C O N C E R T S 
 
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PARIS
23/06/04

Robert Wilson
(© DR, www.robertwilson.com)
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

Die Zauberflöte
(La Flûte Enchantée)

Singspiel en deux actes (1791)
Livret d'Emmanuel Schikaneder

Nouvelle production

Direction musicale : Jiri Kout
Mise en scène et décors : Robert Wilson
Costumes : Kenzo Takada
Lumières : Heinrich Brunke
Chorégraphie : Andy de Groat
Dramaturgie : Ellen Hammer
Chef des choeurs : Peter Burian


© DR

Distribution

Tamino : Gordon Gietz
Erste Dame : Aga Nikolaj
Zweite Dame : Karine Deshayes
Dritte Dame : Ursula Hesse von den Steinen
Papageno : Stéphane Degout
Papagena : Gaële Le Roi
Sarastro : Alfred Reiter
Monostatos : David Cangelosi
Pamina : Rachel Harnisch
Die Königin der Nacht : Aline Kutan
Der Sprecher - Erster : Reinhard Dorn
Priester 
Zweiter Priester : Wilfried Gahmlich 
Erster Geharnischter : Robert Künzli 
Zweiter Geharnischter : Gudjon Oskarsson
Erste Knabe : Théo Julia Demory
Zweiter Knabe : Jun Suzuki
Dritter Knabe : Facundo Rodriguez 

Orchestre et Choeur de l'Opéra de Paris
Solistes de la maîtrise des Hauts de Seine
Choeur d'enfants de l'Opéra National de Paris

Opéra Bastille, 23 juin 2004
(première)



LA FLÛTE DE L'ENCHANTEUR...

La vieille ritournelle selon laquelle les reprises sont souvent meilleures que les premières vient encore de se vérifier avec cette Flûte Enchantée donnée une dernière fois par Hugues Gall et qui scellera - cette fois pour de bon, le rideau venant de tomber, le 8 juillet, sur la dernière de Capriccio à Garnier - la fin de son mandat.

Force est de constater que cette production qui date de 1991 (création le 27 juin à l'Opéra Bastille), non seulement n'a pas pris une ride, mais a même bonifié, comme les grands crus. Mieux encore, elle semble empreinte d'une modernité très vivace, voire futuriste, son intemporalité faisant apparaître comme "datées" bien des mises en scène pourtant plus récentes.

Cependant, à l'époque, cette Flûte avait soulevé bien des controverses (voir le titre "historique" de Libération : "Bob Wilson est resté sourd à la Flûte Enchantée"(1)) et créé de nombreux remous pour des audaces qui, aujourd'hui, les temps ayant bien changé, nous semblent toutes relatives, presque anodines... Il n'empêche que le grand chef suisse Armin Jordan, qui devait diriger toute la série, avait fini par déclarer forfait et déposer rageusement la baguette face aux "libertés" prises par Bob Wilson avec l'oeuvre de Mozart : dialogues Kabuki sonorisés, effets sonores ajoutés... Il faut bien reconnaître que malgré les qualités esthétiques, incontestables, des lumières, des décors et costumes, on pouvait être tenté de penser que Wilson avait "poussé le bouchon un peu loin", d'autant que la distribution vocale et la direction musicale étaient d'un niveau assez faible.

La reprise de l'oeuvre en 1999 avec de meilleurs chanteurs, un meilleur chef et de nouveaux costumes réalisés par Kenzo avait déjà changé quelque peu la donne.

On peut dire qu'aujourd'hui, treize ans après la création, cette Flûte tellement contestée est sur le point de passer à la postérité, comme ce Faust de Lavelli qui déclencha une véritable bataille d'Hernani au Palais Garnier ou cette Tétralogie Chéreau/Boulez à Bayreuth qui valut à l'époque des menaces de mort à ses auteurs. Ces spectacles, devenus des classiques, font désormais office de références absolues. Et nul doute que la vision wilsonienne de ce divin singspiel du divin Mozart fera date, car elle était très en avance sur son temps.

L'idée que cette série de représentations est la "der des der" nous serre un peu le coeur, a fortiori lorsqu'on sait que c'est la Flûte du Festival de La Ruhr, aperçue sur Arte, qui va lui succéder. Il faut dire que la première (23 juin) nous a probablement offert un idéal de perfection visuelle et auditive rarement atteint dans cette oeuvre, et ce, depuis fort longtemps.

Bob Wilson, revenu pour cette série (il saluera à la fin), a revu sa copie. Les costumes de Kenzo sont toujours aussi superbes, la beauté des lumières et de l'agencement des couleurs dites "primaires" - les rouges, les jaunes, les bleus - tout bonnement à couper le souffle, et l'on n'oubliera pas de sitôt l'arrivée du sublime dragon rouge poursuivant Tamino.

Une telle épure et une telle stylisation sont à la fois un repos - tant de metteurs en scène prenant un malin plaisir à encombrer inutilement l'espace scénique - et un bonheur pour le regard. En se démarquant de tant de lectures philosophico-politico-maçonniques, qui fréquemment alourdissent ce chef-d'oeuvre, la vision de Wilson lui restitue sa limpidité et son évidence, en parfaite adéquation avec l'esprit même du Singspiel.

Sur le plan musical, c'est aussi la fête, car la direction équilibrée, harmonieuse, sans effets superflus, de Jiri Kout, va droit au coeur par sa simplicité et se montre, qui plus est, constamment attentive aux chanteurs.

Des deux distributions en alternance, nous n'avons pu entendre que la première qui, d'après les échos que nous en avons eu, semble la meilleure. En tête, il faut citer le formidable Papageno de Stéphane Degout, truculent à souhait et bien chantant, et la touchante Pamina de Rachel Harnisch, très habitée et poétique. Le ténor canadien Gordon Gietz qui chantait Tamino ce soir-là eut quelques aigus un peu difficiles et fit montre d'une émission vocale souvent étouffée... Le trac, peut-être ?

On peut encore citer la très belle Reine de la Nuit d'Aline Kutan, à la voix très corsée et aux suraigus éclatants, les trois dames malicieuses parmi lesquelles ont remarque Karine Deshayes, le noble Sarastro d'Alfred Reiter, la délicieuse Papagena de Gaële Le Roi et, last but not least, les trois formidables "Knaben", d'une justesse, d'une musicalité et d'une autorité scénique plutôt rare quand il s'agit d'aussi jeunes artistes. Tous les rôles sont, de toute façon, très bien tenus et contribuent à l'homogénéité d'un spectacle qui nous touche profondément, nous rend notre âme d'enfant avec le regard émerveillé qui l'accompagne, cette joie pure et simple devant la beauté visuelle et sonore, renouant avec l'essence et la magie de l'Opéra.

Les nombreux adolescents présents dans la salle ne s'y trompèrent pas et laissèrent éclater leur joie, réservant, avec le reste du public, une véritable ovation à Robert Wilson, au chef et à tous les chanteurs.

Il est à espérer que Gérard Mortier ait pu assister à cette représentation pour constater à quel point ce spectacle "fonctionne", en particulier auprès des jeunes et qu'il constitue en outre une leçon d'esthétique et d'art - Wilson est aussi et surtout plasticien, ne l'oublions pas - dans un monde où, de plus en plus souvent, la laideur est de rigueur. Souhaitons aussi que le nouveau directeur de l'Opéra de Paris révise quelque peu son jugement et qu'au lieu de la mettre au "pilon", il reprenne un jour cette Flûte visionnaire, pour notre plus grand bonheur.
 
 

Juliette BUCH
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(1) Le spectacle qui a fait connaître Robert Wilson s'intitulait "Le Regard du Sourd"...

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