteur, rien n’est à crucifier dans cette interprétation, mais après le dynamisme bouillonnant d’Harnoncourt (Teldec), la poésie de Jacobs (Harmonia Mundi) et la chaleur de Garrido (K 617), ce concert a été loin de combler nos exigeantes attentes.

Le choix d’un orchestre spartiate pour une œuvre de trois heures entraîne naturellement un risque d’ennui si les chanteurs ne sont pas suffisamment impliqués dramatiquement. Aussi, quelques bataillons de dulcians, trombones, sacqueboutes et violes manquaient cruellement à l’appel en cette veille du débarquement de Normandie. D’ores et déjà, pour contrer les grincheux qui avanceraient des arguments musicologiques, rappelons que le débat est loin d’être tranché puisque l’unique partition de la Bibliothèque de Vienne « représente plutôt une espèce de partie de direction qu'une partition au sens habituel; ne sont notées que la basse et les parties vocales, de même que les préludes et interludes instrumentaux. Parmi ceux-ci, certains sont entièrement composés, avec les parties médianes, d'autres ne comportent que la basse, d'autres encore la basse et le dessus. Il reste donc manifestement beaucoup à ajouter. » (Nikolaus Harnoncourt, Le Dialogue musical, Gallimard, 1985). Le reste de l’instrumentation retenue par Nikolaus Harnoncourt est proposé en note de fin de texte.

L’ouverture laissait pourtant entrevoir des Talens lyriques capiteux. Etirant les tempi dans une suave sensualité, Rousset semblait vouloir axer sa lecture sur la troublante ambiguïté d’une Pénélope tiraillée entre devoir et désir. Malheureusement, cette espérance ne sera pas tenue et le chef interprètera toutes les autres ritournelles avec une vigueur sèche, parfois accompagnée de cornets acides. Seules les flûtes, le lirone et la harpe apporteront quelques couleurs à l’orchestre.

En outre, l’équipe de solistes est à la fois inégale et mal employée. Pourquoi cantonner les très excellents ténors Jean-François Novelli, Anders J. Dahlin, Robert Getchell, ou Emilio Gonzalez-Toro à des seconds rôles et laisser Jan Kobow, instable, froid et brouillon, assumer le rôle-titre ? Pour incarner son épouse, le mezzo sombre d’Hilary Summers sied bien à la reine Pénélope, mais la chanteuse décline au long de la soirée et sa voix devient de plus en plus voilée, tandis qu’elle évite le trille monteverdien. Le reste des solistes comprend le peu intelligible Luigi De Donato, les aigus fêlés de Sabina Puértolas, la criarde Sarah Jouffroy, mais aussi le Jupiter « alla Niger Rogers » de Ryland Angel et le timbre rond et expressif d’Ann-Kristin Jones. Cette équipe ne semble guère soudée, et se révèle très hétérogène en termes d’aisance dans le chant monteverdien. Seul Emilio Gonzalez-Toro est parvenu à insuffler une vie truculente à son personnage comique du courtisan goinfre Irus, sans brutaliser une partition que ses collègues récitaient avec plus ou moins d’engagement. Peut-être une mise en espace aurait-elle permis de rendre un peu de la lumière des hommes à ce tableau mythologique glacé.

Vous l’avez compris, la trinité de la berceuse est présente : version de concert, orchestre maigrichon, chanteurs peu impliqués et inégaux. Ce Retour n’a d’ailleurs pas réussi à capter l’attention du responsable des surtitres, assez distrait, et de certains spectateurs qui ont profité des deux entractes pour s’esquiver. En fin de soirée, on est soulagé de pouvoir faire comme Ulysse, c’est-à-dire retrouver son chez soi et sa fidèle épouse… en attendant la suite du cycle Ulysse de la Cité de la musique avec une tragédie lyrique rare de Jean-Fery Rebel.


Viet-Linh NGUYEN



Note de fin : L’instrumentation du Retour d’Ulysse dans sa Patrie selon Nikolaus Harnoncourt

« Dans le manuscrit ne figurent qu'une fois, comme par hasard, «violini» et «viole», ou «con tutti gli stromenti». A mon avis, la base de l'instrumentation est constituée d'un ensemble de cordes comprenant violons, altos, violes de gambe et violone, lequel est parfois renforcé et enrichi par divers instruments à vent. Aux endroits adéquats, des instruments isolés ajoutent des ornements en quelque sorte improvisés. Outre les cordes on peut utiliser ici des flûtes à bec (flûtes à bec Renaissance, avec une large perce, faites d'une pièce) pour les scènes gracieuses et brillantes; des piffari (chalemies soprano, sur lesquelles on ne peut jouer qu'une échelle donnée) et le dulcian, l'ancêtre du basson, pour les passages pastoraux et comiques; pour l'accompagnement de Neptune et pour les passages qui demandent une certaine gravité, des trombones; et pour les apparitions divines, les trompettes - autrefois obligatoires. A ces instruments mélodiques, qui en certains endroits ont aussi une fonction de soliste, s'ajoute une foule d'instruments de continuo: un grand clavecin italien, en tant qu'instrument principal; un petit virginal pour le continuo des mélodies de Mélanthos. Eurymaque et Amphinomos, utilisé en outre en combinaison avec l'orgue et le clavecin pour l'accompagnement des récitatifs d'Ulysse, Télémaque et Euryclée; une harpe, avant tout pour l'accompagnement de Pénélope; l'orgue pour les scènes divines, une régale pour Neptune, Antinoos et la scène comique d'Iros. Cette instrumentation ne doit en aucune façon revêtir un caractère définitif, mais bien plutôt, comme toute réalisation d'une œuvre de ce genre, représenter l'une des nombreuses possibilités, tout en tendant à se conformer vraiment aux possibilités techniques et stylistiques de l'époque de Monteverdi » (Nikolaus Harnoncourt, Le Dialogue musical, Gallimard, 1985).


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