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Gaetano Donizetti (1797-1848)

 La Figlia del Reggimento


« Melodramma giocoso » en deux actes de Calisto Bassi,
donné pour la première fois au Teatro alla Scala de Milan,
le 3 octobre 1840.

Version nouvelle, effectuée par G. Donizetti
de son opéra-comique La Fille du régiment,
sur un livret de J.-H. Vernoy de Saint-Georges et J.-F.-A. Bayard,
créé au Théâtre de l’Opéra-Comique de Paris, le 11 fév. 1840


Maria, vivandiera (soprano) : Maria Costanza Nocentini
Tonio, giovane svizzero (tenore) : Giorgio Casciarri
La Marchesa di Berckenfield (mezzosoprano) : Milijana Nikolic
Il Sargente Sulpizio (basso) : Luciano Miotto
Ortensio, Intendente della Marchesa (basso) : Eugenio Leggiadri-Gallani
Un Caporale (basso) : Arturo Cauli
La Duchessa di Krakentorp (mezzosoprano) : Giulia Martella
Un Paesano (tenore) : Franco Becconi
Un Notaio (tenore) : Alessandro Pento

Orchestra e Coro del Teatro Marrucino di Chieti
Maestro Concertatore e Direttore :
Marzio Conti

Enregistré en public au Teatro Marrucino de Chieti,
du 31 mars au 5 avril 2004

2 CD NAXOS 8.660161-62
Durées : Cd 1(Acte I) : 65 mn. 32’’ –  Cd 2 (ActeII) : 36 mn. 26’’
(Textes de présentation et synopsis en anglais et allemand – sans livret : on renvoie, pour le livret italien, au site Internet


Une fille, ou plutôt : une“figlia”, tout aussi légitime !


Que les amateurs d’opéra se le disent : La Figlia del Reggimento n’est pas une traduction plus ou moins heureuse de La Fille du régiment, mais bien une adaptation de la main de Gaetano Donizetti. Il faut reconnaître, cependant, que l’on a des excuses de l’ignorer, car lorsque l’opéra est aujourd’hui représenté en italien, ce n’est pas dans cette révision donizettienne mais dans une version bâtarde qui ressemble à une simple traduction.
Pourquoi donc ? Eh bien on peut avancer comme explication le fait que notre époque se montre attachée au brillant plus que Donizetti lui-même. En effet, la version italienne ne comporte pas l’air le plus célèbre de la partition ! Donizetti ne le conserva pas car de goût français trop brillant et un peu extérieur, et d’autre part, techniquement, parce qu’il n’entrait plus dans les cordes (vocales) des ténors italiens. Mauro Mariani (1) explique en effet que l’« on supprima la romance de Tonio au second acte, trop style musique de chambre et raffinée pour le public italien. Et le même sort fut subi par la seconde section de “Ah ! mes amis, quel jour de fête !”, où Tonio enchaîne une enfilade de Do aigus qui, dans le chant français sonnaient comme de retentissantes clochettes, mais qui seraient devenus incongrûment belliqueux et forcés dans la bouche de ténors italiens, désormais entraînés à prendre les aigus en force : surtout, chantés de cette manière, ils auraient brisé le gosier le plus robuste. » De nos jours, l’air de Tonio a atteint une telle notoriété qu’il semble impensable de donner l’opéra sans lui ! Considération dépassant malheureusement la conception donizettienne pour laquelle il s’agissait avant tout et plus que de traduire en italien, d’adapter une pièce typiquement française, l’opéra-comique, en opera buffa de goût italien.
Une autre différence de taille réside dans le fait que le charmant opéra ne se termine pas, comme on l’entend toujours, par la reprise de la sympathique mazurka « Salvezza alla Francia ». Donizetti a en effet prévu un duo Maria-Tonio « Riposati in questo seno », dont on serait bien content de connaître la musique...
Enfin, deux autres différences sont plus connues parce qu’observées par les représentations habituelles en italien, tout au moins pour la première : les dialogues sont remplaccés par des récitatifs et le ténor reçoit un air d’entrée condensant joliment la bonhomie et le panache donizettiens (le compositeur l’emprunta à son opéra « semiserio » Gianni da Calais).
Ceci posé, signalons que la version proposée par la firme Naxos est toujours la « bâtarde », avec l’enfilade de do aigus tant attendue par le public qui, nous l’avons dit, ne comprendrait pas son absence, un peu comme dans le cas de cette « version Malibran » de I Puritani, dans laquelle Bellini supprime purement et simplement l’ineffable marche « Suoni la tromba » !

