C O N C E R T S 
 
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PARIS
 22, 24, 26, 28/01/2006
 
 
© Cité de la musique
 

 
 
Anne-Sofie Von Otter

DOMAINE PRIVÉ

Paris, Cité de la Musique 

Quatre concerts : les 22, 24, 26 et 28 janvier 2006

Egalement le 23 :
Projection du film : « Le trésor de M. Arne » de Mauritz Stiller (1919)
accompagné par Bengt Forsberg

 Le 27 : Concert du quatuor Belcea
Quatuors de Mozart et Bartok

 
DU BAROQUE A LA MUSIQUE POP : SUR LES AILES DU CHANT

Qu'une artiste telle qu'Anne-Sofie von Otter obtienne, après plus de vingt ans de carrière, qu'un « domaine privé » lui soit consacré à la Cité de la Musique semble aller de soi, et même être un dû, eu égard à la diversité de son immense talent.

Déjà, le 22 novembre 2004, la mezzo suédoise nous avait offert au théâtre du Châtelet une sorte d'avant-goût avec un superbe récital magnifiquement concocté, comme un condensé, déjà, de ce qui avait structuré sa carrière.

Là, ce projet, plus ample et ambitieux, proposait un panorama quasiment complet de son art. C'est tout juste si l'on peut déplorer que, sur le plan lyrique, Mozart, Haendel, Gluck et Berlioz, sans oublier Offenbach, où elle a tant brillé, et brille encore, ne soient pas au rendez-vous.

Oui, mais il avait fallu faire des choix, et un tel marathon musical, quasiment vertigineux, a bien sûr ses limites, celles de l'interprète et de ceux qui l'accompagnent, sans oublier la capacité d'écoute et la disponibilité des spectateurs venus les écouter.

Quatre thèmes principaux étaient donc proposés au cours de la semaine du 22 au 28 janvier dernier : la musique ancienne, qui scella ses débuts à Drottningholm ; le lied, qu'elle a si bien servi ; la mélodie française, un de ses domaines de prédilection et enfin le folklore et la pop music, où, il faut bien le reconnaître, ses incursions sont on ne peut plus passionnantes.

Sans oublier, « cerises sur le gâteau » non négligeables, ô combien, le formidable concert de ses amis du Quatuor Belcea, donné dans l'Amphithéâtre le soir même de l'anniversaire mozartien, le 27 janvier et surtout la projection, accompagnée d’une musique improvisée au piano par Bengt Forsberg, d'un des films muets les plus célèbres de toute l'histoire du cinéma, sorte de « thriller Renaissance » tourné en décors naturels et avec celle qu'on surnommera la « Lilian Gish suédoise », l'étonnante Mary Johnson : Le trésor de M. Arne de Mauritz Stiller. Inquiétant, poétique, violent, brutal parfois, très moderne dans sa conception et l'agencement des plans, ce chef-d'oeuvre a fait l'admiration de bien des cinéastes et critiques, parmi lesquels Charles Ford, Louis Delluc, Eisenstein.

Car bien plus qu'un miroir narcissique tendu à von Otter pour qu'elle puisse s'y mirer - et bien sûr, narcissique, elle l'est, comme tous les grands artistes - c'est avant tout son amour pour son pays natal, la Suède, qui s'exprime ici : le choix de ce film, décidé par Bengt Forsberg, mais bien entendu avec sa bénédiction, celui des musiciens qui l'accompagnent dont beaucoup sont ses compatriotes, la première partie du dernier concert, consacrée à des musiques de son pays, et le soutien de l'Ambassade de Suède et du Centre Culturel suédois, rappelé en exergue pour toutes les manifestations, sont autant de signes qu'elle nous envoie, pour nous rappeler la belle contrée d'où elle vient, et qu'elle nous offre, comme un cadeau, en remerciement de notre admiration pour elle.

Bien sûr, il est des mezzos au timbre plus corsé et capiteux (Susan Graham), à la voix plus large et/ou plus puissante (Yvonne Naëf, Petra Lang). Mais qui, parmi ses « rivales », peut se targuer d'avoir à son actif un nombre aussi impressionnant de registres et d’être, comme le disait Marc Marc Minkowski sur les ondes de France Musique il y a quelques années : « un véritable caméléon, capable de tout chanter, de la musique préhistorique aux Beatles » ?

On a beau chercher, on n'en voit aucune autre, et il faut regarder en arrière pour trouver peut-être un équivalent, en la personne de la regrettée Cathy Berberian.

C’est là que von Otter devient rare, précieuse, voire unique. Elle marquera incontestablement l'art vocal des XXe et XXIe siècles de sa personnalité si singulière, fondamentalement «artistique » au sens générique du terme.

