C O N C E R T S
 
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PARIS
13/10/2006
 
© Nicolas Lieber
Franz Schubert (1797 – 1828)

WINTERREISE

Nathalie Stutzmann, contralto
Inger Södergren, piano

Cité de la musique, Paris
le 13 octobre 2006, 20h

La joie dans la douleur


A chacun son rythme ; au sujet de Winterreise, Nathalie Stutzmann aime à souligner que l’allure du cycle entier dépend de l’impulsion initiale, de ce premier pas, Gute Nacht (bonne nuit), qui lance le voyageur sur le chemin du désespoir. Sa propre cadence, elle l’a d’ailleurs trouvée en se promenant dans la campagne, seule, en compagnie de son chien. Depuis, la mesure de son chant obéit à celle de sa marche. C’est dire combien ce voyage schubertien est le sien, mentalement et physiquement. Au disque, en concert, elle en a apporté la preuve plus d’une fois ; elle vient d’en faire à la Cité de la musique une nouvelle démonstration.

Son entrée sur scène, grande, la taille cintrée dans une longue veste mauve et le cheveu court, impose une silhouette romantique de jeune homme à la Caspar David Friedrich. La voix, contralto superbe à la couleur chaude et ronde, renforce encore l’impression d’androgynie. La magie du timbre envoûte dès le premier mot, ce fremd (étranger), juché sur la plus haute note de la mélodie, qui caractérise inéluctablement le narrateur. L’aigu caresse sans trancher, flatte l’oreille sans l’agresser et se développe largement avec assurance. Le grave, quand vient son heure, celle de Gefror’ne Tränen (les larmes glacées), ne montre pas moins de séduction, épais sans être plâtreux, non pas assourdi mais naturel, et puis inhabituel chez une cantatrice donc fascinant. Mais la beauté de la voix, dans cette errance de l’âme, n’est rien sans l’interprétation avec pour écueil l’uniformité du climat. Winterreise, en effet, ne connaît que le désespoir au contraire d’autres cycles de lieder, Die Schöne Müllerin par exemple, qui offrent une plus grande variété de sentiments.

Nathalie Stutzmann évite la monotonie en jouant sur l’accent. Elle ne refuse pas forcément l’effet, use du murmure et ose aussi l’éclat mais avec simplicité, sans excès de théâtralité. L’intensité de l’expression, obtenue par la force de la concentration, emporte tout au long du périple. La trajectoire se dessine douloureuse au milieu de paysages sombres et brûlants ; pourtant, une certaine douceur, féminine inévitablement, adoucit l’horizon. Ainsi, l’accablante harmonie de la dernière mélodie, Der Leiermann (le joueur de vieille), parait moins implacable. Le cycle ne se dissout pas dans un néant désespéré ; il laisse entrevoir comme un rayon de lumière.

Un résultat d’une telle richesse ne s’obtient pas seul ; il n’est même possible qu’avec l’accord et la complicité du pianiste. Inger Södergren partage la même émotion, la même musicalité, l’art des nuances et la subtilité du phrasé. Sous ses doigts, les contours incertains du piano prennent un relief inattendu. L’instrument cesse d’accompagner pour devenir le double éperdu du voyageur.

« La vision d'Inger m'a confortée dans la mienne, et c'est toujours un immense bonheur quand deux personnes qui jouent ensemble s'aperçoivent qu'elles ressentent la même chose » confiait Nathalie Stutzmann à Bernard Schreuders en décembre 2004. Ce soir, Mesdames, nous avons partagé votre joie
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Christophe Rizoud

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