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TROIS VALSES

Adaptation française par Léopold Marchand et Albert Willemetz
- créée à Paris, au Th. des Bouffes-Parisiens, le 21 avril 1937 -
de l’opérette en trois actes de Paul Knep[p?]ler et Armin Robinson Drei Walzer, créée à Zürich le 5 octobre 1935.

Oscar Straus (1870-1954) a adapté des motifs de
Johann Strauss père (1801-49) pour le premier acte,
de Johann Strauss fils (1825-99) pour le deuxième acte,
et a composé lui-même la musique du troisième acte.

2 CD Universal Music, France
Accord 4769414
Enregistrement réalisé en 1963 par Decca France ; durée totale : 125’ 23
Notes et résumé de l’action en français




Une fraîcheur sentimentale intacte

On ne joue plus Drei Walzer dans les pays de langue germanique, pas plus qu’on n’y donne Walzer aus Wien (Valses de Vienne), alors que ces deux adaptations semblent maintenir le succès dans leur version française… au point d’occulter, dans les pays francophones, non seulement d’autres opérettes de Messieurs Strauss et Straus, mais également d’autres maîtres de l’opérette viennoise comme Franz von Suppé, Carl Millöcker, Carl Zeller, Carl Michael Ziehrer…Il faut dire que les traficotages des années 30 ajoutent des rythmes et surtout une couleur d’orchestration vraiment datée, tandis que la fraîche et riche veine de l’âge d’or (1860-1900) de l’opérette viennoise n’a pas pris une ride.

Force est de reconnaître pourtant, que cette dernière expression va comme un gant à l’éblouissant album Accord, réédition d’un enregistrement Decca de 1963. En effet, l’habile Max de Rieux, comprenant qu’il s’agit bien plus d’une comédie musicale qu’une opérette, réunit alors une équipe de véritables acteurs qui font croire à l’action… Il faut préciser ici que cette seconde adaptation française s’éloigne encore de l’opérette en ce qu’elle ne fait pas chanter le triple héros masculin. Elle fut en effet réalisée expressément pour le couple Yvonne Printemps-Pierre Fresnay et le talent reconnu du grand Belge ne comportait pas plus le chant, qu’une efficace prononciation de l’accent marseillais dans les films de Marcel Pagnol. Le grand succès remporté en 1937 par cette adaptation, fut transposé à l’écran dès l’année suivante et sous le titre Les Trois Valses que l’on retrouve parfois à la comédie musicale, comme dans l’autre enregistrement existant.

Revenu de l’étrange impression d’entendre, dans ce qui est intitulé « Duo », parler le héros, on pense à l’ironie ayant voulu que Jean Desailly savait chanter, au point d’hésiter entre les carrières de comédien et d‘artiste lyrique ! Cela donne envie de connaître la version originale d’Oscar Straus et, revenant à l’oeuvre, il faut rendre hommage à l’instinct musical du compositeur de Ein Walzertraum (Rêve de Valse, 1907), Der tapfere Soldat (Le Soldat de Chocolat, 1808), Der letzte Walzer (La Dernière Valse, 1920), Die Teresina (La Térésina, 1925), qui a su repérer de superbes mélodies plus ou moins cachées par ses quasi-homonymes.

Pourtant, il ne faudrait pas croire qu’il a simplement « prélevé » le thème principal de l’une ou l’autre valse des illustres Strauss au double « s ». Sa sûreté d’instinct lui souffle avec une belle efficacité de choisir parfois, non le thème principal mais un thème secondaire ! Ainsi, pour l’entrée de Fanny, la première des trois valses : « Je passais aux Tuileries », il fallait aller chercher vers la fin de la Kettenbrücke-Walzer Opus 4 de Johann Strauss père, un envoûtant motif, grisant comme l’air printanier qu’évoquent les paroles, et bien plus séduisant que le thème principal du morceau ! De même, la célèbre deuxième valse : « Je t’aime, quand même… », morceau le plus connu de la pièce, n’est pas le thème principal de la valse Carnevalsbilder Op. 357 de Johann fils mais un thème – superbe ! - venant bien plus tard. Les Strauss étaient ainsi faits, qu’ils « gaspillaient », pratiquement, la riche inspiration leur dictant, pour le même morceau, des mélodies si belles qu’elles rivalisent pour la première place.