Il semble décidément que rien n'échappe à sa curiosité et à sa sagacité, comme on le verra au cours de ces soirées riches en surprises et en contrastes.



Dimanche 22 janvier 2006
Amphithéâtre

« Music for a while »
Anne Sofie von Otter mezzo-soprano
Jakob Lindberg luth
Jory Vinikour clavecin (*)

(*) Clavecin Jean-Claude Goujon/Jacques Joachim Swanen 1749/1784
(dépôt permanent du
Mobilier national au Musée de la musique),
fac-similé du clavecin Carlo Grimaldi 1703 (collection Musée de la musique.)



Girolamo Frescobaldi (1583 - 1643)
Balletto

Claudio Monteverdi (1567 - 1643)
Ecco di dolci raggi

Girolamo Frescobaldi
Se l'aura spira

Claudio Monteverdi
Quel sguardo sdegnosetto

Alessandro Piccini (1566 - 1638)
Toccata

Claudio Monteverdi
Lamento d'Arianna

Girolamo Frescobaldi
Balletto e Ciaccona

Benedetto Ferrari (1603 - 1681)
Amanti, io vi so dire

Girolamo Kapsberger (1580 - 1651)
Arpegiatta (theorbe solo)

Claudio Monteverdi
Adagiati, Poppea

John Dowland (1563 - 1626)
Pavane (luth solo)
In darkness let me dwell - Fantasia (luth solo) -

Can she excuse my wrongs ? - Now cease, my wandering eyes

Henry Purcell (1659 - 1695)

Saraband with Division (clavecin solo)
Sweeter than Roses - Dear, pretty youth

Hornpipe - (extrait de "The Married Beau") - There's not a swain
Music for a while


Michel Lambert (1610 - 1696)

Vos mépris chaque jour

Bis :
Anonyme - Pasaba a amor
Reynaldo Hahn - A Chloris
Pierre Guedron - Si jamais


UN COEUR DE FEMME LIBRE BAT DANS MA POITRINE
(Barbara Strozzi)

Un début en beauté

Elle arrive sur la scène intime de l'Amphithéâtre, plein à craquer, avec près d'un quart d'heure de retard, et un tantinet énervée, voire « électrique » comme le joli bleu de sa tenue, marchant d'un pas décidé, elle s'assied pour écouter ses amis et … demeure assise pour chanter. Fatigue passagère, coquetterie, pose, sophistication extrême ? Peut-être un peu tout cela à la fois. Après tout, le Deller Consort ne chantait-il pas assis, parfois ?

Toujours est-il que la voix elle, est bien en place, ductile, suave, virtuose, dosant savamment colère (au besoin en la ponctuant d'un coup de talon rageur), et douceur ensorcelante et que cette petite salle, idéale pour ce répertoire, lui sied comme un écrin précieux.

Le programme puise largement dans celui de son extraordinaire disque éponyme paru chez Archiv Produktion en 2004, et on retrouve avec plaisir Jori Vinikour et Jakob Lindberg, qui étaient ses partenaires dans l'enregistrement.

Le « Amanti vi so dire » de Ferrari, est toujours aussi époustouflant, avec cet art consommé du « recitar cantando » qui fait de von Otter une interprète hors pair dans ce répertoire. Et puis, les Dowland, les Purcell à la sensualité à peine voilée dans « Sweeter than Roses », un peu plus marquée dans « Dear pretty youth ».

La diction et le style sont superlatifs dans « Vos mépris chaque jour » de Michel Lambert, mais elle trouve encore le moyen de nous surprendre avec, en bis, un air espagnol « anonyme » prononcé et chanté avec une telle maestria qu'il nous persuade une fois de plus, si l'on pouvait en douter, des immenses possibilités qui s'offrent encore à elle, à ce stade de sa carrière, dans le domaine de la musique ancienne et baroque espagnole, en particulier celle du Siècle d'Or. Qui, mieux que von Otter, pourrait continuer le travail entrepris par Montserrat Figueras ?

Coquetterie encore, mais quel charme et quelle intelligence ! - avec le A Chloris de Reynaldo Hahn, tellement écrit « à la manière de » que l'accompagner au clavecin n'a rien de choquant.

Et autre grâce avec la belle mélodie de Pierre Guédron Si jamais.

Un début en beauté, donc et oserons-nous l'avouer, sans aucun doute, notre concert préféré, avec le dernier, comme le début d'un cycle qui se refermera avec la pop, le music hall, et la chanson française. Comme si commencer en beauté, induisait aussi « terminer en apothéose ».



