C O N C E R T S 
 
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PARIS
01/02/05
© DR
Die Zauberflöte
Singspiel en deux actes (1791)

Musique de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

Textes d'Emanuel Schikaneder et de Rafael Argullol
En langues allemande et française

Direction musicale : Marc Minkowski 
Mise en scène : Alex Ollé et Carlos Padrissa de La Fura dels Baus 
Décors et costumes : Jaume Plensa 
Lumières : Albert Faura 
Video : Frank Aleu 
Chef des Choeurs : Peter Burian

Tamino : Paul Groves 
Erste Dame : Ingela Bohlin 
Zweite Dame : Marina Comparato 
Dritte Dame : Ekaterina Gubanova 
Papageno : Stéphane Degout 
Papagena : Claire Ormshaw 
Sarastro : Ain Anger 
Monostatos : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke 
Pamina : Mireille Delunsch 
Königinder Nacht : Erika Miklosa 
Der Spreche : Olaf Bär
Erster Geharnischte Mann et Zweiter Priester : Christian Elsner 
Zweiter Geharnischter Mann et Erster Priester : Scott Wilde 
Drei Knaben : Solistes du Tölzer Knabenchor

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris

Comédiens : Dominique Blanc et Pascal Greggory

Coproduction avec la RuhrTriennale et le Teatro Real, Madrid

Opéra Bastille, Paris
1er février 2005, 19h30

C'est Mozart qu'on assassine
 

Provocant. Tel est Gérard Mortier. Il suffit de lire ses déclarations dans la presse, d'écouter ses propos à la télé, à la radio pour réaliser que le directeur de l'Opéra de Paris aime surtout défier, narguer, agacer...Ainsi quand on lui demande pourquoi il inscrit une troisième Flûte en moins de douze ans au répertoire de la première institution lyrique française, il répond qu'il est bien capable d'en monter encore une autre d'ici la fin de son mandat, tout simplement parce que c'est le premier opéra que l'a emmené voir sa maman. 

Pour lui, les récitatifs, comme tout ce qui est décoratif dans la mise en scène, pèsent sur Die Zauberflöte et encombrent son idée philosophique de l'homme. Peut-être, mais il ne faut pas négliger la place du théâtre et du divertissement. L'une des formes du génie de Mozart est justement d'être présent sur tous les tableaux.

Fort de telles déclarations, on débarque à la Bastille le couteau entre les dents, armé jusqu'au cou, remonté comme une horloge. Et finalement, on en ressort, sinon conquis, du moins apaisé car, outre l'effet bénéfique de la musique, le spectacle proposé ne justifie pas de se mettre dans un tel état.

Evidemment, il est stupide de remplacer les dialogues parlés par des textes pompeux et abscons (le "abs" est encore de trop). Le fil narratif est rompu, le singspiel se transforme en une succession abstraite de morceaux chantés ; l'oeuvre est irrémédiablement trahie. Il est de plus inutile de faire déclamer ces soi-disant poèmes par Dominique Blanc et Pascal Greggory lorsque, compte tenu de leur intérêt littéraire et dramatique, le même résultat pourrait être obtenu avec le premier comédien venu. Pour ne pas se fâcher, on évitera de penser au montant du cachet versé et de reparler de l'augmentation du prix des places.

Mais, cette aberration dénoncée, il ne subsiste pas d'autres véritables raisons de s'insurger.

Musicalement d'abord, sans toucher à l'excellence, l'ensemble reste d'un bon niveau. Marc Minkowski, intimidé peut-être par la grandeur des lieux, nous a habitués à plus de précision et à une autre dynamique, mais il mène à bon port l'orchestre en respectant les solistes. 


Erika Miklosa, Reine de la Nuit
© DR

Mireille Delunsch en Pamina paraît au premier abord manquer de fraîcheur. Sa voix, rompue ces derniers années à de périlleux exercices (La Traviata, à Aix ou Rouen, pour n'en citer qu'un) possède à présent une maturité, une fêlure qui l'éloigne au premier acte de l'ingénuité du personnage. Mais, comme toujours avec elle, l'engagement finit par triompher et porte au sommet un "Ach, ich fühl's lumineux, le plus grand moment d'émotion de la soirée. 

Le Tamino de Paul Groves est avant tout héroïque. Du jeune prince, il montre plus la détermination, le courage que la grâce. "Dies Bildnis ist bezaubernd Schön" surtout expose les duretés du timbre et le manque d'élégance. A contrario, le finale du premier acte convient mieux à sa personnalité vocale. 

Stéphane Degout confirme qu'il est aujourd'hui l'un de nos meilleurs Papageno, par la clarté de l'émission, la franchise de la projection, mais aussi par la singularité de la silhouette, mi homme mi oiseau, ici les cheveux rouges ébouriffés comme un lointain cousin de Woody Woodpecker.

Erika Miklosa surprend. Typiquement slave, avec un médium plus corsé et un vibrato plus large que les habituelles titulaires du rôles, elle libère des contre notes, qui à l'exception d'un fa à l'arraché, étonnent par leur précision et leur rondeur. Sa reine de la nuit, surnaturelle, devrait cette année continuer de faire trembler les lustres du Metropolitan de New York en avril puis du Teatro Real de Madrid en juillet, pour ne citer que les salles les plus fameuses... Il n'est pas certain pour autant qu'il s'agisse d'une véritable soprano colorature et son répertoire devrait rapidement évoluer. 

La jeunesse et l'imposante stature d'Ain Anger confèrent à son Sarastro des graves bien épaulés mais aussi, paradoxalement, une troublante fragilité et donc une grande humanité. 

Les trois dames, costumées comme des filles du Rhin, tournent souvent au vinaigre. Les trois garçons, fidèles à la tradition, malmènent la justesse. Le reste de la distribution remplit honorablement son contrat. 

La mise en scène déborde d'idées et d'images, certaines très séduisantes. Elaborée à partir de ces fameux modules blancs, qui se gonflent et se dégonflent, s'assemblent, se désassemblent, s'élèvent ou se penchent, elle joue sur les lumières autant que sur les attitudes. Les effets visuels font rarement contresens et servent au mieux la poésie de l'oeuvre. En vrac, on citera le serpent de mots, les matelas dressés pour figurer les colonnes du temple qui tombent en cascade comme un jeu de dominos, la pluie de balles, les trois garçons transformés en spirale de feu...

Au final, contrairement à ce qu'on avait entendu dire, pas de huées et même des applaudissements nourris. Il n'est pas sûr toutefois que les enfants comprennent la magie de l'opéra de Mozart et repartent émerveillés comme le fut à une autre époque le petit Mortier. Il y a ainsi des vocations qui ont pu naître et d'autres non.
 
 

Christophe RIZOUD
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