« Trois valses » ?… mais ce sont plutôt sept, dix valses qu’Oscar Straus juxtapose habilement pour nous livrer une œuvre fraîche et sentimentale, certes, mais jamais mièvre et cette émotion délicate, cette fraîcheur toujours vive nous sont pleinement restituées par l’enregistrement Decca-Accord.

La divette du cinéma français Suzy Delair, inoubliable interprète de Avec son tra-la-la, dans le film Quai des Orfèvres (1947), met à la disposition des trois héroïnes son joli timbre clair mais aussi son talent versatile d’actrice, avec une pétulance, une espièglerie n’appartenant qu’à elle. Le grand comédien Jean Dessailly lui donne une réplique idéale d’élégance et de naturel, à l’accentuation toujours appropriée, juste… même quand il doit jouer faux, au troisième acte, incarnant un jeune assureur catapulté acteur de cinéma. Leur jeu, leurs moindres interjections, leurs soupirs même, sonnent juste !

Il faut dire que beaucoup de beaux sentiments défilent dans chacun de ces trois actes, reflétant trois époques (1867, 1900, 1937) d’amours contrariées. Seul le troisième acte finit bien, la troisième valse voyant enfin l’union du couple de la troisième génération, autrement dit, les petits enfants des héros du premier acte.

Trois couples donc, incarnés avec bonheur par Suzy Delair et Jean Dessailly, accompagnés par d’excellents interprètes traversant la pièce et revenant souvent sous diverses identités, comme l’ineffable Pierjac, pouvant changer de voix… comme de personnage. Dominique Tirmont, maître de ballet à l’accent italien parfait, maréchal sincèrement digne et hautain, et enfin hilarant producteur allemand. Robert Pisani, Jean Beauval, Pierre Heral, Jacques Beauvais, Chantal de Rieux, Eliane Thibault (ayant gravé Mam’zelle Nitouche pour la même firme et belle voix française de Mary Poppins)… Ou encore l’accompli Robert Piquet, impresario traversant l’histoire mais en tant que personnage cette fois, puisqu’on le voit vieillir d’acte en acte. Les interprètes ne paraissant qu’une fois nous font bénéficier d’un jeu aussi soigné, comme la douairière ironique mais humaine de Mary Marquet, qui s’impose d’emblée en tant que « voix », l’habilleuse de Claude Daltys ou l’impayable Pauline Carton, servante typée d’un autre âge, ayant éclairé d’innombrables films de sa perfection du rôle secondaire. Une telle compagnie nous aurait certainement régalés du sympathique et désopilant « Quatuor polyglotte » du IIIe acte, curieusement délaissé.

L’entreprise trouve un coordinateur musical de choix dans le chef d’orchestre Richard Blareau, enlevant avec un brio inhabituel mais fort bienvenu, cette musique si souvent édulcorée, décolorée…L’âge d’argent de l’opérette viennoise, avec Lehár, Kálmán et Straus, a souffert, il est vrai, d’abord de réorchestrations pseudo-modernisées mais déliquescentes en fait, ensuite de directions alanguies… à la guimauve ! Rien de tout cela avec Richard Blareau, nous ayant déjà offert (chez le même éditeur) une Fille du Tambour-Major menée… tambour battant. Sa direction idéale d’équilibre et de mesure fait étinceler la partition, nous enivrant, aux détours des valses, de certains rubati non entendus dans les autres enregistrements, et qui évoquent les irrésistibles envolées des valses de Millöcker ou de Ziehrer.

La belle réalisation de Max de Rieux, trouvant toujours le ton juste à… tout ! nous fait réaliser qu’il s’agit en somme d’une charmante vieille pièce qui n’a pas pris une ride, grâce à l’excellence de tous les interprètes.

Yonel Buldrini



Note :
On sait que l’excellent homme que fut Oscar Straus se vit souvent doter d’un « s » final supplémentaire, or il confia lui-même paraît-il, que par respect pour le génie des quatre Strauss, il avait abandonné ce second « s » que son nom comportait effectivement !



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