Mardi 24 janvier 2006
Salle des concerts

Chamber Orchestra of Europe

Marc Minkowski direction
Anne Sofie von Otter ** mezzo-soprano

Johann Strauss (1825 - 1899)

Valse de l'empereur, opus 437

Gustav Mahler (1860 - 1911)

Lieder eines Fahrenden Gesellen**
 
Bis :
Franz Schubert
Nacht und Traume

°°°°°°°
Johannes Brahms (1833 - 1897)
Symphonie n°1


LE CHANT PLAINTIF

Après un beau voyage en terre baroque, nous voici projetés dans un tout autre univers, tourmenté et terrible, celui de Mahler.

S'agissant d'un compositeur que von Otter connaît bien et affectionne tout particulièrement, elle livre de ce cycle bouleversant une lecture déchirante, habitée, comme perpétuellement au bord du gouffre, où la fêlure est constamment présente, ainsi que la fragilité et le désespoir.
 
Et Minkowski qui, auparavant, avait dirigé la valse de l'Empereur très « façon caf' conc' de Vienne » (mais après tout, Strauss n'était-il pas au début membre d'un quatuor se produisant à la brasserie Sperl ?) non sans panache, certes, mais avec une certaine pesanteur, paraît comme transfiguré en accompagnant sa diva préférée dans Mahler. La lourdeur fait place à la transparence, avec, en plus, le « balancement yiddish » cher à Bernstein, car ne pas faire entendre chez Mahler toute la douleur de l'âme juive, c'est quelque part ne pas lui rendre totalement justice. Comme nous le précisions lors des concerts de Brême, l'osmose entre von Otter et Minkowski est totale, et ce tandem inséparable nous offre des instants de pur bonheur. En bis, le sublime Nacht und Traüme, où l'on entendra comme l'esprit du lied flotter sur les ailes du chant, nous rappellera une autre très belle soirée, dans cette même salle, cette fois avec Claudio Abbado, il y a quelques années.

Il est clair que le Chamber Orchestra of Europe sonne de meilleure façon et semble mieux convenir à Minkowski que le laborieux Orchestra of The Age of Enlighment entendu au TCE cet automne. Sa lecture de la très beethovenienne symphonie n°1 de Brahms ne fera que confirmer cette impression, car, malgré quelques outrances dont il est coutumier et un finale un peu frénétique, son interprétation, globalement satisfaisante, constituera au bout du compte une heureuse surprise.



Jeudi 26 janvier 2006

Anne-Sofie von Otter mezzo-soprano
Bengt Forsberg piano
Jan Bengtson flûte
Mats Lidstroem* violoncelle*
Matthieu Petit** contrebasse**

Quatuor Belcea***

Corina Belcea violon
Laura Samuel violon
Krzysztof Chorzelski alto
Antoine Lederlin violoncelle

Maurice Ravel (1875 - 1937)
Chansons Madécasses pour mezzo-soprano, flûte, violoncelle* et piano

Franck Martin (1890 - 1974)
Trois chants de Noël (mezzo, flûte, piano) :
Les cadeaux, Image de Noël, Les bergers

Reynaldo Hahn (1874 - 1947)
Quintette avec piano en fa dièse mineur***

Cécile Chaminade (1857 - 1944)
Concertino op.107

Olivier Messiaen (1908 - 1992)

Prélude "les sons impalpables du rêve"

Gabriel Fauré (1845 - 1924)

La Bonne Chanson, pour mezzo-soprano, quatuor à cordes***, contrebasse** et piano

Bis
Saint-Saens, Une flûte invisible


LE CHANT APAISÉ

C'est, il faut bien l'avouer, un concert dont nous attendions beaucoup, et curieusement, c'est celui qui nous procura une légère déception.

Pourtant, sur le papier, le programme en était on ne peut plus alléchant, avec en particulier, les rares et passionnantes « Chansons madécasses ». La voix de von Otter, on le sait, à force de « flirter » avec la tessiture de soprano, a, au fil des ans, nettement perdu en rondeur et en sonorité dans le grave, et c'est précisément dans ces pages de Ravel que cette perte fut le plus perceptible, d'autant qu'elles étaient placées en début de programme.

On la retrouve par contre avec plus de bonheur dans les mélodies de Franck Martin et bien
sûr, le cycle de la Bonne Chanson, dont elle a gravé au disque une fort belle version.

Oui, mais voilà, le chant ce soir est un peu compassé, l'ambiance générale un peu convenue, un peu trop polie, comme s'il fallait faire plaisir à tout le monde et n'oublier personne. C'est d'un haut niveau artistique, bien sûr, mais très « musique de salon » et la folie de Music for a While, tout comme la névrose quasiment « bergmanienne » de Mahler semblent bien loin.

