C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
LYON
10/05/2007
 
Deborah Polaski
 © DR

Richard WAGNER (1813-1883)

LA VOIX DE WAGNER


Tristan und Isolde, Prélude et Mort d'Isolde
Wesendonck Lieder
Der Ring des Niebelungen, Extraits symphoniques

Deborah Polaski, soprano
Orchestre National de Lyon
Jun Märkl

Auditorium de Lyon, le 10 mai 2007

Lire aussi la critique de François Lesueur :
Salle Pleyel, Paris, le 13 mai 2007

1/2
Il faut se laisse pénétrer

"Suis-je seule à entendre cette mélodie […] disant tout, réconciliant, tirant d'elle son chant qui me pénètre, s'élève, retentit, vibre autour de moi ? " (Mort d'Isolde).

Qui me pénètre… Il faut se laisser pénétrer. Il faut se laisser pénétrer par les mots et les sons de Wagner. Il faut se laisser pénétrer par l'amour et l'épopée ; par l'amour épique et l'épopée amoureuse. S'abandonner et sombrer. Aller au-delà de l'écoute comme les exécutants vont, ici, au-delà de la musique même. Etrange expérience en fait.

Il faut se laisser pénétrer par les vagues soulevées par Jun Märkl et l'Orchestre National de Lyon. Par cette sonorité extrêmement contrôlée (même si, parfois, au fond du Rhin, les cors déchantent…), comme soufflée. Par cette houle jetée en bourrasques éclatées sur les rochers/rangs de l'Auditorium. Par ce chant énamouré (Tristan, forcément), tendu, hypertendu, à la limite même de la rupture (l'Immolation de Brünnhilde). Par cette battue à la fois généreuse et furieuse (la Chevauchée a de faux airs du Fürtwängler d'avant-guerre).

Il faut se laisser pénétrer par les chatoiements de l'orchestre. Par le son éperdu des altos et des violoncelles de Tristan. Par la légèreté des bois (pour le Voyage de Siegfried) et les sortilèges distillés aux vents. Par la voile tendue, gonflée des cuivres et les secousses de la percussion. Par la flamme qui consume le Ring tout entier, surtout, et qui prend ici les couleurs génialement étagées du poème symphonique que Wagner n'écrivit pas.

Il faut se laisser pénétrer par l'interprétation de Deborah Polaski. Par la science wagnérienne de la vieille routière de la colline verte qui sait tout de son maître, de l'économie (Der Engel et Träume) à la parole. Par le son concentré, au-delà du son même, comme une vibration tellurique ; comme un ailleurs. Par cette stature de dolmen, de brise-lames fendant les flots de l'orchestre pour une Mort d'Isolde vécue comme un passage : du piano au forte ; du son au silence ; comme le double nordique des "enlèvements" de saints baroques.

Il faut se laisser pénétrer par la fuite en avant qui vaut architecture sous la baguette de Märkl. Par la fuite en avant qui vaut profession de foi wagnérienne chez Polaski. Il faut se laisser pénétrer et laisser de côté le conjoncturel. Ce qui dans le monde spirituel des deux n'existe que pour "faire" humain. Le timbre défraîchi chez elle ; et le vibrato qui endommage la ligne, chaque tenue comme le legato. Chez lui, il s'agira plutôt de moments où la tension retombe, entraînant "l'action" dans son sillage : le prélude de l'Or du Rhin comme le Réveil du Crépuscule si longs, épais, sans relance. Mais… Mais, mais, mais…

Wagner "nous ruine la santé […] Il rend malade tout ce qu'il touche". Dixit Nietzsche. Eh bien ! Ne lui en déplaise, je n'ai pas envie d'être guéri.



Benoît Berger
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]