C O N C E R T S 
 
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NANCY
14/10/05
La Reine de la Nuit - Chantal Perraud - Tamino - Chad Shelton
© DR
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

DIE ZAUBERFLÖTE

Singspiel en deux actes

Livret d'Emanuel Schikaneder,
d'après le conte Lulu
tiré des contes orientaux Dschinnistan de Wieland (1786)

Créé le 30 septembre 1791 au Theater auf der Wieden de Vienne
Direction musicale: Sebastian Lang-Lessing
Mise en scène, décors, costumes - Achim Freyer
Reprise de la mise en scène - Hendrik Muller
Lumières - Gerd Budschigk
Assistant direction musicale - Ludovic Perez
Assistante décors et costumes - Petra Weikert

Sarastro - Randall Jakobsch
Tamino - Chad Shelton
Pamina - Helena Juntunen
Papageno - Thomas Dolié
Papagena - Hélène Guilmette
La Reine de la nuit - Chantal Perraud
Monostatos - François Piolino
Première Dame - Blandine Arnould
Deuxième Dame - Hjördis Thébaut
Troisième Dame - Sylvie Althaparro
L'orateur - René Schirrer
Premier Prêtre - François Lis
Deuxième Prêtre - Alexandre Swan

Trois enfants
Solistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine (direction Gaël Darchen)

Choeurs de l'Opéra de Nancy
et de Lorraine (direction Merion Powell)

Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy

Production Opéra National du Rhin / Festival de Schwetzingen
Nancy, 14 octobre 2005

Cette troisième mise en scène de la Flûte Enchantée par Achim Freyer a été déjà largement commentée dans notre site, au moment de la création à Strasbourg en juin 2002, ou de la reprise récente sur cette même scène en janvier 2005. Le programme de soirée reproduit fort opportunément l'entretien entre Catherine Jordy et Achim Freyer au moment de la création, et l'on tombe sur ces mots de la bouche même de Freyer : "Cet opéra est un mystère, car, quelle que soit la mise en scène, le public accourt !". Vrai, la salle est comble, notamment de jeunesse. Quoi de plus naturel pour cet univers de BD avant la peste aviaire, peuplé de bouées canard, de serpents gonflables, de dictateurs improbables entre Statue de la Liberté et Khadafi d'opérette, de spaghettis géants, de Tintin en Afrique et autres hélicoptères porteurs de messages... On a déjà décrit ce parcours de Freyer en trois mises en scène, du métaphysique au kitsch en passant par le cirque, et on relit cet entretien dans l'espoir de trouver une justification à cette univers boursouflé de couleurs, où les seuls accessoires indispensables, la flûte magique et le carillon, sont invisibles, où l'allusion maçonnique discrète s'évapore dans des truelles tout droit échappées de feu la Samaritaine, et dans trois portes dénommées, de la plus petite à la plus grande, raison, sagesse, nature, ou de fugitives pyramides. L'homme revendique avec conviction la dérision, la drôlerie, la comédie de boulevard, mais aussi le signifiant, sagesse suprême de la nature, victoire finale de l'amour. S'il est vrai que l'on s'amuse, que l'on s'émerveille devant tant d'imagination et de couleurs, on rit parfois un peu jaune (l'avion de la terroriste reine de la nuit défonçant les murs), et l'on s'agace aussi devant certaines facilités ou lourdeurs. Le gloubi-boulga devient à la longue un peu fatigant.

Pamina - Helena Juntunen - Papageno - Thomas Dolié
Monostatos - François Piolino - Choeur
© DR

Parmi quelques trouvailles réussies (les gestes en miroir de Tamino et Pamina), trois agacements majeurs : d'abord que l'on casse parfois le discours musical au profit de jeux de scènes improbables (quand le prêtre récupère tous les objets sur scène, par exemple). Puis la sale gueule de Sarastro, mélange improbable d'Amérique triomphante et de dictateur d'opérette, allusion trop univoque pour être vraiment fidèle à celui de Schikaneder et Mozart. Mais surtout une scène des épreuves initiatiques ratée, où encore une fois Freyer résout par l'absence - celle des deux personnages principaux, Tamino et Pamina, répondant à celles de la flûte et du carillon - une problématique de mise en scène qui l'aurait obligé à aborder le côté initiatique et spirituel de la Flûte, et pas seulement fable politique : faire clignoter la couronne de la Statue de la Liberté ne suffit pas.Et l'on se dit que si ceux qui, comme à l'évidence Achim Freyer, ont une connaissance approfondie de l'oeuvre saisissent le sens des allusions multiples, d'autres, qui abordent l'oeuvre ainsi, risquent bien de ne pas en saisir -sauf à de rares instants - la magie profonde, au profit d'une vision politico-anecdotique drôle, inventive, mais un peu réductrice. Impression que renforce l'image finale d'un plateau vide de personnages, jonché des ruines de la lutte entre la Reine de la Nuit et Sarastro, Où est le message de rédemption et de réconciliation de Mozart ?


Papageno - Thomas Dolié
© DR

Une telle débauche visuelle nuit parfois à la perception d'un plateau vocal assez inégal. La Pamina d'Helena Juntunen est formidable de sensibilité et de justesse, avec une voix ductile, puissante, et des aigus d'une chaleureuse liquidité. A ses côtés, Chad Shelton devient de plus en plus convaincant au fil de l'opéra, et si le timbre de séduit guère, la ligne de chant et la présence scénique sont remarquables au second acte. Papageno encore une fois convaincant de Thomas Dolié, même si la puissance est insuffisante, et Monostatos lui aussi juste à tous points de vue par un routier du rôle, François Piolino. Magnifique trio de Dames, auquel réponde un trio de Garçons presque toujours juste, et qui donne l'impression de s'amuser follement dans une telle production. Déception en revanche pour un Sarastro (Randall Jakobsch) qui n'a ni la puissance ni la profondeur du rôle ; et pour une Reine de la nuit (Chantal Perraud) au bout de ses limites vocales. Papagena anecdotique d'Hélène Guilmette.

Au risque de se répéter, une telle mise en scène en fait oublier la fosse ! Est-il étonnant dans de telles conditions qu'elle paraisse un peu terne en regard du kaléidoscope scénique, et parfois quelque peu chaotique ? Un peu de magie passe pourtant de temps en temps, au détour d'un "Ach, ich Fühl's", ou d'un "Pamino mein" d'une tendresse réconfortante dans la dérision ambiante.
 
 

Sophie ROUGHOL
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