A la décharge des interprètes, il faut avouer que la Salle des concerts est trop vaste pour un tel programme et le formidable Quatuor Belcea l'aura bien compris, puisqu'il se produira le lendemain dans l'Amphithéâtre où l'acoustique est d'une toute autre qualité.

Et puis, pourquoi diable avoir inséré dans La bonne Chanson deux morceaux de piano du même Fauré joués par Bengt Forsberg ? Von Otter souhaitait-elle se reposer au cours de ce cycle long de 45 minutes ? Imagine-t-on une seconde Frauenliebe und leben ponctué par des pièces de Schumann ? Quelle drôle d'idée, en vérité.

Le très joli bis, Une flûte invisible de Saint-Saëns, avec le formidable Jan Bengston, viendra infléchir un peu cette impression convenue, d'autant plus que l'irruption de l'incontournable « Monsieur Armand » avec son non moins incontournable cadeau en forme de feu d'artifice viendra détendre l'atmosphère et la rendre soudain plus chaleureuse et moins empesée.


Samedi 28 janvier 2006-01-26
Pop & folk

Anne Sofie von Otter mezzo-soprano
Anders Jakobsson violon
Torbjörn Näsbom violon, nyckelharpa
Pär Näsbom alto
Svante Henryson violoncelle, contrebasse
Georg Wadenius guitare
Bengt Forsberg piano
Jan Bengtson flûte
Bebe Risenfors accordéon
Anders Astrand percussion

Musique populaire suédoise,
dont des chansons de Benny Andersson

et Bjorn Ulvaes

Chansons tirées de l'album "For the Stars"
Chansons et musique de Kurt Weill,
arrangées par Svante Henryson


Chansons françaises


Bis
Like an angel passing through my door (Benny Anderson)
Boum (Charles Trenet)
Irish Blessing (en gaélique)


LE CHANT LIBÉRÉ OU UN FINALE EN FORME D'APOTHÉOSE


Comme nous le disions en exergue, cette soirée fut, avec Music for a While, notre préférée, celle où von Otter fit preuve, comme pour la musique ancienne, d'une aisance et d'une maîtrise époustouflantes, avec peut-être plus de décontraction encore, car, lors du premier concert, elle apparaissait légèrement tendue, du moins au début.

On retrouvait la formidable meneuse de revue de son concert de Noël à Poissy, en décembre 2002, avec une fois encore, une montée en puissance dans la sophistication et la virtuosité, et surtout la diversité des registres.

Juchée sur un haut tabouret, maniant le micro avec maestria, von Otter, revêtue d'une tunique scintillante très « seventies » et d'un pantalon très « cool », n'hésita pas, face à un public où la Suède était largement représentée - entre autres par l'Ambassadeur lui-même - à entonner - en suédois - une chanson qu'elle annonça - en anglais - comme « a dirty song » : « les Suédois présents dans la salle comprendront ... » commenta-t-elle de manière un peu provocatrice.

La première partie se poursuivit dans un joli mélange de folklore suédois, de quelques chansons comme Koppängen qui figurait dans son album « Home for Christmas », le tout entrecoupé de morceaux joués par ses formidables musiciens, dont le superbe violoncelliste et contrebassiste Svente Henryson, auteur de plusieurs arrangements des oeuvres inscrites au programme.

La deuxième partie allait réserver bien des surprises : The other woman extraite de For the Stars « que Nina Simone chanta » dit-elle, des mélodies de Kurt Weill, dont certaines déjà données au Châtelet, comme l'irrésistible Die Seeraüber Jenny (Jenny des Pirates), comme toujours interprétées avec un mordant et un sens du texte brechtien absolument ravageurs…

Et puis, une chanson de Michel Legrand, et une autre qui nous cloua sur notre fauteuil : Mon homme de Mistinguett, chantée avec un aplomb, une gouaille et une diction phénoménales. Aux applaudissements enthousiastes du public, elle répondit « Merci, Mistinguett ».

Mais les bis n'allaient pas cesser de nous étonner, car après un clin d'oeil à ABBA avec Like an angel passing through my door, Anne-Sofie nous annonça qu'elle « était tombée sur les chansons de Charles Trenet » et entonna Boum avec un allant, un chic, une classe et une élégance que n'aurait pas reniés le « fou chantant ». Il y a fort à parier que cette incursion n’est qu’un début…

Et pour finir, au cas où l'on aurait pu douter de ses dons pour les langues, cette artiste protéiforme nous offrit une chanson irlandaise en gaélique, s'il vous plaît !

En conclusion, une semaine riche en émotions et en plaisir musical !
 

 Juliette BUCH


NB : Ces concerts ont été enregistrés par France Musique et seront diffusés ultérieurement. Surveillez les programmes.
 
 
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