C O N C E R T S
 
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PARIS
12/12/2005

© Natasha Rezina
IL VIAGGIO A REIMS

Opéra en un acte de Gioachino ROSSINI 
Livret de Luigi Balochi, dit "Louis-les-baloches "

Mise en scène : Alain Maratrat
Décors : Pierre Alain Bertola
Costumes : Mireille Dessingy
Lumières : Pascal Mérat

Irma Guigolachvili : Corinna, poétesse romaine
Anna Kiknadze : Marquise Melibea 
Larissa Youdina : Comtesse de Folleville 
Anastasia Belyaeva : Madame Cortese
Dmitri Voropaev : Cavalier Belfiore
Daniil Shtoda : Conte di Libenskof 
Edouard Tsanga : Lord Sidney
Nikolaï Kamenski : Don Profondo
Vladislav Ouspenski : Baron di Trombonok
Alexeï Safiouline : Don Alvaro
Alexeï Tanovitsky : Don Prudenzio
Andreï Iliouchnikov : Don Luigino
Elena Sommer : Maddalena
Olga Kitchenko : Modestina
Pavel Chmoulevitch : Antonio

Musique de scène : Aglaya oulianova (flûte),
Elena Vasilieva (harpe) et Yekaterina Romanova (clavecin)

Orchestre du Théâtre Mariinski
Académie des Jeunes Chanteurs du Théâtre Mariinski
Direction musicale :  Valery Gergiev

Théâtre du Châtelet, le 12 décembre 2005

Production du Théâtre Mariinski de Saint-Petersbourg
 

Déçu du Voyage

Le "festival" Gergiev de l'automne parisien se termine par le trop rare Voyage à Reims, une des plus intéressantes redécouvertes du Rossini Opera Festival de Pesaro dans les années 80 (1). La demande du public parisien a été si forte que le Châtelet a doublé le nombre initial de représentations (4 au lieu de 2) et celui-ci n'a pas ménagé ses applaudissements à une production en définitive fort moyenne.

Fort honnêtement, le Mariinski avait annoncé la couleur : l'ouvrage était destiné à être interprété par les jeunes artistes de l'académie du théâtre et non par la brochette de stars que la partition réclame a priori (2) . En septembre 1997 à Royaumont, Alberto Zedda avait su démontrer que l'ouvrage pouvait être très correctement rendu par de jeunes chanteurs bien préparés : tous les espoirs étaient donc permis. Ici, il faut vite déchanter : les voix sont franchement minuscules, le style hors de propos et les vocalises appliquées ; finalement, les chanteurs ne trouvent leurs marques que dans la dernière demi-heure qui rachète une partie de notre déception initiale.

Parmi les artistes tirant leur épingle jeu, on notera pour les hommes le Don Alvaro d'Alexeï Safiouline à la belle prestance et au baryton impérieux. 

Daniil Shtoda devra attendre ces dernières interventions pour impressionner en Conte di Libenskof grace à quelques beaux aigus, en particulier dans le duo final avec Melibea. Mais le chant est sans noblesse, et en ce qui concerne la tenue de scène, on croirait un ours de Sibérie passé à l'ouest à l'occasion d'une tournée du Cirque de Moscou.

Son confrère ténor Dmitri Voropaev est l'insipidité incarnée en Belfior : petite voix nasale, courte et sans aigu ni legato. Aussitôt entendu, aussitôt oublié (comment s'appelle-t-il déjà ?).

Nikolaï Kamenski est un Don Profondo sympathique sinon belcantiste. Totalement dépassé en revanche, le Lord Sydney d'Edouard Tsanga dont le grand air est abrégé au grand soulagement de tous.

Vladislav Ouspenski est un Trombonock presque sans voix et, ce qui est bien pire s'agissant du maître de cérémonie du spectacle, totalement dépourvu d'humour et de folie.

Chez les dames, on est dans l'ensemble un peu plus gâté. Larissa Youdina est une Comtesse de Folleville au timbre de colorature extra-light, mais sans le registre suraigu que l'on associe généralement à ce genre de voix.

Irma Guigolachvili est une Corinna bien chantante au timbre ample et généreux. 
Anna Kiknadze est un mezzo agréable dont le duo final avec Libenskof sera d'ailleurs un des morceaux les plus légitimement applaudis.

Valery Gergiev dirige en sourdine un orchestre placé en fond de scène : sa lecture un peu trop sage et sérieuse n'apporte pas grand-chose à Rossini ; de plus, les passages fortissimo laissent trop la part belle aux cuivres, donnant une impression assez mal venue de fanfare municipale.
En revanche, on admirera les prestations des instrumentistes solistes, absolument sans faille.

La mise en scène d'Alain Maratrat devait relever le défi de renouveler le spectacle particulièrement abouti de Luca Ronconi. Elle n'y parvient qu'à moitié, flirtant un peu trop avec le style Broadway. Une impression accentuée par la présence sur scène de l'orchestre, tout habillé de blanc. 

Le décor est simple : mur et plancher blancs et scène close par un gigantesque escalier (là encore, on songe aux comédies musicales hollywoodiennes). Quelques praticables installés au parterre permettent aux chanteurs d'évoluer dans la salle (on songe cette fois à la production de Ronconi).

Côté costumes, on remarquera en particulier les tenues spectaculaires de Corinna et de la Comtesse de Folleville.

Théâtralement, on pourra être étonné de certains partis pris. Ainsi, Maratrat fait de la Comtesse de Folleville une sorte de sotte insupportable, mi-poupée Barbie, mi-star platine hollywoodienne. Lord Sydney, dont le musique incarne la noblesse un peu compassée de l'empire britannique, est ici transformé en timide maladif, n'hésitant pas à se cacher en rampant sous le clavecin (tellement timide, d'ailleurs, qu'il ne chante pas sa cabalette !). Quant aux autres personnages, ils sont à peine esquissés et tentent tant bien que mal de donner l'impression qu'ils s'amusent comme des fous, esquissant laborieusement des pas de danse de comédie musicale.

La mise en scène finit d'ailleurs par s'essouffler, les chanteurs achevant le spectacle, alignés en rangs d'oignons.

Heureusement, la musique de Rossini est là pour emporter le spectacle vers une conclusion chaleureuse. Les occasions de voir ce Viaggio sont trop rares et, faute de grives, nous nous contenterons de ces merles (2).

Placido Carreroti

Notes

1. La production de Luca Ronconi dirigée par Abbado y fut créée en 1984, reprise dans des distributions légèrement modifiées à Vienne, Milan (85), Pesaro (92), Berlin et ... Ferrare. Pour cette dernière reprise, il s'agissait d'un spectacle initialement prévu au Théâtre des Champs-Elysées, annulé in extremis alors que les places avaient déjà mises en vente à des prix d'ailleurs astronomiques ! Les raisons de cette annulation sont demeurées obscures. Cette production a su résister au temps et au renouvellement complet de la distribution comme l'a prouvé la dernière reprise au Théâtre de la Monnaie.

2. Le programme précise qu'un enregistrement vidéographique du spectacle est prévu : franchement, ne nous donnez pas cette peine. Une seconde distribution alterne avec la première : à notre grande honte, nous avouons n'avoir pas eu le courage de l'affronter ...

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