A l’audition de ces CDs, une impression étrange nous saisit car malgré la mention « Recorded live at Teatro Marrucino », on n’entend jamais, durant l’exécution, le moindre frémissement dénonçant la présence d’un public, impression confirmée par l’absence d’applaudissements, même en fin d’acte. On n’en découvre pas moins, il faut le reconnaître, une interprétation vivante et colorée.
On commence par remarquer avec un plaisir étonné la somptueuse voix de Maria Costanza Nocentini - déjà Maria dans son prénom - dotée d’un médium corsé, d’aigus ronds et veloutés : on n’ avait plus de Maria –ni de Marie- ainsi « fruitée », depuis Mirella Freni.
Le ténor Giorgio Casciarri nous avait déjà impressionné lors d’une émission télévisée de la RAI appartenant à la série Prima della prima, consacrant une demi-heure à une production lyrique. Il s’agissait de La Fille du régiment du Teatro Massimo de Palerme et l’émission, selon son habitude impitoyable pour les chanteurs, passait imperceptiblement au cours d’une même air (!), de l’interprète principal à celui de la distribution alternative. Eh bien, lorsque l’on glissait ainsi de l’époustouflant Rockwell Blake à Giorgio Casciarri, on était différemment impressionné et dans l’obligation de reconnaître que le second ne pâlissait pas aux côtés du premier. Dans le présent enregistrement, il ne semble pas jouir de la même forme et certaines attaques semblent moins bien assurées mais les terribles Do aigus de la délicieuse cabalette-valse « Qual destino » ne lui posent pas problème.
La Marchesa di Berckenfield est de bon niveau et le timbre métallique et le léger accent de Milijana Nikolic lui confèrent même une certaine personnalité.
Le Sargente Sulpizio de Luciano Miotto nous propose un beau timbre de baryton rappelant un peu celui de Giulio Fioravanti, ainsi qu’une interprétation alliant dignité et espièglerie, essence du rôle. Les personnages secondaires, dont la Duchessa di Krakentorp de Giulia Martella, sont également bien tenus.
Le Chœurs du Teatro Marrucino sont très efficacement réglés par leur chef dont le nom n’est malheureusement pas indiqué.
Le chef d’orchestre Marzio Conti réussit à offrir une énergie… militaire, si l’on peut dire, en évitant les deux écueils dans lesquels bien des chefs d’aujourd’hui tombent : sécheresse et précipitation. Cymbales au vent, il imprime au contraire aux belles sonorités de l’Orchestre du Teatro Marrucino de Chieti, un brillant, une vitalité colorée qui font merveille.
Bien que chef-lieu de l’une des provinces de la région des Abruzzes, Chieti n’en demeure pas moins une petite cité de 55709 habitants, mais la production qu’elle offre en son splendide et vaste Teatro Marrucino en remontrerait à bien des maisons d’opéra plus importantes.

Une belle réussite de plus au crédit de la firme Naxos mettant l’opéra à la portée de tous, en attendant la véritable Figlia del Reggimento, telle que l’a conçue le Cygne de Bergame…


Yonel Buldrini


(1) In : « Quando Donizetti parla francese » (Quand Donizetti parle français), article tiré du programme de salle du Teatro Carlo Felice de Gênes pour La Fille du régiment, saison 2004-2005.


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